yilmaz (burak) (J.Prevost/L'Equipe)

Grand Format : Burak Yilmaz (Lille), bête de Turc

Idole chez lui, méconnu ailleurs. A 35 ans, après de longues et riches années en Turquie, Burak Yilmaz a débarqué à Lille l'été dernier dans un relatif anonymat. Mais désormais, en L1, tout le monde sait qui il est ! FF est allé à la rencontre de ceux qui ont eu le privilège de le suivre entre Europe et Asie. Portrait d'un caractère bien trempé.

Un sommet importantissime pour le titre de champion de France à Lyon ? Un retard de deux buts après à peine 35 minutes ? Pas de quoi effrayer un Burak Yilmaz habitué aux duels stambouliotes incandescents. Le LOSC le savait, mais il le sait toujours plus après le succès dans le Rhône dimanche (3-2) : il pourra toujours compter sur Burak Yilmaz. Avec 12 buts et 5 passes décisives en 19 apparitions, Yilmaz est l'un des joueurs les plus décisifs de Christophe Galtier. Et peu importe l'issue du Championnat 2020-21, les Dogues peuvent déjà le remercier.

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Une première saison lilloise réussie comme une preuve de plus qu'une carrière est une affaire de contexte. Profitant des départs de Victor Osimhen et de Loïc Rémy, ainsi que de l'arrivée d'un jeune Jonathan David encore balbutiant, le Turc a eu tout le confort nécessaire pour faire parler son expérience et s'imposer au nord de l'Hexagone. A croire que le grand gaillard (1,88m) a fait le voyage en France avec la maxime «être au bon endroit au bon moment» soigneusement rangée dans ses valises. Un sens du timing inné qu'il applique aussi bien sur qu'en dehors du terrain depuis ses débuts, soit une quinzaine d'années en arrière. Cloisonné à l'équipe espoirs d'Antalyaspor, le jeune Burak a eu la chance de croiser le chemin de Yilmaz Vural, aujourd'hui coach avec le plus de matches dirigés de l'histoire du Championnat turc. Sans perdre de temps, le technicien lance sa jeune pousse dans le grand bain. Grand bien lui en a pris. Une carrière, c'est aussi l'affaire de rencontres.

«Il a eu de la chance de tomber sur moi»

Yilmaz Vural rejoint Antalyaspor, club du sud de la Turquie, au début de l'été 2005. Le club n'est à l'époque qu'en seconde division et ambitionne d'accéder à l'élite nationale. Dans son effectif, le coach peut notamment compter sur la paire Taner Gülleri et Coskun Birdal en pointe. Deux attaquants expérimentés, 29 et 31 ans, sur lesquels compte énormément le président du club. Seulement, en jetant un œil au sein de l'équipe espoirs, le nouvel entraîneur remarque très vite un jeune buteur qui dénote d'abord par la confiance qu'il affiche. Une aubaine. «Le président m'avait dit qu'il ne voulait pas qu'un gamin de 19 ans passe devant nos deux attaquants, se souvient Yilmaz Vural. Mais j'aimais ce joueur et j'ai commencé à le faire jouer malgré ces consignes.» Alors qu'il aurait été cantonné aux seconds rôles avec la plupart des coaches malgré son potentiel, Burak Yilmaz vient de tomber sur le mentor idoine.

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Car malgré son caractère tantôt provocateur tantôt blagueur, le jeune attaquant va gagner la confiance de son nouvel entraîneur qui apprécie ce tempérament. «Un jour à l'entraînement, il est passé devant moi et s'est arrêté en ouvrant très grand la bouche. Je lui ai demandé ce qu'il foutait. Il m'a répondu : “Même si j'attrape un oiseau avec ma bouche tu ne me ferais pas jouer ! ” (Rires)», se remémore le technicien. De quoi illustrer l'ambition et le cran dont il pouvait faire preuve. Yilmaz Vural l'a bien compris, son joueur a faim et compte tout faire pour gagner sa place. Son jeune âge ne l'empêche pas d'afficher une vraie attitude de leader déterminé. Pour son coach, le premier défi est d'apprivoiser son poulain. «Les joueurs avec un tel potentiel ne sont jamais faciles à manager. Il avait ça en lui dès le départ. Il a fallu être précautionneux dans ma manière de le gérer, lui témoigner de l'attention pour développer une relation spéciale avec lui dès le départ», explique celui qui l'a lancé.

