Saïd Benrahma (Brentford) : «Il y a régulièrement des gens qui me demandent de signer pour leur club»

À 24 ans, celui qui a arpenté la France avant de finalement trouver chaussure à son pied du côté de Brentford, en Championship, est en pleine bourre. Au point de susciter l'intérêt des plus grosses écuries du Royaume, dont Arsenal. Avant de disputer la finale des play-offs d'accession à la Premier League face à Fulham (mardi), Saïd Benrahma a pris le temps de se livrer sur les ressorts de son jeu et de sa réussite actuelle. Via Zoom, depuis son appartement londonien et en toute décontraction. (Photo : Brentford FC)

«Comment s'y prend-on pour ne jamais avoir les pieds qui tremblent ?
Je ne sais pas (il réfléchit)... Je pense que c'est ce qui fait le joueur que je suis, en fait ! J'aime bien le ballon et si je ne le touche pas régulièrement je ne vais pas être moi-même.

On a attaqué par cette question car on a l'impression que le ballon ne vous brûle jamais les pieds, que vous cherchez constamment à prendre vos responsabilités, peu importe les circonstances...
Mais si je ne fais pas ça, que je commence à avoir les pieds qui tremblent, ce ne sera pas moi ! Moi ce que je veux c'est prendre du plaisir, jouer mon jeu. Or, si je ne touche pas le ballon, si je ne prends pas de plaisir, ce n'est plus Saïd. J'ai ce truc-là, l'envie de prendre du plaisir et donc de toucher un maximum de ballons un peu partout.

Vous avez cela en vous depuis tout petit ou cela a nécessité une approche psychologique spécifique ?
Disons qu'il faut accepter le fait que ça ne marche pas toujours. Rater, ça peut arriver. Mais personnellement j'essaie toujours de continuer. Encore une fois, c'est ce qui fait le joueur que je suis. Est-ce que j'ai dû me blinder mentalement ? Pas forcément, en fait. Je suis comme ça. J'ai toujours cherché à être heureux sur le terrain, tout simplement.

Chercher à être heureux sur un terrain de foot, avec les copains, c'est une chose. S'épanouir au point de ne pas flancher dans des moments cruciaux de la saison comme ce sprint final ou les play-offs, c'en est une autre...
Tout dépend de la confiance qu'on vous donne, en fait. Ici, j'ai pris confiance en moi. J'avais déjà confiance en moi en France, mais je tentais moins. Là c'est différent. Ça l'est parce que j'ai un club et un coach qui m'ont montré qu'ils croyaient en moi. Je pense que c'est ce qui me permet de jouer aussi librement et d'être moi-même. Tout ça mis bout à bout à bout m'a permis de franchir les paliers.

«Le coach Frank ? Vous êtes heureux de jouer dans son équipe, de jouer pour lui.»

Et lors d'un sprint pareil, après une telle saison, n'a-t-on pas peur que les gens retiennent plus un éventuel échec final que les prouesses accomplies toute l'année ?
J'essaie de ne pas penser à tout ça, même lorsque les rencontres deviennent cruciales comme c'était le cas ces dernières semaines. L'idée c'est de rentrer sur le terrain pour y prendre du plaisir. Toujours. Je ne suis pas du genre à me mettre la pression ou à calculer. Il ne faut pas.

C'est aussi facile à gérer que cela ?
Prenez les trois défaites de suite au pire des moments (NDLR : Brentford a perdu ses deux dernières rencontres de Championnat alors que l'équipe avait son destin entre les mains puis le match aller des play-offs). En réalité, je me doutais bien que l'on aurait un coup de moins bien tôt ou tard. Il n'est juste pas arrivé au moment où je l'attendais (rires). Mais à ce moment-là, on fait quoi ? On se remet encore plus de pression pour les play-offs ? Non ! On essaie de repartir de l'avant, de ne pas gamberger et de faire le job. Tout simplement. C'est juste une saison fantastique dont il faut profiter. J'espère que ça se finira avec la montée.

C'est le coach Thomas Frank qui vous transmet une telle sérénité ?
En fait, lui-même est très serein ! Il est dans l'échange, aussi. Me concernant, je parle beaucoup (il insiste) avec lui. Il vous transmet cette confiance, à 100%. A partir de là vous êtes heureux de jouer, de jouer pour lui. A côté de ça, il sait rester calme. Même quand il vous pousse à fond à l'entraînement, il parvient à rester posé. Je pense que son caractère et son attitude rejaillissent sur nous.

«J'ai désormais du plaisir à défendre. Je suis content d'être devenu un joueur comme ça.»

