Foto IPP/LPS/Francesco Scaccianoce Milano 26/11/2019 Calcio Champions League 2019/2020 Atalanta vs Dinamo zagabria Nella foto: Marten De Roon (Atalanta) saluta il pubblico Italy Photo Press - World Copyright (Francesco Scaccianoce/IPP/PRES/PRESSE SPORTS)

Marten de Roon (Atalanta) : «On dirait qu'on court plus, mais c'est juste qu'on court mieux»

Trois défaites après trois matches de poules et puis l'explosion. Après l'Italie, l'Atalanta Bergame se mettait l'Europe dans la poche. Avant le quart de finale contre Paris, le milieu de terrain hollandais Marten de Roon ouvre les portes de leur jeu, entre recherche d'espaces, mentalité, pressing et préparation.

19:00, heure du rendez-vous téléphonique fixé par texto. Pas de réponse au premier essai, ni dans les dizaines de minutes qui suivent. Trois quart d'heure plus tard, le compte WhatsApp de Marten de Roon, ses trois enfants en photo de profil, s'affiche en ligne. Pas le temps de dégainer que le Hollandais appelle déjà, s'excusant pour son retard. L'entraînement avait duré plus longtemps que prévu. Alors l'entretien s'allongera aussi - un bon 50 minutes. Symbole d'un gars sympa, mais aussi de la mentalité Gian Piero Gasperini. Avec l'Italien, l'entraînement est une bulle hors du temps où les joueurs doivent être à 100% du début à la fin. Encore plus ce mardi 4 août, jour de reprise après 48 heures de repos suite à la fin du Championnat. C'est comme ça, à l'Atalanta, on s'entraîne comme on joue. Intensément et sans compter les efforts - ni les minutes.

«Votre bio Twitter dit : «Résumé de la vie de footballeur en Italie : quand on gagne, j'ai la meilleur table au restaurant et je ne paye rien. Quand on perd, c'est ma femme qui appelle». Histoire vraie ou bonne blague ?
(Rires) On va dire que c'est un mélange des deux. Les Italiens sont des émotifs, des passionnés. Quand il y a quelque chose de bien, alors tout va bien, ils t'aiment ils t'embrassent, c'est la fête. Et quand tu fais quelque chose de mal, et pas seulement dans le football, alors ils deviennent énervés, tristes. Parfois on sort et on nous dit «oh, c'est fantastique de vous voir, je vous paye le diner», mais quand tu perds, il vaut mieux ne pas en parler. Ou alors c'est ma femme qui appelle pour être tranquille. C'est comme ça que fonctionnent les Italiens, et c'est aussi pour ça que j'adore ce pays.

D'ailleurs, sur les réseaux sociaux, vous n'hésitez pas à blaguer, à vous tourner en autodérision. C'est devenu rare dans le football.
Ma mentalité, et c'est ce que j'aime faire, c'est faire des choses un peu différentes de la norme. Parce que sur les réseaux sociaux, beaucoup de footballeurs écrivent les mêmes choses «on a fait un bon match, le prochain sera mieux» et je pense que des fois c'est bien de faire des blagues et de parler avec les gens. Je peux être énervé d'avoir marqué un but contre-mon-camp mais je préfère en rire que de me confondre en excuse car on ne peut pas l'effacer.

«Personne n'aurait parié 1 euro sur nous»

Sur les derniers matches de la saison, on vous a senti moins frais. C'est dû à quoi ?
Je pense que c'est vrai. 14 matches en 41 jours, c'était vraiment dur. Donc on a fini un peu fatigués sur les derniers matches, même si on a fait de très bons matches. C'est pourquoi cette pause nous a fait du bien. L'important, c'était de récupérer.

Comment avez-vous réagi en apprenant que vous jouerez le PSG ?
J'ai trouvé ça vraiment cool. À ce stade de la compétition, tu veux jouer contre des grandes équipes et les meilleurs joueurs du monde. Bien sûr, c'est un peu bizarre de jouer un seul match, mais ça reste une très grosse opportunité de jouer contre une équipe aussi grande que Paris. Pour nous, jouer sur un match peut être un avantage, alors on regarde vers l'avant. Jouer 90 minutes contre une équipe de meilleure qualité, c'est moins difficile que 180, donc ça devient possible. Ça reste très difficile, nous sommes outsider, mais on fera de notre mieux.

