(L'Equipe)

Ceux qui ont déniché Fati, Havertz, Kubo, Sterling ou encore Ziyech racontent ce qu'ils ont perçu de différent chez les cracks

Ils ont pour point commun d'avoir, un jour, au détour d'un terrain, repéré ou validé le profil de l'un de ceux qui font aujourd'hui le bonheur des plus grands clubs européens. Ceux qui ont déniché Ansu Fati, Kai Havertz, Takefusa Kubo, Raheem Sterling, Federico Valverde ou encore Hakim Ziyech racontent le moment du coup de foudre, pourquoi ils ont flashé et, en filigrane, leur métier.

Parcs londoniens fraîchement tondus, plaines de jeux de Montevideo, terrains surpeuplés de la banlieue parisienne, playgrounds synthétiques de Tokyo... Partout, tout le temps, des parties de foot se jouent à travers l'Europe et le monde. Aux abords des terrains de jeu, les voix des parents se mêlent à celles des éducateurs et aux cris des jeunes pousses. Plus en retrait, un quatrième type de personnage s'ajoute régulièrement au tableau. Qu'ils soient recruteurs, intermédiaires ou simples passionnés, ceux-là scrutent les prises de balle et les déplacements de manière beaucoup plus discrète. Ce sont pourtant eux qui sont au centre de tout, parce qu'ils ont le pouvoir de placer une star en devenir sur les rails du succès. Ces dénicheurs de talents reviennent pour FF sur leur plus belle trouvaille, la manière dont ils ont mis la main dessus et - pour certains d'entre eux - le travail d'accompagnement qu'ils ont ensuite dû effectuer auprès de leur pépite.

Slawomir Czarniecki (Kai Havertz) : «Le pressing adverse ne l'effrayait jamais»

Coordinateur sportif du Bayer Leverkusen, celui qui vient de voir son protégé s'envoler pour l'Angleterre et Chelsea estime que des fées ont, un jour, dû se pencher sur le berceau de Kai Havertz. Doté d'un talent fou, l'international allemand a toutefois dû être accompagné sur le plan mental...

«Au moment où l'un de nos scouts régionaux nous a parlé de lui, Kai évoluait déjà au sein d'une bonne académie, l'Alemannia Aachen (NDLR : Le principal club d'Aix-la-Chapelle, ville d'origine du joueur). La première fois que je l'ai vu jouer avec eux, il avait dix ans. A ce moment-là, nous étions déjà en contact avec la famille. Nous leur avions présenté les installations et la philosophie du club. Mais si l'on s'en tient au terrain, le premier match que j'ai vu de lui c'était... contre nous. Nos jeunes avaient gagné assez largement mais Kai avait inscrit les trois buts de son équipe. Mais je n'ai aucun mérite à avoir décelé de grandes qualités chez lui ce jour-là. A la limite, si j'ai joué un rôle, c'est par la suite : au moment de présenter notre projet puis de l'accompagner tout au long de sa formation. Quelles étaient ses principales qualités avant qu'il nous rejoigne ? Je dirais sa rapidité mais aussi et surtout sa faculté à tout rendre simple, y compris sous pression. Le pressing adverse ne l'effrayait jamais. Ce qui est marrant c'est qu'il n'était pas grand du tout à ce moment-là. Jusqu'aux U15 il était même l'un des plus petits de nos groupes. C'est intéressant car cela signifie qu'il lui a fallu être à bloc durant toutes ces années.

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Je ne sais pas si l'on peut dire qu'il était déjà complet à l'époque mais il avait en tout cas quelque chose de spécial. Il avait tout ce qui ne s'acquiert pas, une sorte de don du ciel. Il a ensuite travaillé dur, bien sûr, mais certaines choses ne s'apprennent pas... Il évoluait le plus souvent dans l'axe, en 8, en 10 et en 9. On le faisait jouer ici car c'est là que vous devez être le plus exigeant. C'est cela qu'on a dû développer chez lui : cette exigence. Encore une fois, repérer un joueur comme lui n'est pas très difficile. Ce que vous avez à faire, après avoir identifié un grand potentiel, c'est faire comprendre au garçon qu'il peut devenir un top top (il insiste) joueur. Lui répéter aussi, même dans les moments où il joue moins bien. C'est ce que nous avons fait avec Kai. Vous imaginez donc le genre de moment que c'était quand, six ans après son arrivée, nous avons assisté, sa mère et moi, à son premier entraînement chez les grands...»