Et concernant le terrain alors, quelles sont les consignes qu'il vous transmet ? Avec lui, les joueurs offensifs comme vous jouissent d'une très grande liberté...
C'est simple : le coach me laisse une liberté totale ! Sur la feuille de match je suis à gauche du 4-3-3 mais il me laisse jouer comme je sais jouer. Après, c'est à moi de trouver les petits trucs qui feront la différence. Parfois je colle un peu la ligne, parfois je me positionne entre les lignes à la manière d'un numéro 10, etc... Il faut défendre, aussi, bien sûr. En gros, j'essaie juste de lui rendre ce qu'il me donne.

Comment les partenaires ont-ils accepté cette liberté ? La contrepartie c'est de s'arracher comme vous le faites à la perte ? De faire des stats ?
Dorénavant, j'ai même du plaisir à défendre ! Et à partir du moment où un joueur offensif prend du plaisir à tacler, à gratter un ballon ou à couper une ligne de passe, le coach a gagné. Je suis content d'être devenu un joueur comme ça.

Il paraît qu'il n'y a même plus besoin d'être sur votre dos...
Même plus, non. Franchement pour un offensif, au départ, c'est dur de défendre (il souffle). Mais maintenant je le fais spontanément. Je n'ai jamais aimé que l'on me répète 'Défend, défend, défend !'. Là où le coach est fort, c'est qu'il a rendu ça naturel chez moi. Il n'a pas besoin de me dire ce genre de choses. Je fais désormais les choses par moi-même, à 100%, et ça, ça vient de lui.

Saïd Benrahma et Thomas Frank pour l'une des dernières à Griffin Park. (Brentford FC)

On a l'impression que Brentford, c'est ça : un juste milieu entre quelque chose de très programmé, préparé, et la liberté dont les joueurs bénéficient pour s'emparer du projet.
On a un projet de jeu assez clair. Les sorties de ballon sont par exemple très travaillées, au même titre que les coups de pied arrêtés. Mais comme vous le dites, notre instinct peut parler. Dans les trente derniers mètres, sur phase arrêtée, c'est la même chose. Vous recevez des consignes précises à l'entraînement, on vous oriente vers certaines choses, mais on vous demande de prendre des initiatives, d'interpréter les situations. Tu dois tenter des choses, c'est même pour ça qu'ils t'ont recruté !

Et c'est la philosophie idéale pour un profil comme le vôtre...
C'est mieux, en tout cas. Quand tout est intégralement programmé et que tu n'apportes pas ton petit grain de sel, ça n'a pas la même saveur. Ici, les choses instinctives et la créativité ont toute leur place. Et c'est ce qui fait notre force ! On se sent tous plus investis.

On vous sent reconnaissant à l'égard du club et de sa méthode, presque redevable...
Disons que c'est le club qui m'a fait confiance. C'est (il cherche ses mots)... Ce sont les seuls qui ont cru en moi, on ne va pas se mentir. C'est LE club qui a su comment se comporter avec moi ! Je ne les remercierai jamais assez pour ça. Tout ça, c'est grâce à eux et au coach. Je ne pouvais pas rêver de tomber dans un meilleur endroit, en fait.

Avez-vous également le sentiment d'avoir grandi en tant qu'homme ? Allan Saint-Maximin nous confiait récemment qu'il n'y avait pas en Angleterre ce côté infantilisant que l'on retrouve parfois en France...
Exactement ! Ici, en Angleterre, les responsabilités viennent naturellement. C'est à toi de les prendre et personne ne trouvera rien à y redire. Tout est plus naturel. Et c'est comme ça que tu acquiers de la confiance et que tu deviens, à ta manière, un leader. Je ne sais pas vraiment comment l'expliquer mais tu te sens vite responsabilisé et tu mûris plus vite. Tu as envie de te montrer à la hauteur, de ne pas te comporter comme un enfant.

«Le fait de marquer 17 buts en Championnat ce n'est pas rien. Je suis peut-être un buteur, au final (rires) ?»

Vous sentiez que vous aviez une telle saison dans les jambes ou vous vous surprenez un peu, malgré tout ?
Je le savais mais... il fallait que les choses s'alignent. Donc quelque part oui, ça me surprend un peu (il réfléchit). En tout cas, ça me fait plaisir. Je suis content d'atteindre mes objectifs. Le fait de marquer 17 buts en Championnat (auxquels s'ajoutent 9 passes décisives), ce n'est pas rien. Je suis peut-être un buteur, au final (rires) ? Bon, j'aurais pu en mettre plus. Mais c'est bien déjà, je suis heureux, ça va.