«Ça m'arrivait de lui courir après pour le frapper avec une chaussure quand il faisait des conneries !»

La relation entre les deux s'améliore au fur et à mesure que l'attaquant glane des minutes. Si le coach prend soin de ne pas empiéter sur les deux buteurs de son président au départ, le talent de la jeune pousse est trop flagrant pour ne pas trancher définitivement : «Je l'ai d'abord fait jouer dans un rôle de soutien derrière les attaquants. Progressivement, il a commencé à montrer toutes les qualités d'un bon buteur et je l'ai fait évoluer en pointe.» Burak gagne sa place et ne la lâchera plus. Il enchaîne les bonnes performances mais est encore coupable de trop de sautes de concentration. «Je me souviens d'un match où il marque mais enlève son maillot pour célébrer. Il avait déjà un jaune et s'est fait expulser alors qu'il restait beaucoup de temps et qu'il fallait absolument qu'on gagne ce match. Il faisait encore des choses stupides, relate Yilmaz Vural. Ça m'arrivait de lui courir après pour le frapper avec une chaussure quand il faisait ce genre de conneries ! (Rires)»

Mal du pays

Ces erreurs ternissent à peine un bilan brillant. Avec lui, Antalyaspor décroche son accession à la première division. Ses performances précoces attisent l'intérêt de clubs majeurs du pays. A l'été 2006, l'ambitieux buteur voit plus haut et file à Besiktas. Une marche sans doute franchie trop rapidement avec le recul. Après 18 mois et seulement six buts en 39 matches de Championnat, l'attaquant est prêté à Manisaspor à l'hiver 2008 pour regagner de la confiance. Il y retrouve... Yilmaz Vural ! Immédiatement à l'aise aux côtés du premier à lui avoir témoigné de la confiance, le buteur revit. Une demi-saison et neuf buts en 16 rencontres qui rassurent son monde : le talent est toujours là. Le retour aux sources permet à l'oiseau de définitivement quitter le nid. «On n'a plus travaillé ensemble à partir de là. Mais on a conservé une relation père-fils. Il a eu de la chance de tomber sur moi, concède Yilmaz Vural. On se retrouve parfois l'été sur la côte près d'Izmir. Burak n'a pas oublié ses débuts.» Plus largement, il n'a pas oublié d'où il vient.

«Ce n'est pas quelqu'un qui sortait faire la fête. Il est très famille, encore plus depuis qu'il a eu ses deux filles.»

Avant d'arriver à Lille, Burak Yilmaz n'avait joué qu'une saison et demi hors des frontières turques en quinze ans de carrière. Au-delà du football, le bonhomme est d'abord centré sur sa famille et son pays. Coéquipier du buteur à Galatasaray, Aurélien Chedjou se souvient : «Ce n'est pas quelqu'un qui sortait faire la fête. Il est très famille, encore plus depuis qu'il a eu ses deux filles. Après l'entraînement il rentre chez lui et mène sa vie familiale.» Un attachement qui a considérablement limité les potentiels départs à l'étranger. Et si le joueur a cédé aux sirènes de la Chine et de l'argent en 2016, l'expérience n'a pas duré. «Il est rentré de Chine pour ça, sa famille lui manquait», insiste Chedjou. De son œil de coach, Yilmaz Vural a une autre explication à ce peu d'expériences à l'étranger avant 35 ans. «Pour moi la principale raison est que le réseau de scouts en Turquie est largement en retard par rapport aux autres Championnats européens, avance le technicien. Si vous regardez les autres Championnats on y voit très peu de joueurs turcs. Les clubs explorent peu le réservoir de joueurs turcs. Pourtant il y a 18 millions d'enfants ici ! C'est moins le cas aujourd'hui avec les nouvelles générations.» Autre explication liée au football : les équipes turques, comme la sélection, performent moins dans les grandes compétitions européennes. Inévitablement, les joueurs du pays sont moins mis en valeur à l'échelle continentale ces dernières années.

