ben arfa (hatem) (R.Perrocheau/L'Equipe)

«Hatem, c'est Messi dans les jambes et... on ne sait pas qui dans la tête» : Les anciens de l'INF Clairefontaine racontent leur Hatem Ben Arfa

C'était il y a 20 ans : à Clairefontaine, les Abou Diaby, Ricardo Faty ou Geoffrey Jourdren faisaient partie de la même promo aux côtés d'Hatem Ben Arfa. Alors que HBA est de retour en France, à Bordeaux, plusieurs anciens de l'INF analysent la trajectoire de l'international français.

Le lien entre les anciens membres de l'INF Clairefontaine

Quentin Westberg : «J'ai une attache très particulière avec l'INF. Qu'on soit en lien constant ou pas, on suit bien sûr la carrière et les parcours de vie de chacun. Cela avait laissé un lien à un point inestimable. On est en contact hyper fréquents, plusieurs fois par semaine. On a cette espèce de passé commun. On a un lien familial qui nous unit. Avec ce socle commun d'éducation footballistique et humaine. On nous a enseigné les mêmes valeurs à 13 ans. On a passé trois années très fondatrices en tant qu'homme. Dans les semaines ou les mois à venir, on a cette idée de se rassembler à nouveau. Hatem n'est pas directement actif, mais la porte lui est complètement ouverte. Quand on est Hatem, les sollicitations sont différentes, mais il fait complètement partie de la famille.»
 
Ricardo Faty : «On a des rapports assez sporadiques. On peut être en contact très souvent à un moment donné, puis ne plus se parler pendant une certaine période. Hatem est assez particulier par rapport à ça. Mais quand on se retrouve, on refait le monde. Comme je l'ai toujours dit : avec la promotion de Clairefontaine, on est comme des frères. On se retrouve toujours avec un grand plaisir. Hatem, il est comme mon petit frère.»
 
Alexandre Raineau : «Même si on ne se voit pas tous les jours, j'ai l'impression qu'on a tous un sentiment d'appartenance à cette génération 86 à Clairefontaine. On a grandi ensemble mine de rien et j'ai personnellement suivi tout le monde tout au long de leurs carrières. C'est une fierté de voir Hatem nous représenter. Comme pour les autres à l'image d'Abou Diaby à Arsenal ou chez les Bleus... Les matches, tu ne les regardes pas de la même manière.»

Le souvenir d'Hatem Ben Arfa à Clairefontaine

Quentin Westberg : «Un jour, il m'a sali devant tout l'INF. En fin d'entraînement, on faisait une conservation : on était première année à l'époque. Les deuxièmes et troisièmes années passaient juste à côté de notre terrain. Hatem reçoit une balle dans le coin, j'arrive vite sur lui pour l'enfermer et il me met un petit pont sorti de nulle part devant 60 gamins à 13-14-15 ans. Je m'en rappelle comme si c'était hier. Tu sais le : "Oooh ! ". Un coup d'éclat, un coup de génie.»
 
Ricardo Faty : «En fait, le souvenir que j'ai de lui, c'était avant Clairefontaine. J'avais 12 ans, lui 11, on avait fait un test à Saint-Étienne. On ne se connaissait pas, on a tout de suite accroché. J'ai vu ce talent à 11 ans, je n'en croyais pas mes yeux. Ça m'a marqué. Sur le chemin du retour, je le revois dormir dans les bras de son père, c'était assez cocasse. Quand je pense à Hatem, je pense à ça : ce petit insouciant, phénoménal. Ce côté un peu enfantin, joueur, spontané.»
 
Garra Dembélé : «Il a pu intégrer la promotion 1986 alors que c'était un 1987. Aux entraînements, on ne voyait pas la différence. La seule différence qu'il y avait, c'était le gabarit. Mais ce qu'il avait dans les pieds était hallucinant. Un souvenir ? L'un des premiers entraînements : on faisait des un contre deux. Un gardien de but, deux défenseurs et un attaquant. Il fallait passer les deux défenseurs et marquer : les deux se sont percutés et sont restés au sol. Il y en a qui s'était même ouvert la tête. Crochet, passement de jambes, feinte de frappe... Je crois même que le gardien était tombé... C'est un génie.»
 
Habib Bellaïd : «Hatem, c'était le petit surdoué. Comme dans une cour d'école, on le protégeait parce qu'il avait un an de moins que nous. J'ai le souvenir d'un gamin qui avait le respect du plus ancien. Ça ne devait pas être facile pour lui de se retrouver avec des mecs plus âgés. Je crois qu'on l'avait bien compris de notre côté et qu'on a tout fait pour qu'il se sente le plus à l'aise possible.»
 
