(L'Equipe)

Iñaki Williams : «Nous ne sommes pas seulement des joueurs de football»

L'attaquant basque, avant peut-être même d'être Espagnol, porte en lui plusieurs messages. Ceux du travail, de l'égalité et de l'authenticité, qu'il évoque avec France Football dans un entretien sincère.

«Qu'est-ce que cela fait d'être le plus célèbre des Basques ?
Je le vis avec beaucoup de tranquillité, et surtout de la normalité. À Bilbao, surtout, où je passe la majeure partie de mon temps. Les gens nous traitent avec énormément de respect et d'affection. Je m'y sens bien, aimé et valorisé, autant par les supporters de l'Athletic que par tout le monde ici au Pays Basque.

Qu'est-ce que tu aimes le plus de cette vie ?
Avoir eu la chance de pouvoir réaliser mon rêve de gosse, je crois. Cela a toujours été de devenir footballeur professionnel et encore plus à l'Athletic. Tous les enfants qui font du foot, pensent foot, rêvent un jour d'arriver là où j'en suis. Et pouvoir le faire dans l'équipe de ta ville... (il coupe) J'ai eu la chance de représenter Bilbao et, mieux, que les gens qui suivent le club soient fiers de ce que je fais pour ce club sur le terrain. Je suis très content de tout ce chemin et que notre famille ne manque plus de rien aujourd'hui.

Et en dehors du football ?
Le mode de vie. Autant que la météo le permet (rires), je pense que vivre ici est génial. C'est merveilleux. En tant que joueur de l'Athletic, on peut se balader dans la rue en toute banalité, les gens nous reconnaissent forcément mais avec un respect total. Et tout le reste, le style de vie, la gastronomie... C'est un bonheur.

On peut le voir à San Mamés notamment, les gens vivent avec beaucoup de passion.
Tout à fait. Et nous sommes l'équipe du peuple. On représente une région et énormément de personnes. On est conscients de faire partie de la grande histoire de l'Athletic. Les supporters basques te font sentir ce coeur, ce courage et nous poussent. Autant quand les choses vont mal, où on trouve un soutien total, que quand tout se passe bien pour l'équipe. On a la meilleur aficion du monde. Quand on a besoin d'eux, ils répondent toujours présents.

«Se battre entre amis contre le reste du monde, je crois que c'est inestimable...»

Au Pays Basque français, on dit que les gens sont joyeux mais têtus, avec une personnalité forte.
Oui, il y a de ça. On a un caractère dur mais surtout un caractère travailleur. On se dépasse et on a ce trait de personnalité. C'est quelque chose qui se retrouve au club dans la manière de former et de vivre le football. Le message est toujours “passion, force et travail” et c'est quelque chose que l'on essaye de transmettre autour de nous. C'est pour ça, entre autres, que j'ai décidé de rester ici si longtemps (son contrat court jusqu'en 2028, ndlr). Comme je l'ai dit, je m'y sens respecté, aimé et valorisé. C'est toujours là où j'ai voulu être. Et plus que des amis dans le vestiaire, je m'y sens en famille. C'est une famille sur le terrain et en dehors. Forcément, être ici, m'y sentir chez moi, pouvoir profiter tous les jours de mes amis, ma famille, mes proches, c'est la plus belle chose qui puisse m'arriver dans le football. Se battre entre amis contre le reste du monde, je crois que c'est inestimable. Encore plus y arriver face aux meilleurs joueurs du monde, et le faire avec les gens d'ici, les gens de ta ville, à 100% basques.

Le football actuel n'est pourtant pas propice à ce type de parcours...
C'est vrai qu'il y a énormément de mouvements, les joueurs changent d'équipe, l'argent circule... Il y a des transferts énormissimes et les joueurs partent, reviennent, repartent. Ce n'est pas ma philosophie et ce n'est pas celle qui fait de notre club une entité unique à travers le monde. C'est pour cela que les supporters ont autant d'amour pour nous car il y a de l'unité. On se bat avec nos valeurs contre le reste du monde, comme des villageois qui défendent leur maison. Il y a une vraie communion entre le joueur et l'aficionado. Ils t'animent, ils te suivent, ils te poussent avec une passion unique. Le sentiment d'appartenance est exceptionnel. Aucun joueur de l'équipe première n'est là par défaut, il est là car il est animé par cette identité. C'est rare. Et ça développe une puissance en chacun.

San Mamés, la chapelle de l'Athletic. (Athletic Bilbao/CORDON/PRESSE/PRESSE SPORTS)

Tu parlais de famille, et il y a des exemples assez concrets. Aritz, ton “Papa” de football, Muniain, Oscar de Marcos, avec qui tu as un projet au Ghana...
Je crois que les amitiés et les bonnes vibrations qu'il y a entre nous ont une grande importance dans le développement et le jeu de l'équipe. Nous sommes des amis de football mais plus que ça encore. Grâce à ça, quand tout ne se déroule pas comme on pourrait l'imaginer, l'équipe s'entraide car les personnes s'aiment. C'est évidemment plus naturel de se battre pour son prochain quand il y a cette unité. Tout le monde se connaît parfaitement, connaît les particularités de chacun et tout le monde tire dans le même sens. Tout cela fait de nous une équipe différente. Il y a des amitiés réelles. L'Athletic, c'est une famille dont l'objectif est toujours commun : porter cette famille le plus haut possible.

