sissoko (moussa) (B.Papon/L'Equipe)

Ukraine 2013, Portugal 2016, son absence de la Coupe du monde 2018, son statut... Moussa Sissoko raconte 12 ans d'équipe de France : «J'essaie d'être un modèle»

32 ans. 68 sélections. 2 buts. 12 ans de présence à Clairefontaine. Apprécié de Didier Deschamps depuis toutes ces années, Moussa Sissoko va vivre sa troisième grande compétition avec les Bleus. Avant le coup d'envoi, l'ancien Toulousain ouvre la boîte à souvenirs, pour le meilleur et pour le pire.

C'est jour d'entretiens individuels à Clairefontaine. Nous sommes vendredi dernier. Avant l'entraînement de 17h30, plusieurs joueurs répondent aux médias par visio-conférence. C'est ainsi que Moussa Sissoko se présente à l'heure aux alentours de 15h50. Durant les 23 minutes d'entretien, on verra défiler derrière lui des Olivier Giroud, Wissam Ben Yedder ou Corentin Tolisso. Souriant, le joueur de Tottenham a accepté de rembobiner douze ans d'équipe de France pour FF.

Casque sur les oreilles depuis Clairefontaine, Moussa Sissoko a ouvert la boîte à souvenirs.

«En octobre prochain, cela fera douze ans que vous portez le maillot de l'équipe de France. Dit comme ça, est-ce que ça fait quelque chose ?
Je me dis : "Waouh." C'est beau. Si on m'avait dit ça quand j'étais gamin, même si c'était un rêve, je n'y aurais jamais cru. Aujourd'hui, je peux être fier et heureux d'avoir fait douze ans en équipe de France, d'avoir réussi ce que j'ai pu accomplir. J'ai bientôt 32 ans, j'ai encore des matches dans les jambes, donc j'espère ajouter quelques années, ça ne sera pas facile.
 
Savez-vous combien vous comptez de sélections ?
Je crois que c'est 68.
 
Bonne réponse. Quel souvenir avez-vous de votre première cape ?
Si je me souviens bien, c'était aux Féroé, non ?
 
Lire :

Plus précisément face aux Iles Féroé, à Guingamp (5-0, 10 octobre 2009).
J'étais rentré (NDLR : Il remplace Jérémy Toulalan à une demi-heure de la fin). Un grand moment de joie, de fierté, de bonheur, mais aussi de stress. A ce moment-là, j'étais jeune (20 ans), j'arrivais dans une équipe avec beaucoup de très grands joueurs. J'avais pour habitude de jouer avec eux à la PlayStation. Là, être aux côtés de joueur comme (William) Gallas, (Eric) Abidal, (Thierry) Henry, (Nicolas) Anelka, (Sidney) Govou, (Florent) Malouda... Pour moi, c'était pire qu'un rêve ! J'avais cette pression-là, celle de mal faire. Eux étaient dans le football de haut niveau depuis des années et des années, moi j'étais juste novice. Le premier ballon que j'avais, il fallait vite que je le donne, j'avais peur qu'ils m'engueulent. Mais ce sont des bons moments, et ça restera à jamais gravé dans ma mémoire.

«A ce moment-là, j'étais jeune, j'arrivais dans une équipe avec beaucoup de très grands joueurs. J'avais pour habitude de jouer avec eux à la PlayStation. Là, être aux côtés de joueur comme Gallas, Abidal, Henry, Anelka, Govou, Malouda... Pour moi, c'était pire qu'un rêve !»

«Le Portugal, ma performance la plus accomplie»

En 68 sélections, s'il y en avait une où vous vous êtes senti imbattable, ce jour-là, ce serait laquelle ?
(Il réfléchit).
 
Est-ce la finale de l'Euro 2016 face au Portugal ou est-ce une autre ?
Oui, le Portugal est peut-être la performance la plus accomplie à titre personnel. Je me souviens de la frappe en seconde période où Rui Patricio (NDLR : Le portier du Portugal) va la chercher alors qu'elle va dans la lucarne. C'est un moment spécial parce que je suis quelqu'un qui tire rarement. Souvent, on me dit de tirer mais je ne prends jamais l'initiative. Ce jour-là, je ne sais pas combien de tirs j'ai pu avoir, peut-être trois ou quatre. Ce jour-là, il y avait quelque chose d'indescriptible en moi.

Ce match a-t-il changé votre carrière ou votre image en France ?
Ma carrière, non. Mon image vis-à-vis de certains, peut-être. On sait que beaucoup de personnes étaient un peu sceptiques par rapport à ma venue en sélection. Depuis que j'y suis, j'ai toujours donné le meilleur de moi-même, j'ai toujours répondu aux attentes du sélectionneur. Si cela n'avait pas été le cas, je pense que je ne serais pas là aujourd'hui et j'aurais beaucoup moins de sélections. J'ai fait de bons matches à la Coupe du monde 2014, je me rappelle aussi du match en Espagne où on égalise à la fin (NDLR : 1-1 ; 16 octobre 2012). J'ai fait de bons et des moins bons matches avec l'équipe de France.
 