Kai Havertz lors de sa première saison chez les professionnels, en avril 2017. (Thienel/EXPA/PRESSE SPORTS/PRESSE SPORTS)

Albert Puig (Ansu Fati, Riqui Puig et Takefusa Kubo, notamment) : «Essayez de déceler si ce que vous percevez de différent vient des pieds du joueur. Si c'est le cas, signez-le !»

Recruteur pour le FC Barcelone au début des années 2000, Albert Puig a ensuite dirigé la Masia entre 2010 et 2014. Connu pour avoir fait venir Ansu Fati, Riqui Puig (aucun lien de parenté), Takefusa Kubo, Thiago Alcantara mais aussi Marc Cucurella ou encore Dani Olmo, celui qui entraîne désormais au Japon (Albirex Niigata) revient sur la découverte des trois premiers cités.

«Les deux (Ansu Fati et Riqui Puig) sont de grands joueurs et ont devant eux un brillant avenir. Avoir trouvé ces deux perles me réjouit mais je suis également content d'avoir découvert d'autres joueurs, moins exposés médiatiquement mais dont le potentiel était plus difficile à détecter lorsqu'ils étaient jeunes. Riqui (Puig) était évidemment très talentueux mais la question de son recrutement s'est posée car il était clair que son physique n'allait pas lui être d'une grande aide à court terme et cela pouvait être un frein. Avec lui, il fallait voir plus loin... Pour Ansu (Fati), c'est différent. Il s'agissait d'un talent pur. Il n'y avait aucune discussion possible à son sujet. Mais comme certains de mes confrères ont dû vous le dire, l'essentiel n'est pas tant de découvrir puis de recruter mais de former, d'éduquer et donc de guider ces gens prometteurs. Le chemin de la réussite est long et difficile et beaucoup de facteurs extérieurs entrent en jeu. Mais oui, bien sûr, le talent brut est à la base de tout. C'est un incontournable et eux l'avaient déjà à l'époque. Je veux parler du moment où Ansu était âgé de 9 ans. Il venait simplement de quitter l'Afrique mais il s'agissait d'un diamant brut dont le jeu dégageait beaucoup de joie. Riqui avait lui 11 ans la première fois que je l'ai vu jouer. Je le voyais évoluer d'année en année et on a estimé qu'il fallait le faire venir à ses 14 ans. Encore une fois, son physique était un grand handicap mais je me dis que, quelque part, cela l'a rendu plus fort mentalement et l'a incité à tout faire pour progresser tactiquement. Le cas de Takefusa (Kubo) est encore différent. Nous l'avons fait signer grâce à Oscar Hernandez, qui est actuellement mon assistant à Albirex. Il coordonnait l'un de nos campus au Japon. C'est lui qui a découvert Take.

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Il m'a dit qu'il y avait ce jeune talent japonais dont la famille s'apprêtait à rejoindre Barcelone. Je lui ai fait confiance et j'ai accepté que le joueur vienne effectuer une semaine d'essai chez nous. Dès ses premiers ballons, j'ai compris à quel point le talent de cet enfant était énorme. On l'a alors recruté. Il s'agissait d'un garçon très fort mentalement et qui n'hésitait pas à prendre des risques dans le jeu. Il avait beaucoup de personnalité et, évidemment, une grosse technique. Or, quand vous avez le talent, cet état d'esprit compétiteur et cette force mentale, vous ne pouvez que réussir ou presque... Je n'oublie pas pour autant des garçons comme Lee (Kang-in), Brahim Diaz, Sergi Roberto, Munir (El Haddadi), Thiago Alcantara, Oriol Romeu, Iñaki Peña, Adama (Traoré), (Jon) Toral, Miranda, Pablo Moreno... Tous ces garçons ont leur propre histoire et je garde en tête des souvenirs au sujet de chacun d'entre eux. Mais sans entrer dans les détails je crois qu'il est important de souligner une chose à propos de notre métier : restez sur votre première impression ! Cette dernière est le fruit de toute votre expérience. Ne cherchez pas les défauts. Essayez de déceler si ce que vous percevez de différent vient des pieds du joueur. Si c'est le cas, signez-le !»