Alexandre Raineau : «C'est comme si c'était notre petit frère. On a tous compris très vite qu'il avait plus de talent que beaucoup. Alors, on avait une attitude très protectrice envers lui. On avait tous l'envie de le pousser au maximum parce qu'on savait que son talent exploserait au grand jour.»

Faty : «Sur le chemin du retour, je le revois dormir dans les bras de son père»

La carrière d'Hatem Ben Arfa

Quentin Westberg : «Il a 33 ans, il y a différents angles à son sujet : est-ce un talent inexploité ou a-t-il fait une belle carrière, en permettant à beaucoup de monde de vivre de beaux moments ? Je dirais qu'il a fait une belle carrière. On a ce débat de savoir s'il aurait pu faire mieux : ça, oui, j'en suis sûr. Il ne faut pas oublier tout ce qu'il a déjà fait, qu'il a touché le haut niveau. Pas avec la régularité qu'on lui aurait souhaitée, mais il a ce truc en plus, ce truc qui fait déplacer les gens au stade.»
 
Ricardo Faty : «Tout le monde le sait, il a une carrière en dent de scie. Des débuts prometteurs à Lyon et à Marseille. Il a fait de bonnes choses à Newcastle mais ensuite, c'est vrai qu'il a eu une très grosse blessure (NDLR : Il a été gravement blessé à la jambe en 2010). Ça l'a un peu ralenti dans sa progression. Il aurait pu faire une meilleure carrière, bien sûr, on aurait tous des choses à redire au regard de son potentiel et de ses capacités, mais le plus important c'est qu'il se sente bien. Un gâchis ? Avec le recul, je me dis que c'est la carrière qu'il a choisie. Un gâchis, oui, forcément, j'aurais aimé voir Hatem régulièrement en équipe de France, dans les grands clubs, soulever une Ligue des champions car il en avait les capacités. Est-ce qu'il en avait vraiment envie ? C'est encore un autre débat. Je me dis que le fait qu'il arrive à prendre du plaisir, comme il le dit, et qu'il est encore performant à 33 ans : je suis content pour lui, je suis content de le voir sur le terrain que ce soit à Bordeaux, en Espagne...»
 
Garra Dembélé : «Sa carrière, je peux pas dire que ce soit un gâchis. À un moment donné, pas des mauvaises décisions, mais ça n'est pas passé dans des clubs. Hatem, c'est un boudeur, c'est un râleur... C'est Hatem ! C'est un diamant brut. Hatem, normalement, il a facile 80 sélections en équipe de France. C'est un joueur qu'on voit tous les dix ans. Quand il est en forme, vous le sentez sur le terrain.»
 
Habib Bellaïd : «Hatem, c'est Messi dans les jambes et... on ne sait pas qui dans la tête. S'il avait eu une progression linéaire ou aussi structurée qu'un Karim Benzema, il aurait été du niveau de Messi. Il a eu plein de frasques extra-sportives et il n'a pas forcément des bons choix, mais je trouve que depuis le départ, les médias n'ont pas été tendres avec lui. Il a été starisé un peu trop tôt et il y a eu beaucoup d'attente envers lui. Le moindre pet de travers, on lui tirait à balles réelles dessus. Par exemple la fois où il refuse de rentrer avec l'OM contre le PSG en 2008. S'il avait joué à Dijon, tu n'en aurais même pas entendu parler de cette histoire. Mais c'est Hatem Ben Arfa. Je suis sûr qu'il y a plein de joueurs qui ont refusé de rentrer. Mais que les gens réfléchissent deux secondes et se rappellent qu'il avait à peine 21 ans à cette époque. C'était un gamin ! À cet âge-là, t'es encore un bébé ! Vous vous rendez compte tout ce qu'il avait sur ses épaules ? Mais bien sûr que ton cerveau il pète ! Hatem ne supportait pas la frustration de toute manière. Dans sa tête, il devait jouer alors il n'a pas compris et il a vrillé. Et puis quand il se braque, va t'amuser à le récupérer derrière...»
 
Alexandre Raineau : «Il a eu des hauts et des bas. Des choix de carrière et beaucoup de choses qui se sont passées. Mais qui sommes-nous pour le juger ? Moi, j'ai envie de retenir son passage à Nice où il a brillé comme jamais. C'est ce Hatem-là que je veux revoir. J'ai hâte de revoir ses chevauchées spectaculaires. En Ligue 1, il n'y en a pas beaucoup des comme lui. On pourra tout dire sur lui , mais on ne pourra jamais lui reprocher son amour du ballon et les émotions qu'il procure.»

