Jeremie Boga (Sassuolo) celebrates after scoring his team's fourth goal during the Italian Serie A match between Sassuolo 4-2 Roma at Mapei Stadium on February 01 , 2020 in Reggio Emilia, Italy. (Photo by Maurizio Borsari/AFLO) *** Local Caption *** (Maurizio Borsari/AFLO/PRESSE S/PRESSE SPORTS)

Serie A : Jérémie Boga (Sassuolo), pour l'amour du dribble

À tout juste 23 ans, Jérémie Boga a vécu une saison éclatante avec Sassuolo jusqu'à l'interruption imposée par la crise sanitaire. Dribbleur explosif désormais adroit dans le dernier geste, le joueur formé à Chelsea est une des révélations de la Serie A.

Un ballon qui lui parvient sur le côté gauche. Quelques petites foulées pour aller défier le défenseur adverse. Puis l'accélération, foudroyante. Le crochet extérieur (petit pont en option) pour s'ouvrir le chemin du but. Et pour conclure, une frappe enroulée du pied droit qui ne laisse aucune chance au gardien adverse. Cette action typique est devenue la marque déposée de Jérémie Boga, et est d'ailleurs longtemps restée l'ultime moment fort de la saison de Serie A, à un quart d'heure de la fin de Sassuolo-Brescia (3-0, le 9 mars), avant l'interruption du Championnat. «C'est la spéciale ! Rentrer à l'intérieur et frapper au but, ce sont des gestes que je travaille beaucoup à l'entraînement depuis tout petit, avoue le joueur franco-ivoirien formé à Chelsea. Je les répète encore et encore, dès que j'en ai l'occasion.» Et ça marche. À la manière d'un Arjen Robben en son temps, l'ailier gauche de Sassuolo s'est construit au fil des mois une réputation via cette finition «signature», puisqu'il a inscrit cinq de ses huit buts en 2019-20 de cette manière.

- La fiche de Jérémie Boga

«Dès qu'il reçoit le ballon, il peut se passer quelque chose, apprécie Grégory Paisley, commentateur des affiches de Serie A sur beIN Sports. Il a un pouvoir d'accélération, de percussion impressionnant. Et on s'est aperçu au fil des mois que les défenseurs le craignent. Ils se demandent ce qu'il est capable de leur faire, ils se mettent en recul-frein dès qu'il arrive face à eux ! C'est une attitude qui traduit une forme de respect.» L'intéressé ne dit pas le contraire : «J'ai vraiment senti un changement chez les défenseurs adverses cette saison. Ils sont plus attentifs, et plus agressifs aussi. Je reçois plus de coups mais c'est normal. Et puis les petits ponts, ça énerve (rires).» Une autre spécialité de Jérémie Boga, qui en totalise huit en Serie A cette saison selon les données de StatsBomb (seul le capitaine de l'Atalanta Papu Gomez fait aussi bien). Le fantasque ailier, bercé aux exploits de ses idoles Lionel Messi et Eden Hazard, crève l'écran en Italie dans la catégorie des dribbles réussis (5,4 en moyenne par 90 minutes, soit quasiment deux de plus que ses premiers poursuivants !) et est un des trois joueurs qui progresse le plus balle au pied vers le but adverse (262 mètres gagnés par 90 minutes).

Un créateur pur, qui ne fait rien pour renier un style hérité du football de rue dans le quartier de Bengale et à l'ASPTT Marseille, au sud de la cité phocéenne. «Une telle capacité à éliminer, je n'ai jamais vu ça, admire son ancien partenaire à Rennes, Gelson Fernandes. Il a une conduite de balle très rapide, une vraie capacité à enchaîner les dribbles, avec de petits pas, un centre de gravité très bas, il va très vite dans les petits périmètres... Quand il repique dans l'axe, je ne vois pas comment tu peux le prendre... Et encore, il n'est même pas dans un Championnat où il y a beaucoup d'espaces, même si c'est beaucoup plus ouvert que par le passé. Lui, s'il jouait en Allemagne, mon pauvre ami... Pfff, il ferait un carnage !» En attendant de découvrir la Bundesliga (le seul des cinq grands Championnats dans lequel il n'a pas encore évolué !), Boga régale en Serie A, mais ne se contente pas d'alimenter les "highlights". Le numéro 7 neroverde, qui ne totalisait que dix buts depuis ses débuts professionnels en 2015, en compte déjà huit cette saison. «C'est dans ce domaine qu'il a vraiment fait un pas en avant, confirme Jérémy Colin, côtoyé à Birmingham (D2 anglaise). C'était un joueur qui éliminait, provoquait, mais pas un tueur au niveau comptable. Quelque chose se passait quand il avait le ballon dans les pieds, mais il pêchait dans la finition. Il avait ça en lui, et les stats sont là pour montrer qu'il a vraiment évolué.»

