slimani (islam) (A.Reau/L'Equipe)

Islam Slimani : «C'est un manque de respect pour nous»

L'ancien attaquant de Monaco Islam Slimani a accordé une longue interview à France Football cette semaine sur son passage à l'ASM, sa conception du jeu et sa carrière complètement atypique. En marge de cet entretien dans notre magazine, il a également évoqué son rapport avec l'équipe d'Algérie et son pays. Voici ce qu'il dit, et à son image, ça déménage !

«Islam, l’Algérie a remporté la dernière Coupe d’Afrique des Nations (CAN) après plusieurs échecs (2013, 2015, 2017). Pourquoi cela a-t-il finalement fonctionné en 2019 ?
A la CAN 2013, Vahid Halilhodzic (NDLR : le sélectionneur de l’équipe) était en train de construire l’équipe. On était jeunes et naïfs. Les deux suivantes, on aurait pu gagner. La CAN 2015 s’est jouée à rien contre la Côte d’Ivoire en quarts de finale (1-3). En 2017, il y avait des turbulences dans la sélection nationale. En 2019, cela a enfin fonctionné. L’arrivée de Djamel Belmadi a tout changé, parce que l’ossature du groupe n’a pas tant bougé que cela.
 
Pourquoi a-t-il réussi là où les autres ont échoué ?
Djamel Belmadi a une parfaite connaissance du joueur algérien. Il sait comment le prendre, il sait comment lui parler. C’est un mec intelligent qui aime beaucoup son pays et qui a su le transmettre à ses joueurs.
 
A-t-il su pacifier les rapports entre les joueurs nés en Algérie et les binationaux ?
Oui. Il a déjà été capitaine de la sélection par le passé. Il connaît l’environnement local. Il a grandi en France mais c’est quelqu’un qui est venu régulièrement en Algérie. Il connaît les deux mentalités. Cela a clairement beaucoup joué… On est devenu champion d’Afrique avec des joueurs comme Baghdad Bounedjah, Youcef Belaili ou Djamel Benlarmi. Même si ces joueurs n’évoluent pas en Europe, ils ont largement le niveau pour jouer en L1, voire mieux. Je peux dire qu’en Algérie, il y en a d’autres… Récemment, un joueur nous a rejoint en stage, le jeune Adem Zorgane (Paradou AC), il vaut le coup d’œil. Ces talents, il faut leur donner leur chance. Et les clubs algériens doivent comprendre que, parfois, il ne faut pas les retenir…

Lorsque vous étiez en difficulté à Fenerbahçe (il avait été écarté du jour au lendemain), Djamel Belmadi vous a convoqué en dépit de votre absence de temps de jeu. Malgré votre statut de deuxième meilleur buteur de l’histoire de la sélection, avez-vous eu peur de ne pas être appelé ?
Je n’ai pas eu peur. C’est le foot, c’est comme ça. J’avais beaucoup de problèmes en Turquie. Ce n’était pas une question de niveau. Pendant la deuxième partie de la saison (2018-19), c’est devenu une affaire extra-sportive. Les dirigeants sont venus me voir et m’ont dit : "toi, tu es prêté, tu ne joues plus même si tu es le meilleur". Avec Yassine Benzia, ils ne nous ont même pas laissé nous entraîner avec le groupe. C’était du grand n’importe quoi.
 
Vous n’avez rien dit ? Rien fait ?
Comme j’ai de la maturité, je suis resté calme. Mais très honnêtement, cela a viré au cauchemar. Logiquement, je ne devais pas être appelé en sélection mais Djamel connaît mes qualités, et il savait que je me maintenais en forme avec beaucoup de sérieux. Je me suis entouré d’un petit staff pour rester dans le coup. On se parlait au téléphone avec Djamel, et sa confiance m’a galvanisé et redonné de l’espoir dans un moment compliqué.
 
Ces dernières semaines, beaucoup de débats ont eu lieu au sujet d’Houssem Aouar, qui a finalement choisi les Bleus. Par le passé, le cas Nabil Fekir avait beaucoup agité l’actualité des Fennecs. Que pensez-vous de la situation des joueurs binationaux ?
Aouar a fait un choix professionnel. Cela ne veut pas dire qu’il n’aime pas l’Algérie. "Footballistiquement", il ne faut plus parler de lui en tant qu’algérien. J’ai envie de dire aux Algériens d’arrêter de courir derrière des joueurs qui ne veulent pas venir en sélection. Respectez-vous un peu. Aouar et les autres, je les comprends. Ils ont vécu en France, où ils ont fait toute leur formation. S’ils sont sensibles à l’Algérie par leurs liens familiaux, ils sont les bienvenus. Mais s’ils préfèrent un autre pays que l’Algérie, il n’y a pas de souci. On ne va pas se mentir, mis à part les parents ou leurs vacances, ils n’ont parfois rien à voir avec l’Algérie.

«J'ai envie de dire aux Algériens d'arrêter de courir derrière des joueurs qui ne veulent pas venir en sélection. Respectez-vous un peu.»

«On a une histoire, on est champions d'Afrique»

Sur les dernières générations, le réservoir franco-algérien a fourni beaucoup de joueurs. Cela explique-t-il cette attente ?
Oui, mais quand le joueur a choisi, il n’y a plus d’attente. Bien sûr qu’on aurait voulu des joueurs comme Aouar ou Fekir, mais il faut les respecter et se respecter soi-même. Il ne faut plus parler d’eux. C’est dévalorisant pour nous… Certains médias continuent de poser la question : "Pourquoi il n’est pas venu ?’" Mais on ne va pas devenir nul sans ces joueurs…
 
On vous sent agacé…
Je trouve bizarre que l’on continue à parler d’un joueur qui n’a pas choisi notre sélection nationale. Il n’est plus concerné. Pourquoi parler de lui ? C’est un manque de considération pour ceux qui sont là. On a une histoire, on est champions d’Afrique. On ne devrait même plus citer ceux qui ne sont plus concernés. Ils peuvent être algériens quelque part au fond d’eux-mêmes mais ils ne le sont pas sportivement. On a des joueurs. Et ceux qui ne veulent pas venir, il faut les oublier. C’est un manque de respect pour nous. Quand je vois ça, ça me fait mal.
 
A 32 ans, vous avez pas mal baroudé (Algérie, Portugal, Angleterre, Turquie...) : quel est le meilleur joueur avec lequel vous avez joué lors de votre carrière ?
J’ai joué avec beaucoup de bons joueurs, mais je dirais Riyad Mahrez, avec qui j’ai évolué en club à Leicester mais aussi en équipe nationale. Lui, c’est un don qu’il a. Il sait tout faire avec un ballon, il faut juste le mettre en confiance. Un second joueur m’a marqué : Amar Ammour, un milieu de terrain d’une finesse incroyable. Et encore, quand j’ai joué avec lui (au CR Belouizdad, au début des années 2010), il avait déjà 35 ans. Les gens ne vont pas comprendre parce qu’il n’a pas joué en Europe ni réellement en sélection, mais croyez-moi, il était trop fort. C’est ce que je retiens…»
 
Nabil Djellit