Justement, vous souvenez-vous d'une fois où vous vous étiez trouvé pas du tout au niveau ?
Récemment, je me souviens du match face à la Finlande, à domicile, où on a perdu (NDLR : 0-2, le 11 novembre 2020). Je perds un ballon juste avant un but. Ça avait été un match compliqué. Dans la journée, j'avais appris une mauvaise nouvelle du côté de ma famille. Je l'avais gardé pour moi mais cela m'avait affecté durant le match. J'avais préféré le garder pour moi et j'aurais peut-être dû avertir le coach pour ne pas jouer ce match. C'est un risque que j'ai pris, j'ai assumé.
 

Malgré un match dingue de sa part, Moussa Sissoko n'a pu mener la France au sacre face au Portugal de Raphaël Guerreiro en 2016. (A.Mounic/L'Equipe)

«On sait que beaucoup de personnes étaient un peu sceptiques par rapport à ma venue en sélection. Depuis que j'y suis, j'ai toujours donné le meilleur de moi-même, j'ai toujours répondu aux attentes du sélectionneur.»

Lors du roman de cette soirée de novembre paru dans France Football à cette époque, vous nous aviez par exemple raconté votre discussion, au soir de la défaite en Ukraine, avec Blaise Matuidi et Mamadou Sakho.
La plupart du temps, on restait dans la chambre, on discutait et on se disait qu'on ne pouvait pas sortir et ne pas se qualifier. On se disait que ce serait un désastre pour nous, les joueurs, mais aussi pour la France. Il fallait répondre sur le terrain. Tout le monde était heureux. A partir de ce moment, on a créé un autre lien avec le peuple français. L'équipe de France sortait de moments difficiles, c'était un nouveau départ.
 
 
Quand vous parlez de l'équipe de France qui sortait de moments difficiles, vous évoquez bien sûr Kynsna. Vous n'êtes pas dans le groupe pour l'Afrique du Sud, mais vous faites partie de la première liste de Laurent Blanc pour le tout premier match post-Mondial 2010, en Norvège.
La plupart des joueurs présents n'avait pas été au Mondial. On avait aucune pression, on était tranquilles dans nos têtes. Ce qui s'était passé était fait, on avait rien à voir là-dedans, on ne pouvait rien y faire. Il fallait qu'on se concentre sur le match (NDLR : défaite 1-2 en Norvège, pour sa troisième sélection, Sissoko est titulaire et dispute une mi-temps avant d'être remplacé par Hatem Ben Arfa).

«En 2013, des gens jetaient des cailloux sur le bus»

Quel autre moment vous vient tout de suite si on vous dit un match qui est resté gravé à jamais dans votre mémoire ?
Revêtir ce maillot bleu est quelque chose d'immense. Il y a énormément de joueurs qui peuvent être sélectionnés, et faire partie de la sélection, c'est incroyable. Mais un moment qui restera gravé, et même si je n'ai pas joué le match, c'est face à l'Ukraine, quand on se qualifie pour la Coupe du monde (NDLR : 19 novembre 2013, 3-0). Le match aller avait été très compliqué (Défaite 0-2). On avait perdu, on s'était fait découpés par le coach, on avait fait un non-match, on le savait. On recevait beaucoup de messages, on voyait beaucoup de choses se dire à la télé, dans la presse. Notre retour en France a été compliqué. Quand on est arrivés, dans le bus, des gens tapaient, jetaient des cailloux. On était sous pression. On devait y croire, rester soudés, rester unis. On a su faire le dos rond. Le match est venu. C'était une toute autre équipe, on était transcendés. Dès les premières minutes, on a montré qu'ils n'allaient rien avoir, qu'on allait tout faire pour se qualifier. C'était beau et magique.

Moussa Sissoko (sur la gauche de la photo) et les Bleus un soir de novembre 2013, après avoir renversé l'Ukraine. (A.Martin/L'Equipe)

Toujours au rayon Coupe du monde, combien de temps aviez-vous eu besoin pour digérer votre absence des 23 lors du Mondial 2018 ?
Honnêtement, j'ai été touché durant la première semaine, voire les dix premiers jours. Après, je me disais : "Moussa, il ne faut pas te prendre la tête. Ce sont des choses de la vie. Il faut les accepter. Si tu n'y es pas, tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même car tu n'as peut-être pas fait tout ce qu'il fallait pour y être." Je suis parti en vacances avec mes proches, j'ai pensé à autre chose. Surtout, ce qui m'a aidé à surmonter tout cela, c'est que ma compagne était enceinte. J'allais avoir un enfant peu de temps après. Donc peut-être que j'ai raté une Coupe du monde, mais j'allais avoir droit au bonheur avec la naissance de ma fille. C'est quelque chose qu'on ne peut remplacer par rien du tout, c'est encore mieux qu'une Coupe du monde ! Ça a été mon trophée, et je ne pouvais avoir meilleur trophée. Même si, bien sûr, j'aurais aimé y être, mais j'étais fier qu'ils le gagnent. J'étais content pour eux mais, moi aussi, de mon côté, je l'étais avec ma fille quelques semaines plus tard. J'étais en équipe de France depuis pas mal d'années, quasiment présent à tous les rassemblements. Le fait de ne pas y être m'a donné un petit pincement au coeur mais ce n'était pas une fin en soi. C'était à moi de montrer que je suis quelqu'un de fort et de courageux, et que cela n'allait pas m'atteindre pour pouvoir rebondir et revenir encore plus fort. Aujourd'hui, si je suis là, c'est que je continue à travailler, à faire ce qu'il faut pour y être. C'est la meilleure chose à faire.
 

