aouar (houssem) (A.Martin/L'Equipe)

Houssem Aouar, vie d'esthète

Biberonné au jeu léché et aux skills, le milieu offensif de l'Olympique Lyonnais n'en démord jamais : son style, inné, presque unique, colle à sa peau depuis tout gamin. Plongée dans cette quête perpétuelle du beau.

La nuit de Manchester, en cette fin d'été 2018, a glacé le sang des locaux autant qu'elle a réchauffé les coeurs gones. Lyon a battu l'ogre bleu ciel et l'après-match se veut festif. Les petits débriefs louent cet OL enchanteur, guidé par les détails savoureux et les prises de décision de son milieu de terrain. Pep Guardiola a retenu un nom : Houssem Aouar. «Un très bon joueur, incroyable !», reconnaît le Mister... Ce n'est pas une ôde à son talent ou une tirade merveilleuse, seulement quelques mots comme une approbation. Tout au plus un passe-droit pour la confrérie des «beaux joueurs». C'est enfin et surtout une étape auxiliaire dans le processus de développement. «Il fait partie de ces joueurs qui ont la classe naturellement sans faire beaucoup de bruit, sourit Armand Garrido, ancien formateur à l'OL. Il y a un peu de tout. Houssem, c'est un cocktail de plusieurs joueurs de qualité.» Impossible d'en faire fi : il y a quelque chose de spécial. Un présent génétique ou un don de la nature, peu importe après tout, que les années à Tola Vologe, le centre d'entraînement de Lyon, n'ont cessé d'affiner. «J'ai toujours trouvé que c'était un joueur élégant, appliqué, poursuit son entraîneur en U17. Les gestes sont beaux. Il a un coup d'oeil, il sent le jeu. Quand il marquait, ce n'était pas des grosses frappes, mais beaucoup de finesse.»

Éloge de la première touche

De ces fragments techniques, ressort inévitablement cette première touche de balle. Il y a un peu de Thiago Alcantara à le voir bouger les hanches et coordonner le geste. Mais au-delà de l'ornement, les techniciens y voient avant tout une esquive utile. «S'il a la possibilité de prendre le ballon de face, en plus d'arriver en conduite, il a une aisance technique et un sens de percussion très importants, narre Sylvain Ripoll, mentor chez les Espoirs. C'est quelqu'un qui déclenche. Sa première touche, même quand il est dos au jeu ou de trois-quarts, est très efficace pour se mettre dans le sens du jeu.» Armand Garrido philosophe avec moins de poésie, mais l'idée est la même : «C'est le genre de joueur qu'on appelait le "nettoyeur de ballon". Vous lui donnez un ballon dégueulasse et il va vous le rendre propre. Cette application est naturelle. C'est sa manière d'être. Même sur sa personne. C'est un esthète du football.» Étonné par les superlatifs qui accompagnent son évolution, Houssem Aouar accepte ces compliments stylistiques sans en faire une obsession. «C'est Zidane qui est beau à voir jouer, exhale-t-il dans les coursives du Groupama Stadium. Moi, je n'en ai pas l'impression...» Pourtant, c'est de cette fluidité, héritée d'un corps fluet et de joutes enfantines faites de dribbles, d'évitement et de défis, que Houssem Aouar tient son jeu.

Pur produit de la formation lyonnaise, Houssem Aouar assure la grande lignée des joueurs formés au club. (A.Martin/L'Equipe)

Le bon dosage, le bon rythme

Il en développera une énergie créative, à polir désormais, et une précision dans le dosage. Vite leader technique des jeunes de l'OL et porté par ses capacités instinctives, le numéro 10 en garde une confiance inhérente à son parcours de baby gone, la passe comme atout majeur. Une qualité forcément appropriée au jeu entre les lignes et éminemment collective dans la plupart des situations. Rapidement juste, précis, comme décrit par les addicts de la main courante, le jeu de Houssem Aouar trahit une autre faculté : l'analyse.

«Il sait quand le jeu mérite accélération ou quand il faut temporiser...»

«Houssem, enfant, il n'était pas très grand, pas très costaud, mais il avait déjà un jeu d'adulte, rembobine un vieux complice de l'académie. Ce jeu de contrôle, avec ce côté “je regarde ce qu'il y a autour de moi et je fais la passe qu'il faut”, ça, c'est inné. Personne ne lui a appris.» «Il a la qualité de passe mais aussi le sens du timing, abonde Ripoll, le sélectionneur des Bleuets, reconnaissant. Un ballon qui est donné trop tôt ou trop tard, même d'une demi-seconde, et ce n'est plus la même situation. Lui est toujours très juste, avec une maîtrise des rythmes. Il sait quand le jeu mérite accélération ou quand il faut temporiser. Le jeu n'est fait que de changements de rythme. Houssem sait parfaitement analyser ça.»

