Totti (L'Equipe)

Francesco Totti : «Le Totti trequartista était plus divertissant»

Pour ce nouvel épisode des Grands Entretiens de FF, retour en 2008, lors d'une rencontre à Rome avec Francesco Totti. Le champion du monde 2006 évoquait alors sa relation avec sa ville et son club. A une époque où son style de jeu avait évolué.

Le temps est une question de couleurs. Ainsi, les partisans de la Roma ont coutume de dire que la Ville éternelle n’est jamais aussi belle que dans des nuances rouge et jaune, teintes d’un ciel coloré par un soleil matinal et aussi celles du maillot de leur équipe préférée. Pourtant, ce vendredi-là, l’horizon tire plutôt au gris d’une ancienne tunique de réserve de la Lazio, et les trois jours de pluie ininterrompue sont en train de miner le moral des Romains. Mais pas celui de Francesco Totti : le capitaine de l’AS Roma s’est levé à l’aube pour arriver à Trigoria avant tout le monde. Ce centre d’entraînement et siège du club, au sud-est de Rome, il y a mis les pieds pour la première fois de sa vie à douze ans et demi, lorsqu’il rêvait de marcher sur les traces du «Prince» Giannini sans se douter qu’il irait bien plus loin que lui. Mais Trigoria est aussi et surtout la seconde maison de Totti. C’est là, attablé devant un café, que le joueur, qui aura trente-deux ans l’automne prochain, et qui devrait prolonger son contrat de deux années supplémentaires, c'est-à-dire jusqu’à la fin 2012, évoque longuement son présent et son avenir, son évolution et ses sentiments, la Roma bien sûr, mais également la sélection italienne, qu’il a quittée au lendemain de la Coupe du monde remportée en 2006.

«Francesco Totti, dixième au classement du Ballon d’Or France Football 2007 remporté par Kakà, vous n’avez en revanche même pas été sélectionné dans la liste des trente footballeurs retenus en vue de l’élection du Joueur FIFA de l’année. Avez-vous trouvé ça injuste ?
Je mentirais en disant que ce genre de trophée ne m’intéresse pas. Comme pratiquement tous les joueurs, je suis sensible à ces prix qui vous donnent une reconnaissance internationale. Certains ne m’ont pas jugé apte à faire partie de la sélection du FIFA World Player ? (Sourire malicieux.) Aucun problème, cela veut dire qu’il y a eu en 2007 au moins trente joueurs bien meilleurs que moi ! Personnellement, je pense, malgré tout, avoir réalisé une bonne année, l’une des meilleures dans ma carrière, car j’ai glané deux trophées avec mon club en l’espace de quelques mois, la Coupe et la Supercoupe d’Italie, tout en remportant également quelque chose à titre individuel avec le Soulier d’Or européen (NDLR : Grâce à ses 26 buts en Serie A sur l’exercice 2006-07). Je suis satisfait de la cuvée 2007.
 
Depuis Maradona, un vrai numéro 10 n’avait plus remporté le classement des buteurs de Serie A. Est-ce juste le fruit du hasard ?
Sincèrement, je crois que, par le passé, j’aurais déjà pu m’imposer, même si la concurrence a toujours été très forte. Mais il est vrai que le fait d’avoir changé ma position sur le terrain en passant avant-centre m’a donné un bon coup de main.

«Ma façon de penser a évolué»

Comment en êtes-vous arrivé là ?
Ce sont les circonstances qui m’y ont poussé. Il y avait des joueurs blessés ou suspendus devant. Notre entraîneur, Luciano Spalletti, m’a demandé avant un match à Gênes, face à la Sampdoria, si je ne voyais pas de problèmes à jouer aux avant-postes. J’ai donné immédiatement mon accord. Après tout, il ne m’a pas poussé à jouer arrière droit ! Comme l’expérience a été positive, on l’a répétée jusqu’à ce que j’occupe systématiquement ce poste. Et je dois dire que cela m’a plu. Les statistiques ont ensuite démontré que c’était un choix juste, même s’il a pu paraître étonnant.
 
Pourquoi étonnant ?
En général, plus un joueur vieillit, plus on a tendance à le faire reculer, histoire d’allonger sa carrière. Moi, c’est exactement le contraire ! Et, je le répète, ça ne m’a posé aucun problème, car j’ai toujours accepté les solutions de mes entraîneurs pour le bien de l’équipe. Au bout du compte, c’est l’équipe qui m’a permis de réussir devant : tous les buts que je marque, je les dois au travail énorme de mes coéquipiers.
 
