(L'Equipe)

Emmanuel Imorou avant Maroc-Bénin : «La CAN, ce n'est que du kiff»

Le Bénin a le sourire. S'ils n'ont toujours pas gagné le premier match de leur histoire dans une CAN, les Écureuils sont en huitièmes. Et c'est déjà historique. Emmanuel Imorou, l'ancien joueur de Caen, savoure et raconte ce grand moment. Tout en évoquant le match face au Maroc et son avenir personnel. (crédit photo : SM Caen)

«En début de semaine, le Bénin s'est hissé pour la première fois de son histoire au second tour d'une Coupe d'Afrique des nations. Comment l'avez-vous vécu ?
On a vécu un bon moment. J'étais très content. On était soulagé aussi quelque part. Quand on atteint un objectif, on ressent de la satisfaction et le sentiment du devoir accompli. Voir des personnes du staff et des supporters qui pleurent de joie, qui ont les larmes qui montent, c'est vraiment fort, marquant, et c'est touchant.
Le vestiaire a-t-il fait un petit peu la fête ?
Oui, forcément, ç'a chanté un peu, on a mis de la musique. On était contents. Encore une fois, on a vraiment senti ce soulagement d'y être pour la première fois. On écrit une nouvelle page, en quelque sorte.
Si on fait un bilan de cette phase de poules, malgré votre qualification, vous n'avez toujours pas remporté le premier match de l'histoire du Bénin dans la compétition !
C'est vrai que c'est la petite frustration. On essaie de voir le truc à l'envers en se disant qu'on a tenu en échec le Cameroun, qui est quand même le champion d'Afrique en titre, et le Ghana, qui reste sur quatre demi-finales et deux finales sur les six dernières éditions. Donc c'était du très costaud. On se dit aussi qu'on n'a pas perdu. Si, avant la compétition, on nous avait dit : "Voilà, ça c'est votre groupe, et vous n'allez pas perdre un match", je ne suis pas sûr qu'on l'aurait cru. Ça reste un exploit.

«On voit qu'on a du mal à être tranchant dans les trente derniers mètres»

La satisfaction résulte sûrement d'un point de vue défensif où vous encaissez seulement deux buts face au Ghana (2-2)...
C'est ça. On n'a pas pris de but contre le Cameroun. On n'a pas du tout été inquiété par la Guinée-Bissau. Ils étaient très regroupés. Ils ont vraiment joué le match pour garder le point du nul. On ne comprenait pas trop pourquoi d'ailleurs. Contre le Ghana, on les a fait un peu douter. C'était pas mal pour nous de les affronter sur un premier match où il faut se jauger et entrer dans la compétition. Ce n'est pas forcément simple.
 
Pour revenir sur le dernier match contre le Cameroun, ce n'était pas vraiment plaisant à voir...
(Il sourit.) J'imagine bien que ce n'était pas plaisant (NDLR : FF, dans ses notes, a donné un très faible 4/20 pour le spectacle proposé pendant cette rencontre). En terme de qualité de jeu produite, il n'y avait quasiment rien. On a beaucoup souffert, on a été acculé sur notre but, on n'arrivait pas à ressortir le ballon.
Est-ce ça qui manque au Bénin : cette capacité à assurer des transitions offensives efficaces et propres entre les deux parties du terrain ?
Oui, je pense qu'on peut dire ça. On l'a vu contre la Guinée-Bissau. On a eu plus le ballon qu'eux, mais on voit qu'on a du mal à être tranchant dans les trente derniers mètres, on a dû mal à faire des actions collectives qui peuvent faire la différence. On va davantage s'appuyer sur nos individualités comme Steph Sessegnon qui peut garder le ballon et l'amener seul de nos trente mètres aux trente mètres adverses. Avec nos excentrés qui sont aussi capables d'éliminer. Mais par le jeu collectif, c'est vrai qu'on a vraiment du mal à avoir des circuits de passes et à ressortir le ballon proprement.

«Le Maroc ? Je reste persuadé que c'est possible»

Avec cette situation, Steve Mounié, votre attaquant de pointe, n'est pas trop frustré ?
Un peu... Je ne vais pas parler en son nom mais je pense qu'il est content qu'on soit qualifié. Il l'avait mauvaise après la Guinée-Bissau par rapport à son occasion de la tête. Là, il est forcément déçu de ne pas jouer contre le Maroc (NDLR : Il sera suspendu), surtout que les deux cartons jaunes qu'il prend sont scandaleux, franchement.
Celui récolté face au Cameroun était en effet assez incompréhensible...
On n'a rien compris. Il court, l'adversaire se met dans sa course et il prend le carton... Le premier qu'il prend (NDLR : face au Ghana, 90e minute), c'était sur une situation où le mur ne se met pas à distance, l'arbitre l'appelle, mais il ne l'entendait pas. Et il a pris jaune. Malheureusement, ce sont les aléas du foot et on va devoir se passer de lui pour le Maroc, c'est bien dommage. J'espère qu'il sera là pour les quarts de finale (Il sourit.).

