berthod (jeremie) juninho cris (L'Equipe)

Pourquoi la Ligue 1 ne recrute plus au Brésil ?

Le phénomène s'accentue depuis plusieurs années et le mercato de cet été ne devrait pas changer la donne : les clubs français sont de plus en plus réticents à aller chercher des joueurs au Brésil. Tentative d'explication.

Ce fût, pendant longtemps, une véritable caverne d’Ali Baba. Le Brésil et son Championnat ont fait fantasmer bon nombre de dirigeants de clubs de Ligue 1 ces vingt dernières années. Chacun espérait secrètement y dénicher la perle rare. De nombreuses équipes de l’Hexagone sont venues piocher dans l’infini réservoir auriverde, excitées par les caractéristiques techniques attrayantes des Brésiliens et encouragées par des prix abordables.
 
Pourtant, depuis quelques années, ce phénomène a cessé. Du moins, il s’est largement atténué. L’exemple le plus frappant est certainement à trouver du côté de l’Olympique Lyonnais, qui avait fait de sa filière brésilienne l’une de ses grandes forces dans les années 2000. «Lyon bénéficiait de Marcelo (ancien défenseur de l’OL, NDLR) au Brésil, qui était très proche de Bernard Lacombe et qui l’a toujours très bien conseillé, avance Jean-Luc Buisine, directeur du recrutement au Stade Rennais. L’OL a fait des super coups grâce à lui. Il était au pays, il pouvait suivre les joueurs pendant longtemps et il connaissait leur mentalité. Et puis Marcelo connaît bien le Championnat de France, ç'a son importance. Là, il a disparu de la circulation donc Lyon a un peu lâché le Championnat brésilien…»

La Coupe du monde a changé la donne

Mais la perte d’un contact sur place, aussi précieux soit-il puisqu’il a permis à l’OL de dénicher les Juninho, Caçapa et autre Cris, n’est pas la cause première du désintéressement lyonnais et plus généralement français quant à la chose brésilienne. Un évènement récent, et non des moindres, pourrait bien avoir accéléré le processus : la Coupe du monde 2014. Ou du moins, la décision de la FIFA d’attribuer la compétition au Brésil.
 
Au lendemain de la nouvelle, des sponsors du monde entier ont soudainement commencé à s’intéresser au pays et à investir dans son Championnat local. «Les clubs brésilien se sont retrouvés avec beaucoup d’argent, poursuit Buisine. Ils ont donné des salaires très élevés. Les conditions étaient si bonnes que certains grands noms, comme Ronaldinho, sont revenus au pays. En plus, ils ont une fiscalité très avantageuse. Pour les clubs français, c’est donc devenu très compliqué d’approcher les Brésiliens. Et puis ils voulaient tous se montrer au pays, car c’est plus facile de s’y faire remarquer par le sélectionneur.»

Des prix trop élevés

Le joueur brésilien est donc devenu trop cher. Il faut dire que les clubs auxquels ils appartiennent spéculent beaucoup. Pour au moins une raison : au Brésil, ils ne sont bien souvent pas propriétaires à 100% des joueurs, qui appartiennent également à des fonds d’investissement. Chacun, donc, essaye de tirer le maximum de l’opération.
 
Les agents, enfin, viennent gonfler la note. Pour un seul deal, ils sont la plupart du temps plusieurs sur le coup et le montant du transfert en devient quasi systématiquement exagéré. «À Rennes, on a pisté deux jeunes brésiliens qu’on avait repéré depuis un certain temps sur des tournois internationaux, explique Jean-Luc Buisine. Aujourd’hui, leurs agents nous disent qu’ils peuvent partir mais les prix montent vite à cinq ou six millions d’euros, alors que ce sont des joueurs de seulement 18 ou 19 ans ! Lorsque j’étais à Monaco, il y avait déjà les moyens des Russes et on est allé draguer au Brésil. Nous avions ciblé Lucas Moura (NDLR : aujourd'hui au PSG) et bien nous n’avions ramené personne, parce qu’on trouvait que les prix étaient en fort décalage avec la réalité…»

