sterling (raheem) (ROBERT JEAN FRANCOIS/L'Equipe)

Raheem Sterling (Manchester City) : changement de dimension

Surdoué et doté d'un caractère de champion, Raheem Sterling a mis un peu plus de temps que prévu à se montrer à la hauteur des immenses attentes que son talent avait fait naître. Un événement a fait basculer la carrière de l'ailier de Manchester City du bon côté : sa rencontre avec Pep Guardiola.

Estadio Hidalgo, Pachuca, Mexique. Nous sommes le 30 juin 2011 et les jeunes Three Lions de Nathaniel Chalobah défient l’Argentine de Lucas Ocampos. Rapidement menés par l’Albiceleste, les jeunes pousses britanniques s’en remettent au talent de Raheem Sterling pour revenir dans la partie. Depuis son aile gauche, le droitier de poche repique et envoie une frappe dans le petit filet de Bruno Galvan. Et si le rêve anglais se brisera face au rival allemand quatre jours plus tard, celui qui était en charge de l’équipe à ce moment-là cite spontanément cet éclair lorsqu’on lui demande quel type de joueur était l’actuel ailier des Citizens à l’époque. «Ce but symbolise assez bien son registre d’alors, se souvient John Peacock pour FF. C’était un talent brut qui, grâce à sa vitesse, faisait peser une menace constante sur l’adversaire. Je dirais que c’était un joueur (il cherche ses mots)… direct. Et il aimait déjà repiquer vers l’intérieur pour chercher la frappe ou la passe.»

Lacunes tactiques

Mais peut-être plus encore qu’au sujet du style de jeu de celui qui portait déjà le numéro 7, l’homme qui l’a accompagné sur les billards du centre national du football de Saint George’s Park entre ses quinze et dix-septième printemps préfère s’attarder sur le comportement du garçon. Une façon d’être annonciatrice d’une destinée à la hauteur du talent de la perle. «En dehors du terrain, il était déjà un exemple pour tous, résume le technicien. Il était poli, plutôt timide, mais très respecté dans le vestiaire. Et j’ajoute qu’une fois que les louanges ont commencé à pleuvoir, il n’a pas changé d’un iota. Il avait cette envie constante de progresser, ce caractère à-même de vous emmener tout en haut.» Jeune homme à même de montrer la voie dans le vestiaire, l’attaquant perd parfois le nord sur le terrain. Les membres de la FA qui ont croisé sa route lors de ses débuts en équipe nationale parlent tous d’un joueur qui devait encore effectuer des progrès au niveau de l’intelligence de jeu.  

Sterling, époque Reds. (Simon stacpoole/OFFSIDE/PRESSE/PRESSE SPORTS)

Très tôt présenté comme un crack, celui qui avait reçu les applaudissements de tout un groupe lors de son premier entraînement avec l’équipe première des Queens Park Rangers en 2009 (il avait alors 14 ans !) aura mis un peu plus de temps que prévu à effectuer ces progrès. Il y eut bien cette remarquable saison 2013-14 du côté d’Anfield (9 buts, 7 passes) où il formait un redoutable trio avec Luis Suarez et Daniel Sturridge, mais aussi - et peut-être surtout - beaucoup de promesses non tenues. Ou à tout le moins pas tout de suite. Après une saison 2014-15 qui devait être celle de la confirmation mais qui aura vu Sterling stagner, le natif de Kingston prend le train pour Manchester. C’est là-bas que le crack va devenir celui qu’il aurait dû être sur les bords de la Mersey. A la faveur d’une rencontre : celle de Pep Guardiola. Orientation du corps au moment de recevoir le ballon, prises d’informations, demi-espaces, meilleure surface de pied à utiliser… La masterclass du technicien catalan ne mettra pas longtemps à faire mouche. 

Des statistiques longtemps insuffisantes

Mais lors du premier exercice de l’international anglais chez les Citizens, c’est Manuel Pellegrini qui est aux commandes. Et si le technicien argentin fait confiance à Sterling (31 matches), le joueur est de nouveau à la peine au niveau statistiques (6 buts, 2 passes) et les observateurs britanniques se demandent alors si l’on n’en restera pas au stade des promesses. L’Etihad Stadium devra attendre qu’un nouvel entraîneur pose sa glacière au bout du banc pour voir le garçon prendre son envol, définitivement. La progression est fulgurante et c’est le principal intéressé qui raconte le mieux comment le déclic a opéré : «Pep vous fait savoir quand il n’est pas content de vous, confiait Sterling en marge d’un rassemblement avec la sélection en octobre 2018. Je me rappelle d’une entrée en jeu contre Crystal Palace. J’ai perdu le ballon trois fois et j’ai cru que je n’allais plus jouer jusqu’à la fin de la saison vu comme il m’avait "tué" dans les vestiaires. Mais un manager comme lui tire le meilleur de vous car il s’assure de vous donner des explications quand vous faites une erreur.» 