Parlons justement du Maroc : c'est un gros morceau, qui n'a pas pris un but en poules. Est-ce une mission impossible ?
Non, ça reste du foot. J'imagine qu'ils vont avoir la pression. Ils n'ont pas pris de buts sur leurs trois matches mais ils ont eu du mal lors de leur préparation. En poules, il y a deux matches qui sont poussifs, où ils marquent dans les toutes dernières minutes (NDLR : Namibie et Afrique du Sud ; à chaque fois 1-0). Ça reste un match de football. On a réussi à battre l'Algérie en phase éliminatoires donc pourquoi pas le Maroc. Sur le papier, on sait que c'est une grande équipe et qu'ils sont bien meilleurs que nous, mais on n'a clairement rien à perdre. Notre objectif est atteint. On va jouer sans pression, pour se faire plaisir, même si on ne va pas jouer le Maroc pour jouer le Maroc. On reste des compétiteurs. On va vouloir chercher quelque chose. Je reste persuadé que c'est possible.

«Même si on est loin, on sent l'engouement que cela peut créer chez le peuple béninois»

Globalement, comment vivez-vous cette CAN qui est là deuxième de votre carrière après celle de 2010 ?
C'est top ! Même si on est loin, on sent l'engouement que cela peut créer chez les nôtres, chez le peuple béninois. On a mesuré toute l'attente qu'il y avait derrière nous et tout le bonheur que cela a pu créer. En plus, les conditions de stage et de compétition sont vraiment bonnes. Ce n'est que du kif. Ça reste une grande compétition. Et le fait qu'elle soit désormais en été rend le truc encore plus grand. J'avais vécu celle de 2010 où j'étais encore jeune, j'avais 21 ans. Celle-ci, je la savoure plus, j'ai plus de maturité, j'ai un autre statut, j'ai une carrière qui s'est déroulée, j'ai pu accumuler de l'expérience. Je mesure davantage tout ce qu'il se passe.

Parlons enfin de votre situation en club : premièrement, avez-vous digéré la descente vécue avec Caen de la Ligue 1 à la Ligue 2 ?
Oui et non. Forcément, là, en sélection, ce n'est pas la première chose à laquelle je pense. Je suis concentré sur ma sélection. Mais, c'est sûr que, honnêtement, j'ai les boules. Caen, c'est le club où j'ai passé le plus de temps dans ma carrière. J'ai beaucoup d'attaches dans ce club et dans cette ville. Ça me fout les boules. C'est ma première descente. Au final, ça ne reste que du foot, mais on ne va jamais vraiment "s'en remettre". Ça va laisser une cicatrice.
 
Difficile de revenir sur tous les événements de cette saison caennaise mais a-t-elle été éprouvante ?
Oui, c'était très compliqué. Malgré tout ça, tout ce qui a pu se passer, tout ce qu'il s'est dit, on avait réussi à sortir la tête de l'eau, pour rester dans notre bulle et se donner une chance d'avoir une opportunité de rester en Ligue 1. Mais on a échoué quasiment sur la dernière marche. On ne va pas refaire l'histoire mais on avait quasiment réussi à inverser la tendance et à revenir dans la lutte...
 
Etes-vous amer envers quelqu'un en particulier ?
Pas du tout. Déjà, ça ne sert à rien. Et, en plus, ce n'est pas du tout ma philosophie de vie. Je suis quelqu'un de très calme, très posé, très réfléchi. De toute façon, ce n'est pas le genre de choses qui va me faire avancer. Je n'ai pas d'amertume. Évidemment qu'il y a des choses que j'aurais voulu voir se passer autrement. C'est la vie, c'est le foot, c'est comme ça. On ne peut pas lutter.

«La descente de Caen ? Ça me fout les boules. Ça va laisser une cicatrice»

«Mon avenir ? J'ai envie de jouer au foot, tout simplement»

De quoi sera fait votre avenir ?
Je ne sais pas (Il sourit.).
Quelles sont vos envies ?
Honnêtement, j'ai envie de jouer au foot, tout simplement. J'ai une petite préférence pour rester en France, pour le côté famille. Mais si je dois aller à l'étranger, j'irais sans problème si le club et la ville me conviennent. Pour le moment, je ne sais pas.
Y a-t-il des petites touches ?
Oui, des petites touches mais rien de bien sérieux.
Des "touchinettes"...
Oui, voilà, des "touchinettes" (Il rit.). J'attends de voir. Et, pour le coup, j'essaie de ne pas trop y penser sinon ça va me faire chier. Comme j'ai la CAN, je me dis que ça va parce que j'ai quelque chose sur lequel me concentrer. Mais c'est sûr que s'il n'y avait pas ça et que j'étais en vacances, sans club, à m'entraîner tout seul, ça serait compliqué. Mais là, ça va.»

Timothé Crépin