Après trois matches de groupe de Ligue des champions, vous pointiez à 0 point. Vous croyiez encore à la qualification ?
À ce moment-là, non on ne pensait pas passer en huitièmes et encore moins en quarts. On s'est dit : «si on peut gagner deux matches, on pourra toujours jouer la Ligue Europa avec un peu de chance». La première chose qu'on avait en tête c'était de repartir des phases de groupe avec au moins 1 point (rires). Mais tout s'est bien goupillé pour nous, avec un nul à la dernière seconde entre le Shakhtar et Zagreb. Ensuite, quand on devait jouer le dernier match, on était en pleine confiance face au Shakhtar (3-0). Le retour d'Ukraine était fou. L'aéroport était rempli. Nous étions très heureux, les gens étaient par milliers, proches de nous pour prendre des photos. Déjà qu'on soit en C1 était incroyable mais là... Personne n'aurait parié 1 euro sur nous après qu'on ait perdu les 3 premiers matches. Et on l'a fait !

Vous êtes arrivé à Bergame en 2015, parti en 2016 puis revenu en 2017. En venant, Gasperini avait-il l'ambition de rendre l'Atalanta européen ?
Non. Mais il voulait tirer le maximum de ses joueurs, et donc de l'équipe. Peut-être que le maximum de l'équipe est la 10e place, l'Europe, le titre... On a continué de grandir et de bien travailler, et on est arrivé en Ligue des champions. L'ambition qu'il a affichée, c'était d'aller le plus loin le possible. Et on est là. C'est vraiment une aventure fantastique.

De Roon à la poursuite de Sterling, lors d'une phase aller compliquée en Ligue des champions. (Matt Wilkinson/Focus Images/EX/PRESSE SPORTS)

Vous avez connu les deux : quelles sont les différences entre l'Atalanta avec et sans Gasperini ?
Il a complètement changé la façon de jouer au football à Bergame, mais surtout il a changé la mentalité. Il n'y a qu'une seule façon de démarrer un match, c'est en voulant à tout prix le gagner. Peu importe l'équipe que tu affrontes, tu dois avoir cet état d'esprit et cette croyance. Pour moi ça a tout changé car maintenant on aborde chaque match avec une immense confiance en nous et en nos chances de gagner.

Quand on regarde les chiffres, on se rend compte que vous ne courrez pas plus que vos adversaires. Comment vous l'expliquez ?
Je pense que c'est dû au fait qu'on joue majoritairement dans la moitié de terrain adverse. Donc si l'adversaire perd la balle et qu'un de nos joueurs court 5 mètres intenses pour aller la récupérer, on dirait qu'on est partout. Mais je pense que la clé c'est ta position et le moment où tu cours. On dirait qu'on court plus, mais c'est juste qu'on court mieux. Sur le terrain, tout le monde est proche l'un de l'autre, donc les distances à parcourir ne sont pas si longues. C'est aussi pour ça qu'on dirait qu'on court partout. C'est juste que les joueurs sont placés parfaitement par rapport à la tactique.

L'Atalanta n'est que la 9e équipe du Championnat en termes de kilomètres parcourus (Capture d'écran Lega Serie A).

La tactique, on y vient. Il faut forcément aimer ça pour jouer à l'Atalanta ?
Oui, il faut aimer ça. Le plus important, c'est d'apprendre directement la tactique. On en apprend beaucoup dans les entraînements où on fait énormément d'exercices et où il est toujours question de notre positionnement. Et au bout d'un moment pour nous, ça devient une routine. On doit savoir quoi faire à chaque endroit du terrain. Donc tactiquement, il faut bien connaître notre rôle.

Et le vôtre, de rôle, comment le résumeriez-vous ?
(Il réfléchit) Je suis le joueur qui est là pour l'équilibre. Nous attaquons avec beaucoup de joueurs, notamment avec les pistons, et je suis au milieu pour que les joueurs de devant se concentrent davantage sur l'attaque, qu'ils rentrent dans la surface. Mon rôle c'est ça, garder tout l'effectif en harmonie. Je suis aussi vraiment important pour l'équipe à la récupération du ballon, mon positionnement doit être parfait.

Vous avez mis du temps à comprendre ça ?
J'ai mis au moins 2 ou 3 mois à comprendre comment on jouait au milieu de terrain, car le rôle est différent par rapport à la majorité des équipes. Mais dès que tu comprends, tout devient facile. Maintenant ça fait presque 3 ans qu'on joue ensemble, donc tout le monde sait quoi faire.