Un temps d'adaptation problématique

Le boss du recrutement rennais, qui a déjà pas mal bourlingué en Ligue 1 et qui se rend depuis longtemps assez régulièrement au Brésil, avance aussi un autre paramètre dissuasif : les Brésiliens mettent du temps à s’adapter. Et aujourd’hui, les clubs n’ont plus les moyens d’attendre. L’exemple de Willamis Souza, recruté par le PSG à l’hiver 2008, est assez frappant : à l’époque, il était référencé parmi les top-joueurs du Championnat brésilien, il ne sortait pas de nulle part et était considéré comme l’un des meilleurs footballeur du pays.
 
Mais à Paris, il n’a pas eu le temps de s’adapter et n’a pas supporté l’exigence immédiate de performance. Moqué durant son court séjour français, il est reparti au pays sur un échec total. «On est très impatient, juge Buisine. Je l’ai vécu lorsque j’étais à Lille avec Bastos. Si on avait suivi la politique de certains clubs, on l’aurait renvoyé au Brésil au bout de six mois ou un an. Et ça aurait donné un cas «Miranda». Lui, il était à Sochaux, il était déjà très fort, mais il n’a pas eu le temps ! Aujourd’hui il est titulaire en Seleção, c’est un des meilleurs défenseurs du monde. Bastos, on lui a laissé du temps. On a pris un petit risque. En janvier, on a failli le renvoyer au pays pour prendre Jérôme Rothen… Puis en fin de saison, il fait une super entrée contre Lens et Claude Puel décide de le garder. Derrière, il a réalisé des saisons extraordinaires et on l’a vendu pour vingt millions d’euros à Lyon. »

Paulo Cezar : «Les jeunes joueurs brésiliens sont trop gâtés»

Le joueur brésilien est devenu trop cher et il est donc désormais trop risqué d’investir sur lui car les échecs s’accumulent, tout simplement. Paulo Cezar, champion du monde 1970 et ancien joueur de l’OM, garde un oeil sur la Ligue 1 depuis son passage en France. «À part recruter une superstar comme Thiago Silva à un autre club européen, acheter brésilien n’est plus un gage de réussite», décrypte l’ancien international auriverde. Il avance aussi un autre problème : «Les Français ne veulent plus les recruter car les jeunes joueurs brésiliens sont aujourd’hui trop gâtés. Si ça ne fonctionne pas pour eux en Europe, ils vont toujours avoir une excuse : la bouffe, la langue ou le climat. Ils ne sont plus considérés comme de potentielles bonnes affaires. Les joueurs africains ou ceux des pays de l’est sont bien moins chers et offrent plus de garanties immédiates.»

Les prix prohibitifs des footballeurs brésiliens ont conduit les club de l’Hexagone à se tourner vers des régions moins lointaines, moins sexy, mais surtout moins coûteuses. Les pays scandinaves, des Balkans ou de l’est ont désormais la cote. «Tous les clubs ont des problèmes financiers aujourd’hui, explique Buisine. Les Brésiliens demandent des salaires relativement élevés lorsqu’ils arrivent en Europe alors que les Scandinaves, eux, sont encore moins chers que les joueurs français.»

Mais la Scandinavie ne semble déjà plus être le réservoir de talent à la monde. Actuellement, pour croiser des scouts français, mieux vaut se rendre en Serbie. «Depuis peu, les joueurs serbes ne sont plus extra communautaires, commente le directeur du recrutement rennais. Et là-bas, je peux vous dire qu’il y a de très bons joueurs.» Si bons que parfois, on les appelle par leur surnom, hérité de l’époque de la Yougoslavie : les Brésiliens de l’Europe.
 
Hugo Guillemet (@hugoguillemet)