En parlant de famille, il y a Nico Williams, ton petit frère, qui arrive petit à petit. Cela doit être spécial, non ?
J'ai un rêve, c'est de jouer avec lui en équipe première. J'ai envie de marquer l'histoire de ce club et j'aimerais le faire aux côtés de mon petit frère. Ça serait exceptionnel. Imagine, deux joueurs de couleur noire, frères, qui jouent ensemble et poussent l'Athletic au plus haut niveau possible. Ça serait fou, et encore plus pour nos parents qui verraient sur le terrain leurs deux enfants mettre des buts et les célébrer ensemble. C'est leur rêve, mon rêve également, et on espère juste une chose désormais, y arriver.

Il vient de prolonger au club. C'est toi qui mènes les négociations ?
Non, non (rires). Je veux qu'il prenne son propre chemin et qu'il décide par lui-même. Je suis là pour l'aider et le conseiller, c'est toujours ce que j'ai fait depuis petit, mais je lui ai surtout dit de faire ce qu'il sentait être le mieux pour lui. Et quand est arrivée l'heure de signer son premier contrat, tout le monde était d'accord sur le fait que la meilleure solution était d'être à Bilbao. Il devient un homme, il a un potentiel énorme pour être avec moi, demain, en équipe première. Mais avant ça, il doit encore se montrer, se bâtir et s'améliorer !

À quoi ressemble Iñaki Williams dans la vie quotidienne ?
Je suis un gars très normal, et très famille. C'est du moins comme ça que l'on me qualifie souvent. Je m'entoure des gens que j'aime, qui m'ont vu naître et grandir, qui ont vu le Iñaki footballeur aussi. Je suis le genre de garçon qui essaye toujours de sortir un sourire et j'aime profiter de “mes” gens. Ma famille, mes amis, ma petite amie... C'est ce qui me rend heureux et qui me permet aussi, parfois, de sortir un peu du football.

Tu te définis comme un “talent des quartiers”. Comment tu définirais ce terme ?
Je dirais que grandir dans un quartier, c'est être un peu marginal et à la fois tenter de s'en sortir par tous les moyens. J'ai grandi dans une famille humble et ce que je suis devenu, je me le suis gagné. J'étais loin de cocher toutes les cases de la super estrella (la super étoile, ou plutôt la pépite en français, ndlr). Mais j'ai essayé de m'accrocher pour développer le talent que j'avais. Le quartier m'a donné la faim de sortir de là et de faire quelque chose de bien dans ma vie. Je suis sorti du quartier en étant personne et avec la volonté d'aller de l'avant en aidant ma famille.

«Toutes les difficultés ont modelé l'homme que je suis...»

Les difficultés de ta famille, c'est cela qui t'a donné un supplément d'âme ?
Avoir grandi dans un environnement modeste, sans avoir grand chose, m'a forgé. Ma famille est très travailleuse et tout ce que mes parents ont gagné est arrivé à force de travail. C'est ce que j'ai vu et ce qu'on m'a inculqué depuis petit. Tout n'arrive pas par hasard. Si tu ne te tues pas sur le terrain, aux entraînements, c'est simple, c'est le copain qui joue. Tu es le seul maître à bord et il faut se dépasser. J'ai toujours vu le football de cette manière. Au final, toutes les difficultés ont modelé l'homme que je suis, c'est évident. Cela a fait de moi une meilleure personne mais aussi un meilleur footballeur. Je me suis rendu compte rapidement que tout allait dépendre de moi et moi seul pour réaliser mon rêve, et cela m'a construit. Je ne changerais pas grand chose de ce que j'ai vécu de ma vie.

Tu es très fier de ton “chez toi”.
Oui, car tout ce qu'on a réussi à avoir et tout ce que mes parents ont réussi à nous offrir, à Nico comme à moi, est le résultat d'énormément de travail. Ils voulaient nous offrir le futur qu'ils n'avaient pas eu. Et des personnes comme mes parents, il y en a des milliers. Qui ont dit adieu à leur famille, à leur terre, à leurs proches dans l'espoir d'une vie meilleure pour leurs enfants. Je suis heureux et extrêmement fier de ce qu'ont fait mes parents. Ils méritent que je leur renvoie l'ascenseur.

Il y a des choses que tu n'as jamais dites ?
Bien sûr, et il y a des choses positives dont j'adore parler. Mais certaines choses du quartier restent au quartier, comme on dit...