Le temps a filé et désormais, Raheem Sterling est l’une des pièces essentielles du onze de Pep Guardiola. Du gamin hué aux quatre coins de l’Angleterre, de celui qui aime le fric, les voitures et le narguilé au taulier de l’équipe anglaise, l’enfant de Kingston a su mettre tout le monde d’accord ces trois dernières saisons. Le «Hated One» est devenu la coqueluche du foot anglais. À force de travail et de persuasion de la part de Guardiola, Sterling s’est remis dans le droit chemin qui lui semblait tout tracé depuis sa jeunesse après l’errance. «Oui, on peut dire que le coach a rallumé mon cerveau», confiait l’ailier il y a quelques temps. Car au-delà de ses performances dans le jeu et de sa maturité balle au pied, Raheem Sterling a grandi en tant qu’homme en dehors du pré vert. Auparavant cloué au piloris par les tabloïds britanniques, l’ancien de QPR est désormais devenu la voix de toute une génération à travers son engagement contre le racisme. Parce qu’il n’est pas qu’un simple footballeur et qu’il a pris une autre dimension dans la vie de tous les jours. 

«Guardiola a rallumé mon cerveau.»

Étendard contre le racisme

Le poing levé, le genou à terre, Sterling a été dans les premiers professionnels à soutenir le mouvement Black Lives Matter. Bien avant le décès de George Floyd qui a depuis rassemblé encore plus de personnes. Dès 2018, le Jamaïcain de naissance montait au créneau sur les réseaux sociaux pour pointer du doigt les médias qu’il accuse «d’alimenter le racisme et l’agressivité». L’un des points d’orgue de son combat est sans aucun conteste son manifeste dans les colonnes du Times. La plume est dans la plaie : «Dans le monde entier, les joueurs, les supporters et les entraîneurs noirs et asiatiques sont victimes de racisme. Tous les jours, de la pelouse des parcs à celle de la Ligue des champions. Les personnes qui dirigent le sport sont très loin d'en faire assez pour résoudre le problème.» Une tribune qui fera grand bruit. Donnant à Sterling une nouvelle dimension. Hors du terrain et sociale cette fois-ci. La fédération anglaise réagira d’ailleurs en dodelinant de la tête et en reconnaissant que l’ailier de City avait raison. Depuis, Raheem Sterling a encore ramassé. Notamment en Bulgarie où des idiots dans la tribune ont lancé des cris de singe et des saluts nazis. L’Anglais a riposté par un doublé et un large sourire devant les excités bulgares. Sterling a forgé au travers du temps l’opinion de continuer à jouer malgré les affreux comportements. Comme un symbole. Un bras d’honneur. 

Le joueur et l’homme sont désormais mûrs. Et les défis ne manquent pas en dehors et sur le terrain. Faire porter sa voix encore et toujours plus fort. Sur le pré, Sterling doit aussi montrer le chemin. Leader technique en équipe d’Angleterre, l’ailier a pour mission de porter les Three Lions vers un trophée international attendu depuis 1966. Sterling peut aussi écrire l’histoire avec les Citizens qui n’ont toujours pas remporté la Ligue des champions. Pour se faire, l’ancien de Liverpool a bûché dur cette saison. À l’entraînement mais aussi… devant sa télévision. Gary Lineker, chroniqueur chez BT Sports a dernièrement confessé : «Je ne sais pas si je dois partager cela ou si c'est censé être un secret de Raheem, mais il a en fait contacté BT pour demander la vidéo du match de la saison dernière contre Tottenham Hotspur qu'ils ont perdu, confesse l’ancienne gloire du foot anglais. Pas seulement pour voir sa performance, mais aussi pour retrouver ce sentiment de défaite et ce que cela signifie.» Psychologiquement et humainement, Raheem Sterling est à point.