Laisser place à la création

Un jeu très cérébral, sixième sens que le principal intéressé voit aussi comme un défaut (1), soigné par des séances de décodage numérique. Fidèle des après-matches analytiques, planté devant la très détaillée application WyScout, le jeune milieu se veut ambitieux. «Dès ses 16 ans, il savait où il voulait aller, dépeint Garrido. C'est un meneur de jeu, sur le terrain et en dehors. La réussite, il est allé la chercher. C'est quelqu'un qui a la reconnaissance du travail, qui sait par où il est passé.» Un désir XXL qui se conjugue avec un besoin de liberté et de complicité. En privé, l'enfant du Rhône se languit des intégrations progressives de joueurs à la fibre technique comme Maxence Caqueret et Bruno Guimarães. Il reconnaît aussi le bon compromis trouvé par Rudi Garcia, son entraîneur, entre rigueur, activité sans ballon et prise d'initiatives. Après une synthèse de fin de saison, à l'aube de l'été 2019, il avait pris la décision de tenter davantage, tant au niveau des frappes que de la percussion. Le bilan statistique en est désormais meilleur et les dribbles plus nombreux. «On le sent de plus en plus performant dans les trente derniers mètres, avec la capacité de donner le dernier ballon et la justesse devant le but», livre Ripoll. D'aucuns estiment cette remise en question comme l'origine de séquences notables, comme face à la Juventus en huitièmes de finale aller de Ligue des champions, au mois de février. Depuis le côté gauche, sa série de dribbles, suivie de la passe décisive pour Lucas Tousart, inversait les perceptions : le petit venait de manger le gros.

Avec Bruno Guimarães et Houssem Aouar, l'amitié franco-brésilienne se porte bien. (E.Garnier/L'Equipe)

Vecteurs de progrès

L'aile gauche, une expérience ponctuelle où les déceptions sont rares. Le poste offre liberté, le résultat se résume en un catalyseur redoutable capable de se faire oublier. «Quand vous démarrez vos actions à droite, et que le bloc adverse coulisse côté gauche, il faut vite revenir de l'autre côté pour créer un temps d'avance, illustre Sylvain Ripoll. Houssem, si on arrive à le toucher comme ça, dans l'autre zone, avec ce temps d'avance, c'est le mettre dans les meilleures conditions pour créer des décalages.» Armand Garrido force le trait : «Quand on a un joueur de cette qualité, on peut le faire jouer partout. Même défenseur central s'il le faut. De toute manière, il saura où se placer, il sentira le jeu. Il a une qualité technique qui lui permet de s'adapter un peu à tous les postes.» Reste à évoluer, encore.

«Houssem est attentif à tout, il est comme ça dans la vie...»

«Il peut progresser, par exemple frapper un petit peu plus encore quand c'est le choix qui s'impose, prodigue un habitué des infrastructures OL. Mais aussi s'améliorer sur le jeu de tête, l'état d'esprit, l'élimination... Ce qu'il fait, c'est très très bien, mais ce n'est pas encore parfait. Cela suffit pour beaucoup de matches mais peut-être pas pour une saison entière.» De la plupart des conversations, émerge ce double axe de progression : évolution tactique et technique globale et mentalité. «Pour vous dire à quel point c'est un joueur propre, un jour, un match s'était mal passé et j'avais ensuite fait un entraînement sur le terrain en gore (terre battue, ndlr), rigole Armand Garrido. Il pleuvait, et le gore sur les maillots, ce n'est jamais bien propre. Lui, c'était le seul qui avait le maillot propre. Je ne sais pas comment il se débrouillait. Ça fait partie de cette caractéristique de Houssem qui est attentif à tout. Il est comme ça dans la vie.» Pour atteindre un palier supplémentaire, et convaincre encore davantage Didier Deschamps ou Pep Guardiola, peut-être faudra-t-il salir le short plus régulièrement. Mais à 22 ans, rien ne presse.

Antoine Bourlon et Emile Gillet

(1) : Houssem Aouar à Canal+ : «Il y a toujours ce côté cérébral en moi. Mais parfois, il faut peut-être mettre le cerveau sur off et foncer plus pour être plus confiant.»

Lire aussi :
- Maxence Caqueret, casser les lignes et les codes