Titi basque. (Urbanandsport/CORDON/PRESSE SP/PRESSE SPORTS)

Il y a des personnes qui t'ont inspiré ou t'inspirent toujours ?
Énormément. Pendant le confinement, j'ai profité du temps libre pour découvrir encore plus l'une de mes idoles qui est Michael Jordan. Notamment en regardant le documentaire qu'a fait Netflix. Je connaissais son histoire mais pas autant que ce que j'ai découvert sur la personne. Je m'en inspire, car ce n'est pas seulement le talent qui te permet d'atteindre tes objectifs. C'est l'envie et la passion que tu mets dans tes actes pour devenir meilleur. C'est ce genre d'exemples qui peut inspirer les jeunes générations et les pousser à se surpasser chaque jour pour toujours faire mieux. Beaucoup n'ont pas ce truc à l'entraînement, cette exigence, et quand tu regardes les grands sportifs du monde, comme l'a été Michael Jordan, il voulait toujours plus. Plus, plus, plus... C'est ça qui a fait la différence et qui a fait l'histoire.

Et dans le football ?
J'en ai plusieurs, mais celui qui a le plus marqué mon enfance, c'est Samuel Eto'o. Je m'identifiais beaucoup à son style de jeu et, comme tout enfant, j'essayais de faire la même chose. Il était un attaquant qui attaquait les espaces, profitant de sa vitesse. J'étais aussi très rapide donc c'était un exemple. J'ai d'ailleurs une petite histoire avec lui... Ma maman travaillait à l'aéroport de Pampelune et quand le Barça est venu affronter Osasuna, elle m'a amené. J'ai pu donner une carte à Samuel Eto'o, j'avais 10-11 ans, et je lui ai écris que c'était mon idole, mon modèle, que j'étais fan de son style et que je voulais devenir comme lui.

Penses-tu que les joueurs de football, eux aussi, peuvent et doivent être des exemples ?
On a une responsabilité. Et surtout pour les enfants et les plus jeunes. Souvent, ils nous prennent pour exemple, recopient, et c'est normal. C'est dans ce sens que l'on doit s'imposer une bonne conduite. En tout cas faire de notre mieux pour les pousser à faire mieux, à agir mieux. Il ne faut pas uniquement parler de la célébrité, des voitures, des vacances et tous ces trucs-là... Il faut aller plus loin, parler du chemin emprunté par tel ou tel joueur pour justement en arriver-là. C'est à base de travail et d'efforts. Un Lionel Messi, il n'y en a qu'un sur Terre, et même Messi a travaillé, travaillé (il répète). C'est pour ça qu'il faut montrer la bonne voie. Si tu n'y arrives pas, ne regarde pas le sol, ne te plains pas, tente au contraire de faire encore mieux, encore plus. Je crois que c'est l'unique chemin du succès.

Plus que l'importance du sacrifice, tu portes aussi un message contre le racisme.
À titre purement personnel, je n'ai jamais vraiment été victime d'insultes dans des stades de foot (hormis quelques exceptions, qu'il a condamnées, comme à l'Espanyol Barcelone en janvier dernier, ndlr). Et plus que dans les stades, dans la vie quotidienne également. Je crois que l'on est en train de faire un pas avant, néanmoins, et il faut faire comprendre à toutes les personnes que nous sommes égaux. Peu importe la peau, l'origine, l'ethnie, l'orientation sexuelle... Tous, tous, tous, nous sommes faits de chair et d'os. Il faut faire passer ce message-là, surtout aux nouvelles générations. Eux, ils ne font que copier ce qu'ils voient des grands. Il faut éduquer, inculquer l'amour de son prochain peu importe sa peau, son sexe ou ce qu'il est. Au Pays Basque, la population est extrêmement respectueuse. Je n'ai jamais eu de souci vis-à-vis de ma couleur de peau. J'en suis fier. Les gens respectent et aiment Iñaki Williams, et il faut aussi que cela soit le cas pour toutes les personnes de couleur en général. L'immigration, ce n'est pas un phénomène choisi. Il faut comprendre que si des gens quittent leur pays, c'est seulement car la situation de leur pays ne leur permet pas de rester. Personne ne souhaite partir de sa maison, sinon. C'est le message qu'il faut faire passer.

Durant de nombreuses années, il était de coutume de dire que les joueurs de football ne devaient pas être “politisés”. Aujourd'hui, et un peu partout en Europe, cela change.
Nous sommes en mesure de toucher beaucoup de monde par nos discours et nos mots. C'est une question d'exemple, comme je le disais, et toutes nos actions ont une résonnance particulière. Dans beaucoup d'aspects, on doit dire ce que l'on pense sur la société, la politique, l'actualité... C'est aussi montrer aux gens que cela nous touche. Nous ne sommes pas seulement des joueurs de football à qui la vie a offert un cadre agréable. Non, ce qu'il se passe dans le quotidien des gens nous importe et nous touche. J'ai énormément d'amis qui font leurs huit ou dix heures par jour, dont le quotidien n'est pas toujours joyeux et il faut prendre conscience de cela. La vie des gens nous concerne. C'est être un citoyen. Je veux que les gens se souviennent de moi comme footballeur mais aussi comme une bonne personne. C'est mon objectif de vie.»
 
Antoine Bourlon
 
 
(illustration : Athletic Club Bilbao)

«Tous, tous, tous, nous sommes faits de chair et d'os...»