L'arrivée à Bordeaux

Quentin Westberg : «Bordeaux, qui n'avait pas recruté, qui était dans un climat un peu morose, signe Ben Arfa et ça ravive une espèce de petite attente. Tout à coup, on parle de Bordeaux, on voit des images de l'entraînement... Ça, c'est Hatem. Il ne laisse pas indifférent. L'engouement qu'il suscite en dit long. À Bordeaux, c'est plus un mariage Jean-Louis Gasset – Hatem Ben Arfa. Dans son parcours, l'entraîneur a joué un rôle ultra-important. On a vu à Nice avec (Claude) Puel. Ils se sont croisés en équipe de France avec Hatem et ce parcours ensemble a été bien réfléchi. Hatem, à partir du moment où les attentes sont respectées des deux côtés et qu'il y a du dialogue, les capacités, il les a pour faire du bien à Bordeaux.»
 
Ricardo Faty : «Je suis content qu'il puisse trouver un club où il puisse s'épanouir. J'ai entendu qu'il y avait un bon feeling avec Jean-Louis Gasset. C'est un coach intéressant pour lui pour essayer de bien terminer, même si je pense qu'il a encore quelques années devant lui. C'est bien qu'il soit revenu en France. Il a montré que, en Ligue 1, il est vraiment au niveau. Il y prend du plaisir. Je préfère le voir là qu'en Asie ou dans le Golfe.»
 
Garra Dembélé : «Son expérience en Espagne ne s'est pas très bien passée. J'ai envie qu'il ferme la bouche de ceux qui disent que, depuis Nice, Ben Arfa, ça vaut que dalle. J'ai envie qu'il montre. Il n'a pas à se racheter. Il n'a rien à prouver à personne selon moi. J'ai juste envie qu'il kiffe, qu'il prenne du plaisir comme quand il était à Nice. Là-bas, on se disait que (Claude) Puel avait tout compris avec Hatem. Il faut savoir le prendre. Et il peut faire énormément de bien à Bordeaux.»
 
Habib Bellaïd : «Il peut encore surprendre pas mal de gens à mon avis. Il va en étonner plus d'un. Vous allez voir que celui qui va avoir raison, comme beaucoup de fois ces derniers temps, ce sera Jean-Louis Gasset. Il connaît bien la Ligue 1, la psychologie des joueurs. S'il a pris Hatem, c'est pas pour rien. À Bordeaux, il sera le boss de l'équipe. À part Koscielny et Costil, je vais être franc, je suis incapable de citer des joueurs des Girondins. Bordeaux ne m'intéresse plus et j'ai l'impression que c'est la même chose pour pas mal de gens. Avec Hatem, les gens vont se mettre à regarder Bordeaux. J'ai entendu pas mal de supporters bordelais dire qu'il y avait un manque de créativité, qu'ils s'emmerdent... Avec Hatem, tu ne t'emmerdes pas. Dans le bon, comme dans le mauvais. Je l'ai vu affûté en tout cas. On a des amis en commun en Tunisie et ils m'ont dit qu'il a fait une très très grosse prépa. Il a bossé tous les jours.»

Ironie du sort, Bellaïd et Ben Arfa se sont déjà retrouvé sur les pelouses de Ligue 1. (BOUTROUX/L'Equipe)

Bellaïd : «Quand il se braque, va t'amuser à le récupérer derrière...»

Dembélé : « J'ai envie qu'il ferme la bouche de ceux qui disent que, depuis Nice, Ben Arfa, ça vaut que dalle.»

Les similarités du Ben Arfa de Clairefontaine et du Ben Arfa d'aujourd'hui

Quentin Westberg : «Il a cette authenticité et, même temps, ce caractère qui fait de lui quelqu'un de créatif et pas forcément subordonné. Il est créatif, pas forcément consensuel, et pas hyper régulier dans ses émotions, ses comportements. Mais c'est ce qui fait sa créativité sur le terrain. Il était comme ça à l'époque, et il est encore comme ça maintenant. S'il y a un truc qu'on ne peut pas lui enlever, c'est son authenticité.»
 
Ricardo Faty : «Son insouciance, sa spontanéité balle au pied. Il les a toujours eus. C'est sa marque de fabrique. À 13 ans, 15 ans, même avant, la chose qui lui restera toujours, même à 40 ans, c'est cette spontanéité et son agilité avec le ballon. Il a vraiment un rapport avec le ballon qui est exceptionnel. C'est ça qui fait la différence entre Hatem et les joueurs normaux. Il a aussi cette faculté à donner du plaisir aux gens.»

Habib Bellaïd : «Il a toujours gardé ce rapport de gosse avec le football. Dans sa tête, il joue au foot. Son kif, c'est le ballon et rien d'autre. Tout ce qui va être autour, ça l'emmerde. Hatem, il aime le foot. Tu lui dis de faire un five, c'est le premier. Il pue le foot et il s'en fout complètement du reste. Il peut prendre plein de choses à la légère autour. Sur ça, il n'a pas bougé.»

Timothé Crépin et Johan Tabau