Mario Balotelli / France Football (L'Equipe)

Le grand entretien de Mario Balotelli à France Football en 2012 : «Je pense être un génie»

En ces temps de confinement, FF vous propose de (re)découvrir plusieurs grands entretiens parus dans l'histoire de notre magazine. Retour en 2012 avec un Mario Balotelli passionnant, honnête, hilarant, décrivant son enfance, son talent et ses erreurs.

Mai 2012. Mario Balotelli n'est pas encore un des héros du titre épique acquis par Manchester City quelques semaines plus tard, dans le temps additionnel de la dernière journée de Premier League. Il n'est pas encore, non plus, l'homme qui terrassera l'Allemagne en demi-finales de l'Euro 2012 d'un doublé fracassant (2-1). Mais l'international italien est déjà un joueur scruté, observé, jugé, un homme qui assume tout, de son parcours à son «génie», en passant par ses failles. La preuve avec cet entretien rare et précieux accordé à France Football, il y a déjà huit ans.

«Alors que tu étais enfant, tu avais fait rire tout le monde à l'église, au cours du mariage de ton entraîneur Giovanni Valenti. Les invités te regardaient plus que les mariés. Déjà, tu attirais l'attention.
Je me souviens de ce mariage. J'étais enfant de chœur. J'avais un ami enfant de choeur lui aussi. Il se trouvait de l'autre côté de l'église, devant moi. On se faisait des signes, on plaisantait. Les gens nous regardaient et riaient. Peut-être que ce n'était pas le moment de plaisanter... Mais si les gens voient un bambin qui rit, ils rient eux aussi.

Tu étais forcément beaucoup plus insouciant qu'aujourd'hui ?
Ça c'est sûr. C'est peut-être dû à l'âge. Je grandis. Quand tu es petit, tu as un peu moins de responsabilités. Quand j'étais enfant, je n'avais pas tous les yeux du monde sur moi. C'était différent.

Franchement, ça te plaît d'être devenu une star ?
Je suis content. Mon rêve, c'était de devenir, avec le temps, le footballeur le plus fort. C'est normal qu'étant footballeur tu es célèbre. Mais ça me dérange qu'on parle de ma vie privée un peu beaucoup (sic !)...

Tu souris très peu sur les terrains.
Écoute... Si tu restes ici une journée avec moi, tu ne me verras jamais sérieux. Mais sur le terrain, je suis une autre personne parce que je suis concentré sur ce que je fais. Mais, sinon, dans la vie, j'ai toujours le sourire.

Le vrai Balotelli, est-il en dehors du terrain, celui qui sourit toujours, ou sur les pelouses, ultra-concentré ?
Le vrai Balotelli se trouve en dehors du terrain. C'est alors le vrai Mario, en fait. Sur le terrain, c'est Balotelli.

On dit souvent que tout se joue durant l'enfance. Toi, tout petit, tu as subi des opérations très lourdes, dont une qui était vitale.
Je pense que j'ai eu beaucoup de chance. À la fin, ça s'est toujours bien fini pour moi. Il y a quelque chose au-dessus de moi qui doit me maintenir en haut. Parce que je ne suis jamais tombé tout en bas.

On t'a raconté ces longs mois à l'hôpital, à Palerme (NDLR : ville où il est né) ? Tu étais devenu la mascotte de l'hôpital...
Je ne parle pas de ça.

Tu es déjà revenu dans cet hôpital ?
Je suis passé devant il y a trois ans quand j'étais en vacances à Palerme. Mais je n'ai pas voulu entrer.

«Il y a quelque chose au-dessus de moi qui doit me maintenir en haut. Parce que je ne suis jamais tombé tout en bas»

Pense-t-on être indestructible après avoir échappé à ce genre de problème ?
On peut tous être destructibles. Mais, moi, c'est difficile de me détruire.

Qu'est-ce qui te fait mal et pleurer dans la vie ?
Ça me fait mal si on touche à ma famille et à mes amis. Et qu'est-ce qui me fait pleurer ? Rien.

Ta maman (adoptive) ? Est-ce vrai que c'est elle qui parle toujours quand vous vous appelez et que tu as du mal à placer deux mots ?
C'est elle qui te l'a dit ? Normalement, on s'appelle tous les jours.

N'est-ce pas la plus belle chose qui te soit arrivée : tomber sur cette famille Balotelli alors que tu avais deux ans ?
Ç'a été ma chance. S'ils n'avaient pas été là, je ne serais pas au niveau où je suis aujourd'hui.

Es-tu d'accord quand on dit que Balotelli n'est absolument pas sérieux ?
Ceux qui disent ça ne me connaissent pas.

Ne penses-tu pas avoir sacrifié une bonne partie de ton adolescence pour le foot ?
Si je pouvais renaître, je referais les mêmes choses dans ma vie.

(PRESSE SPORTS)

«Si je pouvais renaître, je referais les mêmes choses dans ma vie»

Oui, mais pourquoi tous ces cartons jaunes et rouges récoltés ?
Parfois, tu te sens comme l'unique personne à pouvoir faire gagner un match. Alors, tu prends toutes les responsabilités, tu en fais trop et tu fais quelque chose de mal.

Comment essayes-tu de progresser sur ce point-là ?
(Long silence.) Parfois, sur le terrain, tu cherches à retenir tout à l'intérieur... Le problème, ce n'est pas les autres, c'est moi. Le problème, c'est que je tombe (dans les provocations). Je devrais m'en moquer. C'est ma faute.