Peu de gens s'attendaient en tous les cas à ce que vous réussissiez dans un Championnat aussi exigeant...
Quand j'ai signé en Ligue 2 c'était pareil... Et tout s'est bien passé à Châteauroux et au Gazélec, je trouve. Je crois que j'aime bien ces challenges, finalement (il sourit). Après voilà, c'est le football, personne ne pouvait savoir. Les choses auraient aussi pu tourner différemment.

Combien de kilos avez-vous dû prendre pour vous hisser au niveau physiquement ? On sait que certains de vos premiers entraînements ont été très (très) délicats...
Je me souviendrai toujours de l'un des premiers entraînements. On faisait du 2 contre 2 et c'était très intense. Si vous aviez vu la tête de Julian Jeanvier à la fin de la séance (il éclate de rire). J'étais là depuis quelques jours donc j'avais commencé à assimiler le truc. Idem pour Neal (Maupay) qui était là depuis un moment. Mais la tête de Julian qui venait d'arriver, ses yeux (rires)... Je lui en parle encore ! On était en train de comprendre là où on venait de mettre les pieds. Mais à force, vous vous habituez.

«Quand je suis retourné sur le terrain au moment du restart, j'avais des stats de numéro 6 qui s'affichaient sur le GPS !»

Grâce à beaucoup de travail en salle ?
Du bas du corps, oui. En gros, je suis devenu plus fit. Mais je ne travaille pas beaucoup le haut, simplement chez moi, tranquillement. Par contre, je bosse sur mes jambes deux à trois fois par semaine, au club.

Et c'est quelque chose que vous avez poursuivi pendant le confinement...
Pire que ça ! J'ai énormément travaillé avec mon meilleur ami et quand je suis retourné sur le terrain, au moment du "restart", j'avais des stats de numéro 6 qui s'affichaient sur le GPS (rires). Le travail a payé.

Un peu plus de muscles, des stats de sentinelle, vous avez désormais tous les attributs pour faire l'intégralité de votre carrière en Angleterre. Qui l'eut cru...
C'est sûr qu'il n'y a pas grand monde qui devait miser là-dessus (rires). Mais oui, le football anglais est pour l'instant celui qui me plaît. Je m'y suis adapté et je crois que n'importe quel joueur aimerait évoluer ici. La proximité avec le public, l'intensité... C'est le football, en fait ! Le fait de jouer tous les trois jours c'est que du kiff, aussi. C'est magnifique, c'est motivant.

On croit en revanche savoir que vous vous passeriez bien de tout ce qu'il y a autour du jeu. Les rumeurs, les sollicitations de plus en plus nombreuses...
Disons que j'essaie de rester concentré. Ce qui me fait kiffer, c'est le football. J'essaie de faire abstraction du reste.

Les Bees lors de leur dernière sortie à Griffin Park (Brentford FC)

Vous n'êtes pas sans savoir que le regard des gens à votre égard a évolué...
J'ai probablement pris une autre dimension dans l'esprit des gens, oui. Quand je me balade, il y a régulièrement des gens qui me demandent de signer pour leur club (rires), par exemple, mais j'essaie de ne pas y accorder trop d'attention.

Il n'y a pas que les fans qui vous apprécient. FF a révélé en début d'année que d'anciennes légendes d'Arsenal ont soufflé votre nom au board des Gunners il y a un moment déjà...
C'est toujours flatteur. Mais je suis à Brentford et j'ai un objectif, une mission. Ce ne serait pas bon de penser à autre chose, ni respectueux vis-à-vis d'une équipe dans laquelle il n'y a que des bons mecs. J'espère qu'on va y arriver.

Une chose est sûre, vous ne rejouerez plus à Griffin Park... Ce stade si particulier et cette proximité avec le public vont vous manquer, non ?
Griffin Park, c'est une cage (il répète) ! Quand tu rentres sur cette pelouse, ça donne plus qu'envie. Tu rentres dans cette cage, tu te bagarres. Et puis l'emplacement, en plein milieu d'un quartier, était top aussi. Ça va donc beaucoup me manquer, oui. Mais le nouveau stade est bien, aussi. On l'a visité et franchement ça va, il est bien.

Et puis les fans resteront les mêmes. Racontez-nous le rôle qu'ils ont joué dans la victoire en demi-finale des play-offs...
Vous êtes au courant ?! C'est vrai qu'ils donnent beaucoup de force. Leur vidéo d'encouragements a tourné dans notre groupe WhatsApp et ça, ça vous donne un petit supplément, de la force. J'espère qu'on les rendra encore plus heureux mardi.

Vous n'allez rien changer ?
Rien. On va jouer notre football. On produira les mêmes choses ou peut-être mieux encore, qui sait ? Il faut bien se préparer, bien sûr, mais il faut aussi et surtout y aller en restant nous-mêmes.»

Thymoté Pinon