Votre positionnement est mouvant. Parfois vous marquez, parfois vous êtes plus bas que vos défenseurs centraux. Pourquoi ?
Ma position dépend de l'adversaire, on se prépare toujours très bien à cela. Si je joue bas, Rafael Toloi (défenseur central droit, ndlr.) peut attaquer et venir au milieu. Les attaquants doivent défendre Toloi qui monte, et ils n'aiment pas ça, donc ça obligera un milieu à venir sur lui. Mais parfois le plan est différent, et je dois jouer davantage comme un 8, en me rapprochant de la surface parce que j'ai de quoi attaquer l'espace. Ça dépend des opportunités et de l'adversaire.

Lire :
- Atalanta, la fabrique du but
- Gasperini par ses anciens protégés

« On est fort en tant qu'équipe, pas en tant qu'individualités »

Ça dépend aussi du milieu qui fait la paire avec vous ?
(Il réfléchit) Non, pas vraiment. C'est vraiment en fonction de ce qu'il se passe. Je peux aller bas, vers l'intérieur ou à l'extérieur, ça dépend beaucoup de la position de nos pistons. C'est aussi lié à la façon dont on veut faire bouger l'adversaire. Si on veut éliminer un attaquant, un milieu ou un piston. Ensuite dans nos mouvements on est plutôt libre et on voit sur le terrain ce qui est le mieux à faire.

Vos pistons sont plus des attaquants ou des défenseurs ?
Nos pistons ont le feeling pour attaquer. Pour nous, ce sont plus des attaquants que des défenseurs. Par exemple, si Ilicic vient à l'intérieur, ça laisse énormément de place à l'extérieur, et c'est la force de nos pistons. Ils ont énormément de puissance dans leur jambe pour exploiter cet espace et assez de coffre pour monter et descendre tout le temps. C'est pour ça que nous, en tant que milieu, nous n'allons pas tellement dans la surface. Nos latéraux y sont tout le temps !

On a la sensation que Gasperini pourrait changer ses 11 joueurs que l'équipe serait aussi forte, tellement vous êtes tactiquement au point. Qu'en pensez-vous ?
Je suis totalement d'accord. Notre équipe, de par ses mouvements et son habitude à jouer ensemble, est dangereuse. Bien sûr nous avons beaucoup de joueurs très talentueux devant. Mais ils ne pourraient pas marquer sans les mouvements qui partent depuis derrière. On est fort en tant qu'équipe, pas en tant qu'individualités. C'est aussi une des grandes différences qu'on a par rapport à deux ans en arrière, où on jouait majoritairement avec 12 ou 13 joueurs. Cette année on a au moins 16 ou 17 joueurs qui peuvent être titulaire à tous les matches. On le voit avec l'absence d'Ilicic. Sans lui, avec Malinovskyi, Pasalic ou Muriel on a aussi de très bons résultats donc c'est une autre force. Le coach nous dit toujours que les remplaçants sont ceux qui peuvent faire la différence dans les dernières minutes. Par exemple : Gomez et Zapata fatiguent la défense pendant 70 minutes ensuite un Muriel frais entre et en profite. Et je ne pense pas que les défenses en soient ravies.

Une autre des marques de fabrique de cette équipe, c'est le marquage individuel.
Parfois on le fait, mais pas si souvent. En général, on l'exécute quand notre pressing est bon et très haut sur le terrain, à tel point que l'adversaire est proche de sa propre surface. Là seulement, ça devient pertinent de jouer le un contre un parce qu'il n'y a pas de danger. Pour eux, c'est impossible de jouer des longs ballons vers leurs attaquants, car il y a toujours une couverture de la part d'un défenseur. Quand on presse haut, on doit passer en un contre un, car si tu presses tout seul, il sera facile pour l'adversaire de trouver le joueur libre.