Riqui Puig et Ansu Fati (ici aux côtés de Lionel Messi) incarnent l'avenir du Barça. (L'Equipe)

Clive Ellington (Raheem Sterling) : «On simulait des interviews d'après-match sur le chemin du retour»

De l'aveu même de celui qui est depuis devenu un cadre du Manchester City de Pep Guardiola et chez les Three Lions, Ellington a changé son destin. Celui qui a amené Sterling vers le football de club après l'avoir repéré aux abords de... Wembley se souvient comme si c'était hier de sa première rencontre avec le feu follet.

«On m'a présenté Raheem alors qu'il était âgé d'environ huit ans. Je l'ai regardé joué au milieu d'un playground et je me suis dit : ou bien ce gamin est incroyablement doué, ou bien ceux avec qui il joue sont incroyablement mauvais (rires). Il avait une technique et des déplacements que vous ne voyez que chez les professionnels. Je lui ai donc demandé ce qu'il faisait durant le week-end. Il m'a répondu qu'il ne faisait rien de spécial. Je lui ai alors demandé avec quelle équipe il jouait. Il m'a répondu qu'il ne jouait pour personne. Je lui ai alors proposé de nous rejoindre (NDLR : Clive Ellington est éducateur au sein de l'Alpha & Omega FC). Et c'est là que la magie a commencé à opérer. On le regardait jouer et on se demandait comment il pouvait réaliser ce qu'il réalisait face à des joueurs plus grands que lui. Il s'agit d'un talent naturel, pur. Ce n'était pas la première fois que l'on nous parlait d'un gamin talentueux, mais lui avait, et il l'a encore, l'humilité nécessaire. C'est ce qu'on a très vite remarqué et l'une des choses que j'aime le plus chez lui. Il a très vite compris qu'il avait un grand potentiel, à même de lui permettre de faire une carrière, mais il ne l'a jamais montré. Quand il avait 12 ou 13 ans c'était particulièrement visible : ce n'était pas l'envie d'être au-dessus du lot qui le motivait. Il voulait au contraire que toute l'équipe soit à son niveau, si ce n'est à un meilleur niveau encore. Il était tout sauf égoïste. Cela ne veut pas dire qu'il n'était pas plus déterminé que la moyenne. Ses coéquipiers voyaient tout ça comme une récréation, pas lui.

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Là où il était plus fort ? La vitesse, bien sûr mais également l'équilibre, la capacité à tenir debout. Ce qu'il avait besoin d'apprendre ? Accepter la défaite ou à tout le moins apprendre à mieux la vivre. Distribuer davantage encore de passes décisives, aussi. On lui a aussi demandé de faire attention à la manière dont il faisait passer ses messages. Je me souviens lui avoir dit : "si tu ne peux pas trouver les mots pour que ton coéquipier relève la tête, il vaut mieux ne rien dire du tout." On l'a également préparé un peu à tout ce qui allait lui arriver en simulant des interviews. On faisait ça dans la voiture en allant au match ou à l'entraînement (rires). Et quand je lui demandais s'il était conscient qu'il avait devenir l'un des meilleurs joueurs du pays il me répondait avec un regard qui voulait dire : "De quoi vous parlez ?" (rires). Mais nous, nous savions que nous avions un phénomène entre les mains, une future superstar. Et comme sa passion pour ce sport était à la hauteur de tout ça... Il voulait tout le temps jouer au foot, tout le temps (il insiste) ! Il est d'ailleurs très reconnaissant envers les éducateurs qui lui ont fait faire du rab après les entraînements, ce qui en dit long sur son éducation. A ce propos, nous avons également beaucoup d'estime pour sa mère, qui a travaillé très dur pour subvenir à ses besoins. Est-ce qu'on est toujours en contact avec Raheem ? Bien sûr ! Et on ne fait pas que parler de foot. Ce que je peux vous dire c'est que l'on n'a pas encore tout vu. Je suis persuadé que le meilleur est encore à venir... Pour conclure, sachez que le fait qu'il ait été capable de faire face à des jugements qui n'ont pas toujours été justes puis de devenir celui qu'il est désormais me rend très fier.»