Te rappelles-tu ce match avec l'Inter à Turin, contre la Juve (1-1, le 18 avril 2009), quand des supporters juventini avaient entonné à de très nombreuses reprises des chants racistes à ton encontre ? (À la suite de ces incidents, la Juve avait été condamnée à jouer un match à domicile à huis clos.)
Je m'en rappelle très bien. Mais j'avais aussi marqué un but.

Avais-tu compris pourquoi l'arbitre n'avait pas arrêté le match et renvoyé les deux équipes aux vestiaires ?
J'avais fait semblant de ne rien voir. Je voulais jouer, j'étais jeune. C'était à moi de le lui dire. Mais si je l'avais dit à l'arbitre (d'arrêter le match), je n'aurais pas marqué. Je ne supporte pas le racisme, je ne l'accepte pas. Si ça devait arriver une autre fois, je quitterais tout de suite le terrain et je rentrerais à la maison. Nous sommes en 2012. Ce n'est pas possible...

Quand tu étais enfant ou ado, étais-tu provoqué pendant des matches par des propos racistes ?
Oui, c'était arrivé. Parfois, tu es tellement fort (comme joueur) que les gens ne trouvent pas d'autres moyens pour te mettre en colère. Ils pensent que l'unique moyen de te faire mal jouer, c'est de te provoquer.

Un jour, à Rome, en 2009, alors que tu étais dans un bar, des bananes ont été lancées dans ta direction...
(Il coupe.) Comment sais-tu ça ? Ces deux-trois garçons (qui avaient lancé les bananes) ont eu de la chance que la police soit tout de suite arrivée parce que, je te jure, je les aurais roués de coups. Je les aurais vraiment détruits. J'espère que ça n'arrivera plus. Si quelqu'un me lance des bananes dans la rue, j'irai en prison parce que je le tue.

«Je suis différent»

Penses-tu être différent des autres ou est-ce seulement les autres qui te jugent différent ?
Non, je suis différent.

En quoi ?
Si tu trouves un autre gars comme moi, alors je te paye un dîner !

Es-tu un joueur obsédé par le but ?
Je préfère mal jouer, gagner et marquer que bien jouer, perdre et ne pas marquer. L'important, c'est de gagner.

Penses-tu qu'il y a peu de joueurs aussi talentueux que toi ?
C'est parce qu'il y a peu de gens avec ce talent qu'ils sont peu à pouvoir juger ce que je fais. Le talent que Dieu m'a donné est beau, magnifique, mais il m'est difficile à tenir. Parce que tu es toujours confronté à d'autres personnes qui sont prêtes à te juger. Ce n'est pas facile. Mais ce n'est pas un drame. Ceux qui ne me comprennent pas, ça ne m'intéresse pas.

Selon toi, quelle est ta principale force sur un terrain ?
Je ne sais pas... Mais quand je me mets en tête de marquer, je marque. Je sais que je suis fort, mais je pense que ce n'est pas encore assez. Je sais bien tirer, je dribble très bien, mais je dois encore m'améliorer.

Parfois, quand tu t'énerves sur le terrain, on a l'impression que c'est un suicide professionnel...
Ça peut sembler ainsi, mais ce n'est absolument pas le cas. Parfois, tu sais, ça arrive quand tu fais plus que ce que tu dois faire. Tu finis par faire des dégâts sur le terrain. C'est comme un attaquant qui vient défendre dans sa surface et qui provoque un penalty... Ce n'est pas parce qu'il est stupide, mais juste parce qu'il voulait faire plus et aider son équipe.

«Si quelqu'un me lance des bananes dans la rue, j'irai en prison parce que je le tue»

(PRESSE SPORTS)

«Je suis fier d'être italien»

En août 2008, quand tu as eu dix-huit ans, tu as obtenu la citoyenneté italienne. Un moment heureux pour toi ?
Je suis fier d'être italien parce que je suis né en Italie, j'ai grandi en Italie, j'ai étudié en Italie, j'ai travaillé en Italie... Je suis italien.

Mais l'Italie t'a fait du mal avec ces épisodes de racisme...
Je suis noir et fier d'avoir des origines africaines. Je pense que ma chance est d'être noir.

Tu n'as plus de relations avec tes parents biologiques ?
J'ai des rapports avec eux. Parfois, je parle avec eux. Je cherche... (Il ne finit pas sa phrase.)

On dirait que tu souffres toujours...
Je peux dire que je n'ai pas eu la vie facile. On dit de moi que je suis un garçon noir qui s'amuse, gagne de l'argent et a des femmes. Ce n'est pas ainsi. C'est trop facile de juger les gens par rapport à ce que tu vois.

Penses-tu être un génie rebelle ?
Moi ? Oui, je pense être un génie. Mais je ne pense pas être un rebelle. J'ai ma vie, mon monde, je me comporte comme je veux, sans casser les pieds à personne.

Si nous mettons en titre de l'interview : "Je pense être un génie", ça te va ou trouves-tu ça exagéré ?
Si tu demandes à un génie si ce genre de titres le gêne, tu te trompes. Moi, je suis un génie, donc tu ne peux pas me poser cette question. C'est à une personne qui n'est pas un génie que tu dois demander si ce titre va ou pas...

Tu étais fort à l'école ?
Très. Quand quelqu'un dit que je suis stupide, je lui ris en face. Je pense être plus intelligent que la norme. Mais je te jure que ça ne m'intéresse pas de le démonter.»

Yoann Riou