Ce jeu sans ballon, c'est donc une question d'espace ?
Si on propose du mouvement sans avoir le ballon, alors pour l'adversaire ça devient plus difficile de jouer. Encore plus avec la rotation de nos joueurs entre eux qui est une force. Si d'un coup tu changes ton positionnement et que ton vis-à-vis te suit, alors tu crées de l'espace pour quelqu'un d'autre. Et comme les attaquants n'aiment pas vraiment défendre, ils préfèrent rester haut. Si je crée de l'espace au milieu pour que mon défenseur monte, l'attaquant va se demander s'il doit le suivre. Et pendant ce temps, le défenseur s'est engouffré dans l'espace libre au milieu ! Et si le défenseur monte, est-ce qu'un latéral adverse va le prendre ? Ou préfère-t-il rester au large ? Parce que sa position est vraiment au niveau de la ligne médiane. Et s'il vient avec lui, alors il laisse de l'espace sur le côté, peut-être pour moi ou un attaquant. C'est vraiment important de rendre le marquage de ton adversaire plus compliqué et de l'anticiper à chaque fois.

Parlons des failles de l'Atalanta. Quelles-sont-elles, selon vous ?
Nous prenons trop de buts, on en marque beaucoup mais on en prend trop. C'est une chose que nous devons améliorer. Mais aussi être plus régulier. Parfois, c'est soit on met 5 buts, soit on perd ou on fait un mauvais match. On ne peut pas toujours gagner en marquant 5 buts, donc il faut qu'on apprenne à gagner des matches ennuyeux par 1-0 ou 2-0. Ça passe peut-être par défendre davantage après avoir marqué et ne pas trop chercher à marquer encore. Enfin, on concède trop de buts dans les 15/20 premières minutes. On doit plus vite rentrer dans nos matches, être concentré immédiatement.

Papu Gomez, votre capitaine, disait : «C'est tellement dur la semaine, heureusement qu'il y a le match pour se reposer». Vous êtes d'accord ?
(Il explose de rires) Je ne suis pas totalement d'accord, mais je comprends ce qu'il veut dire. L'entraînement est vraiment intense, c'est lourd et difficile. On travaille beaucoup la puissance aérobie. Avant que je sois ici, je ne m'étais jamais entraîné comme ça. Parfois on se demande, «est-ce que ce n'est pas trop dur pour mes jambes ?» Mais on a la réponse le week-end où on se sent vraiment fort physiquement. On est au-dessus. Le coach aime à penser que tu t'entraînes comme tu joues, donc forcément on est préparé à 100%.

Pensez-vous que l'Atalanta a changé le football italien moderne ?
Regardez les dernières saisons, le football italien bat des records de buts marqués sur une saison. L'état d'esprit a changé, avec le football de Conte ou de Sarri. On voit beaucoup d'équipes au jeu prôné vers l'attaque. Je pense que l'Atalanta a joué un rôle dans cette évolution. Le coach aime attaquer, et il est devenu aimé pour ça parce que ça a marché. Déjà dans les autres clubs où il entrainait avant, il aimait produire un jeu offensif, mais avec l'Atalanta ça a pris une dimension européenne et mondiale.

Ça reste un risque. À titre personnel, l'entraîneur vous demande d'en prendre beaucoup ?
Oui. Gasperini me demande de prendre des risques avec et sans ballon. Parce que c'est un entraîneur qui aime anticiper. Ça veut dire jouer juste devant son adversaire au lieu de rester derrière, pour mieux récupérer le ballon. Mais aussi à la passe. Il préfère qu'on joue la balle vers l'avant plutôt qu'en arrière. Oui, il y a une possibilité de perdre le ballon, mais comme tu joues vers l'avant tu peux directement presser pour la récupérer. Si tu joues derrière ou horizontalement, alors l'adversaire peut presser, et pour ton coéquipier ça devient plus dur. On ne prend pas de risques fous qui ne peuvent pas marcher, mais des risques vers l'avant, en jouant avec courage et confiance. Si tu prends tes risques, c'est du 50/50, mais nous avec notre routine et tout ce qu'on a l'habitude de faire, c'est plutôt 80/20. Il y a plus d'espaces en jouant bas en tant que milieu de terrain par exemple. Et derrière, ça laisse de la place dans leur dos puisqu'ils viennent nous chercher. Un attaquant, un défenseur ou même un piston peut ensuite l'exploiter. Ça a l'air risqué pour les milieux de jouer un peu plus bas, mais c'est juste pour créer des opportunités pour quelqu'un d'autre de l'équipe.

«C'est important de rendre le marquage de l'adversaire plus difficile »

«Avant que je sois ici, je ne m'étais jamais entraîné comme ça»

Emile Gillet