Yilmaz lors de son second passage à Besiktas, brassard au bras. (Gerrit Van Keulen/ANP SPORT/PR/PRESSE SPORTS)

Roi sur ses terres

Mais si le buteur est resté aussi longtemps au pays, c'est d'abord parce qu'il y est adulé. «En France, on ne se rend pas compte de ce que représente Burak. Ici en Turquie, c'est vraiment une grande, grande star», résume Chedjou. Après tant d'années dans le Championnat, il est devenu l'emblème du foot turc des années 2010, aux côtés d'autres joueurs nettement plus connus à l'étranger. «Il est à hauteur d'Arda Turan. Il n'a pas joué dans un grand club européen, mais il a marqué quasiment dans tous les clubs où il est passé en Turquie. Dès qu'il met le pied dans le pays c'est la liesse totale», insiste son ancien coéquipier. Preuve de l'engouement, ce surnom de «Kral», «le roi», chez les supporters turcs. Une reconnaissance pareille n'incite pas à chercher plus beau ailleurs. En Turquie, Burak Yilmaz est reconnu à sa juste valeur. Celle qui a fait de lui un international indiscutable avec la sélection. Avec 24 buts en 63 sélections, l'attaquant s'est imposé comme l'arme numéro 1 de la Turquie. Au point d'en devenir le capitaine. Soutien affiché d'Erdogan et de l'AKP, le buteur a sillonné le pays. Antalyaspor, Besiktas, Manisaspor, Fenerbahce, Eskisehirspor, Trabzonspor, Galatasaray : Burak a porté les couleurs de sept clubs turcs. Des changements de tuniques réguliers qui ne choquent plus les supporters. «C'est devenu une blague en Turquie, explique U?ur Meleke, journaliste beIN Sports Turquie. Il est fan de Besiktas lorsqu'il signe avec Besiktas. Puis il devient fan de Galatasaray depuis son enfance quand il signe pour Galatasaray !» Mais les envies d'ailleurs du buteur n'ont pas toujours été prises avec humour. Cette clémence, il a fallu la mériter. Partout.

«Au final, c'est eux qui pleuraient quand il est parti»

Après avoir quitté Manisaspor et Yilmaz Vural en 2008, Burak traverse 18 mois anecdotiques à Fenerbahce puis Eskusehirspor. L'explosion se fait attendre. A l'hiver 2010, il rejoint Trabzonspor, troisième club majeur en quatre ans. Sur les bords de la Mer Noire, il y rencontre l'autre coach le plus important de sa carrière qui deviendra ensuite son sélectionneur, Senol Günes. Ugur Meleke se souvient de ce virage : «Son destin a changé lorsqu'il a travaillé avec Senol Günes à Trabzonspor. Il avait déjà joué avec Besiktas et Fenerbahce mais il n'avait pas éclaboussé le foot turc avant son passage à Trabzonspor.» En 2010-11, il marque 19 buts en 30 rencontres de Championnat et aide son équipe à se qualifier pour la Ligue des champions. Sa seconde saison est celle de l'explosion tant attendue. Burak claque 32 pions en 30 rencontres et termine large meilleur buteur de Turquie. Un feu d'artifice. Le désormais meilleur avant-centre turc aux yeux de beaucoup suscite les convoitises. A l'été 2012, Galatasaray l'arrache à Trabzonspor. Un choix de carrière douloureux pour les supporters de Besiktas, son premier club stambouliote, qui avaient déjà dû encaisser sa signature à Fenerbahce. Ils ne manquent pas de lui signaler. Aurélien Chedjou était aux premières loges pour assister au traitement accordé à son coéquipier de l'époque : «Je me souviens des matches contre Besiktas. A chaque fois qu'il arrivait, il se faisait siffler (Rires). Les gens lui lançaient tout ce qu'ils avaient sous les mains et l'insultaient.» Point d'orgue de cette haine, un derby remontant au mois d'août 2012. Alors que Galatasaray est mené 3-2 à quelques minutes du terme, Burak profite d'un duel avec Julien Escudé pour se laisser tomber. Dupé, l'arbitre accorde le penalty et Galatasaray arrache un match nul inespéré devant des supporters de Besiktas enragés. Pour sa première saison avec son nouveau club en 2012-13, le buteur récidive en conservant son titre de meilleur buteur (24 buts en 30 matchs) et obtient son premier titre de champion de Turquie. En C1, Galatasaray surprend et ne cède qu'en quart de finale contre le Real. Avec 8 pions en 9 rencontres continentales, Burak Yilmaz impressionne. En quatre saisons avec Galatasaray, il remporte un second titre en 2015.

