Ismael Bennacer (Milan) during the Italian Serie A match between Inter 4-2 Milan at Giuseppe Meazza Stadium on February 09 , 2020 in Milano, Italy. (Photo by Maurizio Borsari/AFLO) u000d (Maurizio Borsari/AFLO/PRESSE S/PRESSE SPORTS)

Ismaël Bennacer : homme de l'ombre apporte la lumière

Un rapport qualité-prix imbattable (16 millions d'euros en provenance d'Empoli), une mentalité de guerrier et un boulot monstre abattu : l'Algérien est déjà indiscutable à Milan. Dans l'ombre, il s'inscrit clairement comme l'un des joueurs les plus réguliers du Championnat. Pour le plus grand bonheur des tifosi.

Bonaventura-Bennacer, une touche. Tout de suite, la tête levée, le corps orienté vers le but. Et malgré un arbitre maladroit qui gêne l'Algérien en se postant devant lui, le numéro 4 avait déjà vu partir Piatek. Une fraction de seconde suffit pour que, entre les jambes de l'arbitre, parte un extérieur du gauche, soyeux. Parce que c'est sa seule passe décisive cette saison, on ne peut que contempler encore et encore cette galette de Bennacer. Symptomatique d'un joueur techniquement minutieux, l’huile qui manque à tout moteur collectif, mais qui peine à être davantage décisif à force de faire toutes les autres tâches sur un terrain. En somme, une vertèbre essentielle de la colonne vertébrale du présent et du futur Milan AC.

Changement de dispositif gagnant

«Il y a clairement un Milan avec et sans Bennacer, amorce Guillaume Maillard-Pacini, journaliste pour Eurosport. Quand il n'est pas là, évidemment que son activité manque. Il y a beaucoup moins de ballons ratissés, il manque toujours un joueur qui casse les lignes.» Deux exercices dans lesquels le natif d'Arles excelle. Deuxième meilleur milanais en progressive passes, il est surtout le leader du Championnat en termes de ballons récupérés (297), sans avoir joué tous les matches. La faute, notamment, à une acclimatation compliquée avec Marco Giampaolo. L'entraîneur, arrivé en provenance de la Sampdoria, positionnait Bennacer en sentinelle dans un milieu à trois. Dispositif et rôle difficiles pour le joueur d'1,75m au gabarit pas vraiment taillé pour l'emploi. «Plus que les joueurs, Giampaolo pensait à son plan de jeu, le fameux 4-3-1-2. Ensuite, Stefano Pioli a beaucoup tâtonné au niveau du schéma parce qu'il y a longtemps eu Suso. Il a opté pour un 4-2-3-1 où il a tout de suite mis Bennacer sur le terrain. Et clairement, dans ce milieu à deux, il s'entend très bien avec Kessie. Les deux font la paire et Pioli a trouvé son milieu de terrain.»

Bennacer a beau être fin techniquement, il n'hésite pas à aller au tampon comme ici face à l'imposant Romelu Lukaku. (Maurizio Borsari/AFLO/PRESSE S/PRESSE SPORTS)

Résultat, 25 matches toutes compétitions confondues, 2259 minutes avec le maillot rossonero et un statut de chouchou acquis à San Siro. «C'est un jeune garçon fiable, discipliné, vertueux, une pépite. C'est le joueur que n'importe qui recherche, murmure un habitué du stade lombard. Je ne suis pas du tout étonné que les plus grands clubs du monde lui courent après. Il ne se laisse bouffer par rien, est concentré sur ce qu'il fait. Ce n'est un secret pour personne qu'il soit le coéquipier idéal, il suffit de regarder son comportement à la CAN.» Au gré des semaines, il a su refaire de son numéro 4 un incontournable à Milan, dix ans après le départ de Kaladze. Fort d'une association complémentaire avec Franck Kessié dans un double pivot, il est parvenu à gommer quelques imperfections pour polir son jeu. Même si tout n'est pas encore parfait.

L'athlète du futur

Pêle-mêle : fluidité, rapidité de pensée, simplicité, voici ce que doit améliorer le milieu de terrain. «Il a une belle protection de balle, mais il contrôle souvent trois ou quatre fois le ballon avant de le donner. Alors parfois, ça ralentit un peu le jeu», analyse Maillard-Pacini. Des lacunes gênantes au poste de sentinelle, mais qu'il compense volontiers par d'autres points forts dans un schéma à deux milieux. Son toucher de balle, notamment, lui permet d'apporter un vrai liant entre défense et attaque, ce qui a longtemps manqué à Milan. Non seulement capable de casser la ligne par sa qualité de passe (9e joueur de Serie A au nombre de passes dans le dernier tiers), il le fait aussi en portant le ballon. Et si jamais on lui barre la route, il compense, là encore, par une autre qualité. «Il arrive facilement à éliminer ses adversaires avec une belle protection de balle. Parfois il peut la perdre mais son point fort c'est vraiment de ratisser, il récupère beaucoup de ballons, gagne beaucoup de duels.»

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Versatilité qui en fait le pion tactique préférentiel de son entraîneur. Constat vérifiable encore tout récemment. «Pioli lui demande souvent de se décaler à gauche pour permettre à Théo Hernandez d'avancer et de rester un peu plus haut, décortique le journaliste. Bennacer recule, se positionne vers la gauche pour compenser. Par sa position, le premier attaquant de l'équipe adverse le marque toujours à la culotte. Mais il a la faculté de souvent se démarquer. Il recule beaucoup pour prendre le ballon, il se l'emmène et ensuite crée le décalage.» Pièce maîtresse sur laquelle ses coéquipiers peuvent s'appuyer aussi, grâce à un mental au service d'un gros coffre physique. «Une hygiène de vie, un comportement irréprochable qui ne laisse pas de place à autre chose que ses valeurs qui font que c'est l'athlète du futur», glisse un proche. Sans être aussi exalté, c'est certain qu'il est au-dessus du lot dans ce registre. Maillard-Pacini ne tarit pas d'éloges à son sujet non plus : «Il n'arrête jamais, sa capacité à multiplier les efforts est assez dingue. Même sur la longueur d'un match, il tient toujours la route à la fin. Et quand les autres ont un petit coup de mou, il prend l'équipe en main et court pour deux.»

Un leader en puissance

Pas de quoi s'imposer comme LE patron de cette équipe, mais assez pour être l'homme de l'ombre qu'il manquait. Raison pour laquelle on lui pardonne une certaine agressivité, qui tend parfois vers l'impulsivité. 12 cartons jaunes pour lui cette saison (plus gros total de l'équipe), ressenti 6 par Guillaume Maillard-Pacini : «Je les ai tous revus, et il y en a au moins la moitié qui sont un peu justes, disons que les arbitres ont pris l'habitude de l'avertir.» Tout compte fait, cette hargne a même du bon. Elle pousse ses coéquipiers à se démener, à davantage resserrer le jeu et à récupérer plus de ballons. «Ca ne peut qu'être un exemple pour toute son équipe. C'est le plus régulier, mis à part quelques matches où il est passé au travers. Dans l'envie, dans le combat, il peut devenir un des leaders du milieu. Il a toutes les capacités pour le faire malgré sa petite taille, encense le journaliste. Les journaux italiens disent que c'est un «acteur non protagoniste», dans le sens où il fait le travail un peu sale que tu ne vois pas sur le terrain, dans l'ombre mais qui est précieux pour l'équipe.» Il ne tient qu'à lui d'aspirer à un plus grand rôle. Davantage de passes décisives serait un bon début. Avec ou sans arbitre dans les pattes.

Émile Gillet