«Il fallait répondre sur le terrain. Tout le monde était heureux. A partir de ce moment, on a créé un autre lien avec le peuple français. L'équipe de France sortait de moments difficiles, c'était un nouveau départ.»

«Ma première grande compétition au Brésil, le pays du football»

En parlant de Coupe du monde, vous êtes du voyage pour le Brésil en 2014. Un premier match de Coupe du monde (face au Honduras, 3-0), ça marque ?
C'était une grande fierté. Ma première Coupe du monde et ma première grande compétition dans le pays du football. Il y avait plusieurs choses réunies qui faisaient que c'était un moment incroyable pour moi.
 
Et vous marquez votre premier but en équipe de France lors du deuxième match !
Face à la Suisse (NDLR : Victoire 5-2). Un moment de joie, on avait fait un bon match. Face au Honduras, on avait gagné, mais ça avait été compliqué, on se devait de bien rebondir. On l'avait fait de belle manière.
 
Vous êtes seul, sur la droite, Karim Benzema oriente bien le jeu...
Je crois que j'avais joué sur le côté. C'est sur une contre-attaque. Blaise (Matuidi) trouve Karim, qui me décale et je la reprends en une touche.
 
Plat du pied sécurité.
(Il sourit) Sécurité, oui, petit filet. On m'a toujours dit de cadrer, ça a fait mouche.

«Peut-être que j'ai raté une Coupe du monde, mais j'allais avoir droit au bonheur avec la naissance de ma fille. C'est quelque chose qu'on ne peut remplacer par rien du tout, c'est encore mieux qu'une Coupe du monde ! Ça a été mon trophée, et je ne pouvais avoir meilleur trophée.»

Sissoko, de l'expérience au milieu des jeunes comme Kingsley Coman et Thomas Lemar. (F.Faugere/L'Equipe)

«J'essaie de montrer la bonne voie»

Comment voyez-vous votre rôle au sein de cette équipe de France ? Vous avez bientôt 32 ans, vous êtes le cinquième joueur le plus âgé après Hugo Lloris, Steve Mandanda, Olivier Giroud et Karim Benzema, vous sentez-vous investi d'une mission avec vos coéquipiers qui sont pour beaucoup plus jeunes que vous ?
Investi d'un rôle, je ne sais pas. Je suis un joueur expérimenté, qui a beaucoup de vécu en sélection. J'essaie d'apporter mes qualités au service du collectif. J'essaie d'être un leader, un modèle et un exemple sur le terrain. J'essaie de montrer la bonne voie à mes coéquipiers. Comme je suis l'un des plus expérimentés, ils pourront se dire : "Si Moussa le fait, on doit le faire aussi." En interne aussi. Quand les nouveaux arrivent, j'essaie de les mettre le plus à l'aise possible. Les plus jeunes, je leur donne des conseils quand je peux. C'est toujours bien d'avoir quelqu'un de plus expérimenté à côté. Quand je vois certaines choses, j'essaie de leur dire de faire attention à ceci, à cela. Avoir le mot juste, la phrase juste quand il faut, sans se prendre pour quelqu'un au-dessus d'eux ou de prétentieux. On est tous là pour tirer le meilleur de chacun, car on a un but commun : aller tout en haut.
 
Didier Deschamps vous demande-t-il d'être actif dans le groupe ?
Non, pas du tout, il ne me l'a jamais demandé. Je le fais naturellement. Je ne suis pas quelqu'un qui a une grosse voix et qui aime beaucoup parler, mais j'essaie de le faire au bon moment, sans prendre trop de place, ni saouler les gens.
 
 
Abordez-vous cet Euro en vous disant qu'il faut savoir profiter du moment car cela pourrait être votre dernière grande compétition en sélection ?
Je vais vivre cette compétition à fond. On ne sait pas de quoi est fait demain, donc il faut savoir kiffer et savourer chaque moment. Ce sont de bons moments. Jeune, je rêvais de ça, de faire les plus belles compétitions européennes et mondiales. A moi de croquer dedans peu importe le temps de jeu que je vais avoir, que ce soit dix minutes, cinq matches, six matches, je vais me battre pour ce maillot, pour moi, pour ma famille, pour mes proches et essayer de rendre fier tout le monde. Tout ça pour n'avoir aucun regret et me dire à la fin de ma carrière : "Moussa, bravo pour ce que tu as accompli."

Timothé Crépin