De retour à Trabzonspor après sa parenthèse chinoise, il rappelle très vite aux supporters ce dont il est capable. 25 matches, 23 buts, comme s'il n'était jamais parti. Et alors que beaucoup pensaient ne plus pouvoir être surpris par ce buteur au sang-froid, il quitte à nouveau le club pour rejoindre... Besiktas. Un retour sur les traces de son début de carrière qui ne passe pas auprès des supporters du club. Conspué pour ses débuts, le joueur ne bronche pas. Mieux, il pousse le public à ravaler sa fierté. Arrivé en janvier 2019, il enfile 11 buts en 15 rencontres pour le club et se montre immédiatement indispensable. La saison suivante, il signe 13 buts et sept passes décisives en 25 matches, à 34 ans. «Jusqu'au confinement, c'était la star, la coqueluche des supporters de Besiktas», souligne Chedjou. Toujours international, il attire les regards du staff lillois, à la recherche d'un remplaçant à Loïc Rémy, et rejoint le LOSC à la fin de cette saison 2019-20. «Les supporters le sifflaient et lui reprochaient son passé. Mais au final, c'est eux qui pleuraient quand il est parti», ironise le défenseur avant d'insister. Burak est sûr de sa force, il sait qu'il arrivera à retourner l'opinion publique en sa faveur. C'est vraiment un homme de défi, il se nourrit de ça, il en a besoin. Il sort toujours gagnant

Lille dessert

Cette arrivée à Lille a eu de quoi surprendre quand on connaît la fidélité du bonhomme à son pays et son attachement à sa famille. Mais à y regarder de plus près, ce choix ressemble fort à une sucrerie qu'on s'accorde par plaisir à la fin d'un bon repas, l'envie dépassant la raison. A 35 ans, le buteur turc s'est offert un ultime défi : performer hors de chez lui dans un Championnat scruté. Tant pis pour la famille. En tant qu'ancien Lillois et ancien partenaire du Turc, Chedjou n'est pas étonné de cette décision : «Je n'ai pas été surpris parce que c'est quelqu'un de très ambitieux. Le gros de sa carrière est derrière lui mais il veut toujours de nouveaux défis.» Après 34 journées, le défi est en (très) bonne voie tant le buteur s'est imposé rapidement et pourrait même soulever le trophée de champion de France. Rien d'étonnant pour ceux qui connaissent le personnage. «Il est certainement l'un des avant-centres les plus importants de l'histoire du foot turc. On se souviendra des années 2010, de son nombre de buts et de son rôle essentiel en équipe nationale», souligne Ugur Meleke. Malgré son âge, Yilmaz Vural le considère même à son apogée : «Il arrive sur le tard parce qu'en Turquie, les coaches n'osent pas faire jouer les jeunes au détriment de joueurs établis. Leur développement prend bien plus de temps qu'ailleurs. Pour moi il est à son meilleur niveau actuellement. Son départ en Europe en est la preuve.»

Quentin Coldefy

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