La majorité des observateurs note cependant que le meilleur Totti était celui qui évoluait en trequartista, c’est-à-dire en neuf et demi…
Ce sont deux Totti très différents. Le Totti trequartista était un joueur, si l’on veut, plus divertissant, plus spectaculaire. D’ailleurs, moi-même, à certains moments d’un match, je m’amusais plus à ce poste, car un attaquant touche en général moins de ballons. Si l’on doit absolument trouver un côté négatif à mon évolution, il est là, sur le nombre de ballons négociés. Mais, à l’arrivée, je prends beaucoup de plaisir en attaque. On a la satisfaction enviable des buts marqués. Et il ne faut pas oublier une chose : on peut réaliser des passes décisives ou marquer, ce qui compte au final, c’est bien le nombre de buts inscrits ! Avant, je prenais plus mon pied à offrir des ballons de but qu’à marquer. Ma façon de penser a évolué.

L'empereur de Rome. (PICS UNITED / PRESSE SPORTS/PRESSE SPORTS)

Avez-vous également dû changer votre ligne de conduite sur le terrain ?
En effet. En tant qu’avant-centre, je dois être très concentré sur tous les ballons qui m’arrivent, car je finalise l’action. Donc, le résultat du match en dépend. L’attaquant est là pour marquer, pas pour amuser la galerie. Cette évolution m’a donc encore plus responsabilisé. Cela d’autant plus que je suis un attaquant un peu particulier, je n’attends pas les ballons dans la surface, je bouge beaucoup.
 
De fait, nombreux sont ceux qui vous considèrent comme un attaquant assez singulier, qui n’hésite pas à s’éloigner du point de penalty pour participer au jeu et servir ses coéquipiers. Vous considérez-vous comme un vrai attaquant ou pensez-vous avoir inventé un rôle nouveau ?
Un peu des deux ! J’ai effectué le travail nécessaire pour être efficace au poste d’attaquant et mon rendement démontre que ça marche plutôt bien. Mais je suis aussi conscient d’être un avant-centre un peu différent des autres. Cela grâce à Luciano Spalletti, qui a réfléchi à cette utilisation à un nouveau poste sans dénaturer mes caractéristiques. Là, devant, nous bougeons tous beaucoup pour éviter de donner des points de fixation à l’adversaire. Ce rôle me plaît et je pense évoluer ainsi jusqu’au bout.
 
Récemment, votre ancien coach à la Roma, Zdenek Zeman, a souligné que c’est votre grave blessure de février 2006 qui a été décisive dans ce changement de poste. Etes-vous d’accord ?
Non. J’ai évolué en fonction des besoins de mon équipe. La seule certitude est que cette blessure a failli mettre un terme à ma carrière. Et que, sous cet aspect, elle a marqué un tournant. Lorsque Marcello Lippi, alors sélectionneur national, est venu me voir à l’hôpital pour me confier qu’il comptait sur moi pour le Mondial, je me suis fixé cet objectif en tête. Et là, j’ai commencé à voir les choses autrement. Si je voulais rejouer, il me fallait faire plus d’efforts et de sacrifices que jamais auparavant. C’était ma première blessure grave et j’ai compris que je risquais de tout perdre si je ne m’accrochais pas.

«Cette évolution m'a donc encore plus responsabilisé. Cela d'autant plus que je suis un attaquant un peu particulier, je n'attends pas les ballons dans la surface, je bouge beaucoup.»

«Cela fait dix ans que je n'ai pas mis les pieds en centre-ville»

Vous vous êtes donc accroché…
Avec le professeur Mariani, le chirurgien qui m’a opéré, Vito Scala et Mario Brozzi (NDLR : Respectivement préparateur physique personnel de Totti et médecin de l’AS Roma), nous avons fait un travail incroyable, comme probablement personne ne m’en croyait capable. J’ai pu jouer à nouveau. C’était déjà comme remporter une Coupe du monde !
 