Raheem Sterling lors de sa première saison chez les Reds, face à son ancien club de QPR. (Marc Atkins/OFFSIDE/PRESSE SPO/PRESSE SPORTS)

Néstor Gonçalves (Federico Valverde) : «Il savait sortir du cadre pour résoudre une situation»

Également à l'origine de l'éclosion de Rodrigo Bentancur (du côté de Boca Juniors), Gonçalves est celui qui a recommandé le nom de Federico Valverde aux dirigeants du mythique Peñarol. Quelques mois plus tard, son poulain devenait international uruguayen chez les jeunes et affolait les cellules de recrutement de toute l'Europe (le joueur a notamment effectué un stage chez les Gunners d'Arsenal en 2014). Le recruteur, qui a toujours les yeux qui brillent au moment d'évoquer le milieu de terrain du Real, se souvient d'un gamin qui lisait déjà parfaitement le jeu.

«La première fois que j'ai vu Fede, il devait avoir 9 ou 10 ans. On m'avait glissé son nom et je suis donc parti le voir jouer et échanger avec lui. On ne m'avait pas dit qu'il était extraordinaire, non. C'est difficile d'utiliser ce terme à cet âge-là. On m'avait dit qu'il y avait un joueur qui se débrouillait bien, voilà tout. La chose qui a attiré mon attention en premier c'est son intelligence de jeu. La manière dont il lisait le jeu était, pour son âge (il cherche ses mots)... surprenante. A ce niveau-là, il était déjà bien différent de ceux avec qui il jouait. Je ne sais pas comment le dire de manière précise mais disons qu'il parvenait à résoudre les situations qui lui étaient soumises. Il n'hésitait pas à sortir du cadre, de l'organisation, si c'était ce dont l'équipe avait besoin. Le tout de manière très rapide. Encore une fois, ce sont des choses que vous ne voyez pas souvent chez des enfants de cet âge-là.

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Il y avait autre chose, aussi : son obsession pour les objectifs qu'il souhaitait atteindre et les progrès qu'il souhaitait réaliser. Je parle d'obsession au sens positif du terme. En plus de cela, il était toujours à l'écoute de ses éducateurs. A ce moment-là, Fede était par ailleurs tout petit et mince. Mais ce n'était pas un problème car avec le médecin en chef du Peñarol et grâce à la science, nous savions approximativement quelle taille il allait atteindre. C'est d'ailleurs assez drôle car Fede mesure aujourd'hui exactement la taille que l'on avait déterminé. Est-ce que c'était facile de prédire son succès ? Quand il avait dix ans, j'avais dit au président du Peñarol d'alors que ce joueur incarnait le futur du club et celui de la sélection, j'ai des documents qui le prouve. Vous savez (il cherche ses mots)... on peut analyser de nombreux facteurs, de nombreux aspects du jeu mais il y a aussi autre chose : l'intuition.»

Federico Valverde est doucement mais sûrement devenu un titulaire au Real Madrid. (Oscar J. Barroso/AFP7/PRESSE S/PRESSE SPORTS)

Karel Brandsma (Hakim Ziyech) : «Vous ne découvrez pas vraiment ce genre de joueur»

Directeur de la cellule de recrutement du SC Heerenveen au moment de la signature de celui qui vient de s'engager pour Chelsea, Brandsma fait preuve d'humilité au moment de revenir sur l'un des plus beaux coups de l'histoire du club.

«Quelques mois avant que l'on se déplace, on nous avait donné l'information : il existait un jeune dribbleur très prometteur qui jouait pour l'ASVD Dronten. On s'est donc logiquement déplacés. Notre scout a pu remarquer à quel point Hakim était le meilleur joueur sur la pelouse. Quand la différence est si grande, ce n'est pas si difficile de le remarquer. N'importe qui doté d'une paire d'yeux aurait pu percevoir ce talent-là. A vrai dire (il cherche ses mots)... vous ne découvrez pas vraiment ce genre de joueur. Le garçon est là, sous vos yeux, et vous devez simplement tout faire en tant que club, pour ramener un joueur ce calibre-là à Heerenveen. Et c'est ce que nous avons fait ! Son père venait juste de décéder. Il lui fallait donc une structure capable de l'accueillir, de lui permettre de faire les allers-retours entre chez lui, à Dronten, et le centre d'entraînement. Avec lui, on savait que l'essentiel ne résidait pas dans le recrutement du joueur mais dans l'accompagnement qui allait devoir suivre. Il fallait que le joueur sente qu'il allait rejoindre une famille. Le reste et notamment la détermination, on avait très vite vu qu'il l'avait. On a également rapidement compris que ce garçon-là détestait la médiocrité.»

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Thymoté Pinon