(L'Equipe)

João Pedro, un Brésilien dans la ville

Des deux côtés de l'océan Atlantique, l'attaquant de 18 ans entend ne laisser personne indifférent. Après le Brésil et les débuts fracassants, le voilà lancé dans une épopée anglaise qui doit le conduire vers les sommets.

Il y a dans les incandescences du Maracanã des hasards qui ne trompent pas. Quel meilleur lieu pour naître et devenir le futebolista de ses rêves, délaissant sa peau de gamin des quartiers sans histoire. Sur sa planète, Petit Prince contemple les étoiles pendant que les téméraires de Rio de Janeiro s'écharpent dans le lieu saint. L'enceinte offre autant de récits magnifiques que de mythes, et ces nuits de mai 2019 écrivent une nouvelle page du livre. Il n'a pas un poil sur le caillou, ce João Pedro maigrelet, quand il se lance pour la première fois chez les grands. En deux rencontres, Fluminense voit surgir un joyau. «J'ai rêvé de ces moments-là et je pense que ça n'aurait pas pu être mieux», explique aujourd'hui la nouvelle rising star du foot auriverde, flanquée dans un faubourg près de Londres. Il faut dire qu'avant ses deux matches de folie, où João Pedro inscrit cinq buts pour ses débuts, l'avenir est déjà figé. Il n'a pas encore disputé la moindre minute en professionnel que son transfert en Angleterre, à Watford, est acté pour quatre millions d'euros.

Flu dans le coeur

Le flair, le don du scouting, la chance ou tout à la fois, peu importe au final. João Pedro est le plus heureux du monde lorsqu'il débute avec Flu, l'Angleterre en ligne de mire. «La Premier League a toujours été un rêve pour moi depuis que je suis enfant, assure l'intéressé. J'ai toujours dit à ma mère et à mes managers que j'avais le rêve de jouer ici et que j'allais y arriver.» C'est que la joie communicative de 2020 n'a pas toujours été de mise. Après avoir tapé dans les oranges, les citrons ou le moindre ersatz de ballon de football dans son enfance, João Pedro et sa famille passent proche de la catastrophe. Ce n'est pas une success story des favelas, seulement une conjoncture de vie peu commune. Rapidement repéré, le fiston quitte son chez-lui de Ribeirão Preto lorsqu'il a 10 ans. Flavia Junqueira, maman solitaire, suit son petit. La maison familiale est mise en location, elle trouve un boulot à Rio de Janeiro et le rejeton tape dans le ballon pour l'académie Fluminense. Tout va bien jusqu'en 2015.

«Fluminense nous a pris dans ses bras au moment le plus difficile...»

«J'ai lâché mon travail pour aider João, qui avait des soucis de santé, les locataires sont partis et notre agent de l'époque a refusé de nous aider, rembobine la mère de famille, figure centrale de la structure. Il nous restait à peine 300 reais (50 euros environ, ndlr) de Fluminense, ma mère nous aidait et on avait des dettes. Puis un jour de grand désespoir, je suis arrivé en pleurant au club et le directeur général Marcelo Teixeira m'a reçu pendant près de deux heures... J'ai beaucoup pleuré. Nous n'avions rien pour la maison, mais Fluminense a rapidement résolu cette partie. Ils nous ont proposé un nouveau contrat, avec un meilleur salaire et un nouvel agent nous a aidé. Derrière, les équipementiers ont amélioré notre situation. Fluminense nous a pris dans ses bras au moment le plus difficile. On en aura une gratitude éternelle. João était un garçon quand il est arrivé au club et en est sorti comme un homme.»

Avec Fluminense, les débuts sont idylliques. (Thiago Ribeiro/Thiago Ribeiro/AGIF)

Jamais sans maman

Le club n'a pas épaulé la famille du jeune attaquant en vain. Joueur offensif polyvalent, bien que frêle, João Pedro épate. Des soucis de croissance freinent la progression - «notamment entre 13 et 15 ans», dixit maman - mais les retours sont positifs et l'envie remarquée. «Nous vivions pour Fluminense, poursuit Flavia. Normalement, le dimanche, tout le monde va à la plage. Mais ce n'était pas question d'aller se fatiguer pour l'entraînement du lundi. Parfois, je faisais une exception, parce que je me sentais désolée pour lui. Mais pour atteindre certains objectifs, nous devions abandonner d'autres choses. Il n'y a pas de victoire sans sacrifice.» Ni sans conviction ? L'absence d'un père, parti lorsque Joao avait sept ans, semble avoir renforcé le lien mère-fils. «Ils ne se séparent jamais !», glisse un proche du cercle. «J'ai eu des hauts, des bas, et je suis convaincu que cela m'a aidé lorsque je suis arrivé dans l'équipe première de Fluminense, analyse quant à lui João Pedro sur les raisons de son apprentissage réussi. J'ai eu des débuts inattendus, et mon expérience chez les jeunes n'y est pas étrangère. Comme le fait d'avoir toujours été très proche de ma famille, qui m'a aidé à gérer tout ça. Tout s'est fait de manière très naturelle et ce qu'il se passait sur le terrain reflétait ce qu'il se passait dans ma vie.»

Fortnite, l'adaptation, les rêves

À l'hiver 2020, et comme prévu par l'accord Fluminense-Watford (1), João Pedro rejoint l'Angleterre, suivant les pas d'un autre Brésilien passé par Fluminense et la banlieue de la capitale britannique, Richarlison. Niveau adaptation, la promesse désormais londonienne s'en remet encore aux siens. «Je pensais que ce serait plus difficile, mais je pense qu'avec l'aide de ma famille et le soutien de Watford, je n'ai pas vraiment ressenti le changement, explique le nouveau numéro 17 des Hornets. J'avais très froid au début, mais maintenant je m'y suis habitué. Je fais la plupart de mes repas à la maison. Si j'étais parti seul, j'aurais davantage ressenti l'impact. Mais je suis avec ma mère, ma grand-mère et mon beau-père. Je ne me sens pas seul.» Entre deux parties du jeu vidéo Fortnite (2), João Pedro rêve désormais autrement. Il pense toujours à ses idoles Neymar et Cristiano Ronaldo - «mais surtout Neymar !» -, à son Fluminense chéri, mais voit les choses en grand. «La sélection et les titres majeurs !», sourit-il. Le 28 juin dernier, il a fait ses premiers pas en Premier League face à Southampton, étant à l'origine de l'unique but de son équipe. De quoi donner le sourire à maman, qui lance le mot de la fin. «C'est quelqu'un de gai et enjoué, seulement timide lorsqu'il a besoin de gagner en confiance, dit-elle, consciente du chemin déjà parcouru. C'est un garçon très concentré, qui a de nombreux rêves et qui se bat tous les jours. C'est un guerrier.» Chez William Shakespeare, on appelle ça fighting spirit.

Antoine Bourlon

(1) : Après l'explosion du joueur au niveau professionnel, Fluminense a d'ailleurs tenté de renégocier l'accord, conscient qu'il aurait pu demander davantage que quatre millions d'euros. En vain.
(2) : Avec Kaique Rocha, jeune Brésilien de la Sampdoria, il a créé sa propre équipe esport, Team Vikings, qui compte plus de 60.000 abonnés sur Instagram.

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