Vous êtes un attaquant singulier dans une équipe qui possède un style bien particulier. On dit souvent que l’AS Roma est plus belle et dynamique qu’efficace. N’avez-vous pas un jeu trop usant ?
Moi comme mon équipe ne nous économisons pas. Spalletti me demande de beaucoup bouger. Il veut aussi que les latéraux montent très haut et que les milieux axiaux multiplient les incursions dans le camp adverse. Pour cela, il faut être au point sur le plan athlétique. Après, je ne suis pas d’accord avec ceux qui prétendent que cela ne mène à rien. Prenez le Milan de Sacchi à la fin des années 80 : il se dépensait beaucoup et poussait sans arrêt. Ce qui ne l’a pas empêché de gagner partout. Cette équipe possédait les champions, la mentalité et la concentration. Pour gagner, il faut tendre à la perfection. A la Roma, nous avons un effectif de qualité et de l’abnégation. Je suis toujours convaincu que l’on peut remporter des matches en jouant un beau football.
 
En tant que romain de naissance, vous vivez tout cela avec beaucoup de passion. Ce que vous partagez avec une belle brochette d’autres Giallorossi, vu que la Roma est l’équipe de Serie A qui a la plus grande représentation locale. Au fond, n’est-ce pas un poids supplémentaire ?
Pas du tout ! Je considère comme une véritable fierté de véhiculer partout le nom de mon club et de ma ville.
 
N’est-il pas trop difficile d’être Francesco Totti à Rome ?
Cela fait dix ans que je n’ai pas mis les pieds en centre-ville, et encore… c’était de nuit !C’est la rançon de la gloire et du métier de footballeur. Avec ses aspects fantastiques et ses contraintes.

N’avez-vous jamais eu la tentation de partir ?
L’opportunité s’est présentée à moi plus d’une fois. Il y a eu deux moments dans ma carrière où cela n’allait pas trop bien avec mes dirigeants ou les supporters. Par exemple à l’époque de Carlos Bianchi (au cours de la saison 1996-97), lorsque l’entraîneur argentin lança au président : "Vous faites partir Totti ou je m’en vais !" Bianchi voulait que la Roma me prête à la Sampdoria et l’idée avait fait son bonhomme de chemin. Puis le coach a été limogé… L’autre moment difficile se situait un peu avant l’arrivée de Fabio Capello, à la fin des années 90. Pas mal de tifosi me critiquaient, me reprochaient de ne pas être à la hauteur, de ne pas trop me préoccuper de comment marchait l’équipe, etc. Après quelques semaines, tout s’est tassé et j’ai compris que je ne quitterais jamais la Roma.
 
Vous avez, en revanche, franchi le pas avec la sélection, au lendemain du Mondial victorieux de 2006. Est-ce à cause des critiques qui vous étaient tombées dessus alors que vous aviez abordé la compétition à court de forme ?
Non. J’ai décidé de ne plus jouer en équipe d’Italie, parce que je me suis rendu compte qu’après ma blessure à la cheville, mon physique ne pouvait plus supporter un calendrier surchargé. J’ai dû apprendre à composer avec mon corps. C’est sûr que les critiques reçues pendant la Coupe du monde 2006 m’ont blessé. Pas en tant que joueur, mais en tant qu’homme. Après tous les sacrifices endurés, et les risques pris sur le plan de la carrière et de la santé pour être prêt à jouer, je m’attendais au moins à une poignée de main de la part de certains journalistes, plutôt qu’à des attaques à répétition… (Pensif.) Après tout, certains jugements finissent par être emportés par le vent !

«Bianchi voulait que la Roma me prête à la Sampdoria.»

Quel regard avez-vous porté sur l’affaire Zidane-Materazzi, vous qui avez été lynché médiatiquement après un crachat au visage de Poulsen, lors de l’Euro 2004…
Voilà une excellente question ! Dans le cas de Zizou, malgré le fait qu’il ait donné le coup de tête à Marco, presque toute la France l’a défendu, en avançant qu’il avait été provoqué. Moi aussi, j’avais été provoqué par le joueur danois, sans pour autant éviter d’être massacré par mes compatriotes ! A ce propos, lorsque, quelques temps plus tard, Poulsen a réservé le même traitement à Kaká, déclenchant sa réaction, là il a été immédiatement catalogué comme provocateur. Mais pas avec moi. Malheureusement, c’est souvent comme ça lorsque je me retrouve au centre de l’attention. Je m’y suis fait !»