«Lui, s'il jouait en Allemagne, mon pauvre ami... Pfff, il ferait un carnage !» (Gelson Fernandes)

Roberto De Zerbi, le coach clé

Pour que ses dribbles se voient et s'apprécient davantage, il fallait y ajouter une finalité. Alors Boga s'est lui-même fixé des objectifs chiffrés. «En début de saison, je visais les dix buts, confesse-t-il. Si j'y arrive avant la fin du Championnat, je viserai le total le plus élevé possible. Le coach, lui, m'avait dit qu'avec le talent que j'ai, je devrais marquer douze buts minimum par saison. Je vais essayer d'y arriver (sourire).» Le coach, c'est Roberto De Zerbi, un des techniciens les plus divertissants du Championnat italien, et le principal artisan de la progression fulgurante de Jérémie Boga. «C'est grâce à lui que j'ai autant mûri. Il me fait confiance, me laisse beaucoup de libertés offensives, mais il m'aide aussi beaucoup tactiquement. Auparavant, j'avais du mal à me déplacer de manière efficace sur le terrain, lui m'a appris à utiliser la profondeur alors que je suis plutôt un joueur qui aime avoir le ballon dans les pieds. Arriver près du but le plus souvent possible, être à la fin des actions plutôt qu'au départ, être aussi présent à la finition qu'à la création... Il m'a beaucoup fait progresser là-dessus.» De Zerbi, lui, répète régulièrement que son poulain possède «un talent fou» mais doit «travailler dur pour étoffer sa panoplie, marquer des buts, participer au jeu, ne pas se retrouver isolé pendant de longues périodes au cours d'un match...»

Lire aussi :
- Marlon Santos : «Si tu ne comprends pas un concept, De Zerbi te reçoit dans son bureau»

Ça tombe bien, Jérémie Boga n'est pas du genre fainéant. «C'est un talent incroyable qui a la compromission d'un joueur professionnel, une bonne éducation, appréciait son coéquipier Marlon Santos dans un récent entretien à FF. Il écoute le coach, le capitaine... C'est vraiment une personne... (il réfléchit) Humilité, voilà !» Un trait de caractère qui en a fait un coéquipier «sympa», «facile à vivre», au gré de ses prêts successifs à Rennes, Grenade ou Birmingham City, entre 2015 et 2018. «Un garçon hyper attachant, se souvient Gelson Fernandes. Qu'il joue ou pas, il ne s'est jamais plaint.» «C'est un bosseur, qui a la tête sur les épaules et qui mérite de réussir, ajoute Jérémy Colin. Ce n'est pas un mec très extraverti, qui raconte des blagues, mais c'est un bon camarade. Il n'est pas du tout négatif, à se plaindre, à critiquer l'entraîneur ou quoi que ce soit. Même quand il jouait moins, il a toujours été à l'écoute.» Gamin surdoué qui a vite hérité de l'étiquette de crack au sein d'une génération de "Baby Blues" particulièrement prospère (Abraham, Solanke, Christensen, Tomori, Loftus-Cheek...), Jérémie Boga a brillé sans réussir à franchir le palier de l'équipe première (une seule apparition), avant d'apprendre -ailleurs- à délaisser son poste fétiche de numéro 10 pour s'installer sur le côté gauche. Un processus payant qui a demandé un peu de temps, forcément.

«Tout le monde n'est pas Mbappé, au sommet de l'affiche à 18 ans, rappelle Gelson Fernandes. La précocité c'est bien, il y a des joueurs qui sont prêts plus tôt, plus vite, mais il y en a aussi énormément qui ont besoin de plus de temps, ce n'est pas un problème ! Jérémie, il n'était même pas conscient de son potentiel... Il n'était pas toujours concentré, à l'entraînement je lui disais parfois qu'il dormait debout, qu'il était mou !» «J'avais cette image du gars qui dort un peu, concède Boga. Je pouvais être absent dix minutes et puis prendre le ballon et partir en dribbles. C'était un vrai défaut que j'ai réussi à gommer ces deux dernières années.» Le défaut majeur est en tout cas devenu «un petit bémol» dans son jeu, selon Grégory Paisley : «Face à la Juventus (2-2, le 1er décembre, ndlr), je me souviens qu'il avait fait une première période de feu, et puis pendant 20-25 minutes en seconde, il n'était pas là ! Mais il n'a que 23 ans...» Ce jour-là, Jérémie Boga avait semblé oublier sa traditionnelle humilité, manquant même de respect à une personne âgée. D'un subtil ballon piqué, il avait laissé la légende Gianluigi Buffon sur les fesses.

Prêté par Chelsea à Rennes en 2015-16, Jérémie Boga y avait joué 31 matches, toutes compétitions confondues, pour 3 buts marqués. (V.Michel/L'Equipe)

«J'avais cette image du gars qui dort un peu...» (Jérémie Boga)

«À la base, ma première idée était de frapper fort, croisé, et au dernier moment, à l'instinct, j'ai choisi le piqué et il est tombé au moment parfait.» Le genre de moment, aussi, qui fait grimper la cote d'un joueur d'avenir. Selon Transfermarkt, la sienne est passée de 6 à 20M€ entre juin 2019 et mars 2020. Le Covid-19 et ses effets sur le mercato sont passés par là, mais le nom de Boga a continué de circuler, de Naples à la Juventus en passant par Chelsea, qui disposait d'une option de rachat à 15M€ avant de trouver un accord financier avec Sassuolo il y a quelques semaines. La Roma, l'Atalanta ou Monaco, déjà candidats l'hiver dernier, sont toujours à l'affût. Le club italien, qui l'avait recruté pour 3 à 4M€ à l'été 2018, se prépare donc à une jolie plus-value, même si son président a récemment affirmé vouloir conserver son joyau au moins une saison supplémentaire. L'international ivoirien, lui, s'estime «prêt» à voir plus haut... mais aussi à rester. Il garde un oeil sur ce qui se dit ou s'écrit sur lui, tout en essayant de se détacher de l'agitation qui entoure son avenir. Pour mieux placer son crochet dévastateur au moment opportun ?

Cédric Chapuis