caqueret (maxence) cherki (rayan) (P.Lahalle/L'Equipe)

«Aujourd'hui, Nabil Fekir ne serait pas lancé», Lyon et sa nouvelle gestion désespoir

Historiquement reconnu pour sortir des jeunes de son centre de formation, l'OL, sous la férule de Rudi Garcia, peine à gérer leur temps de jeu. Une situation instable qui mène inéluctablement à une fuite des talents.

15h32 ce mardi 10 mars. L'OL est mené 2-0 par l'Atalanta en huitièmes de finale de Youth League. Moment choisi par Amine Gouiri pour envoyer une lourde frappe dans la lucarne. Plus tard, le natif de Bourgoin-Jallieu est à l'origine de l'égalisation à 2-2 (46e), puis du 3-3, conclu par Cherki (90+3e). La seule autre fois où Gouiri frappait, c'était pour inscrire le tir au but final, synonyme de qualification. Un nouveau match plein et tourné vers l'attaque, qui mettait en exergue les deux prodiges lyonnais. Et pourtant, en pro, ça fait un long moment qu'on ne les a pas vus. Depuis le 9 février et sa titularisation contre Paris pour Cherki. Et vingt petites secondes douze jours plus tard à Metz pour Gouiri. Pour un club dont l'ADN est le centre de formation, et dont l'effectif a montré quelques limites cette saison, la gestion des jeunes espoirs interroge.

Guimaraes et Toko Ekambi, de nouveaux concurrents

Revenons en arrière, au mercato hivernal. En difficulté en première partie de saison, Lyon met la main au portefeuille pour renforcer significativement l'équipe. Avec Toko Ekambi en attaque et Guimaraes au milieu (sans compter Kadewere), Rudi Garcia gagne en profondeur de banc, mais retire logiquement du temps de jeu à ses jeunes joueurs. «Il y a beaucoup de concurrence aux postes de Cherki et Gouiri avec Cornet, Terrier, Traoré, Toko Ekambi, Dembélé et même Aouar, souligne Gaël Berger, journaliste pour Radio Scoop. Il y a assez peu de rotation et de solutions». C'est significativement la même chose pour Maxence Caqueret, quatrième dans la hiérarchie au milieu de terrain, derrière le trio Guimaraes-Aouar-Tousart cette saison. Gaël Berger confie : «Rudi Garcia estime qu'avec Guimaraes et Aouar, il faut un joueur au gros volume de course et doté d'une puissance plus importante. C'est pourquoi Tousart jouait. Il pense que Caqueret est trop frêle». Un argument fallacieux d'après les chiffres. Malgré son mètre 74, Caqueret récupère plus de ballons par match en Championnat que Tousart (7,4 contre 6,1 selon StatsZone).

Mais qu'importe. La hargne et l'envie du néo-Berlinois pouvait suffire à légitimer le choix de Garcia. Jusqu'à ce match contre Lille, le dernier de la saison. Dans l'entrejeu, les joueurs avaient du mal à tenir le choc physiquement, bien cadenassés par un pressing intense et un gros marquage de près des Dogues. Pas si étonnant quand on ne fait quasiment pas tourner...

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Un turnover quasi-inexistant

Sur l'année civile 2020, l'OL a joué presque une fois tous les trois jours. En vue des grosses échéances (Coupe de France, huitièmes de finale de Ligue des champions contre la Juventus), Rudi Garcia a choisi de ne pas énormément faire tourner. Au grand dam des jeunes. Et de Gaël Berger : «Dembélé il est cramé depuis un moment. Il est à 42 matches joués, 37 titularisations toutes compétitions confondues (NDLR : sixième joueur le plus utilisé des cinq plus grands Championnats avant la trêve)». Dans l'effectif, le seul autre à avoir un profil de neuf pur, buteur, c'est Amine Gouiri. Et pourtant il n'a pas eu sa chance. «Gouiri il lui manque un truc, c'est qu'il n'a pas marqué dans ses entrées, déplore celui qui suit l'OL au quotidien. Mais j'ai trouvé son attitude très positive. Il ne s'est pas dit "il faut que je marque", quitte à manger des ballons. Il a été très intelligent, et jouait pour l'équipe. Il a toujours marqué beaucoup de buts, donc si tu lui donnes du temps de jeu, ça va venir. Il a ça dans le sang.»

Choix politiques et victimes économique

D'autres espoirs ont pu engranger plus de minutes. Comme Caqueret et Cherki. Mais dans les deux cas, ces choix dépassent le cadre du sportif. Gaël Berger analyse «Cherki, Garcia le lance car il sait bien qu'il y a une attente des supporters. Bien sûr qu'il ne le dira pas, mais ça a surement joué au moment des négociations de son contrat. C'était important de lui donner du temps de jeu avec les pros, ce qui a plutôt été une réussite d'ailleurs. Alors que pour Caqueret, pour moi ce sont plus les circonstances qui font qu'il a été lancé. À Strasbourg, il y a beaucoup d'absents quand il démarre. Au match précédent, il tente carrément de mettre Denayer en sentinelle. Là il n'avait pas vraiment d'autre choix que de mettre Caqueret. On a beau me dire que c'était prévu qu'il joue, ça fait un an et demi qu'il attendait qu'on lui donne sa chance». Sa chance, Maxence Caqueret l'a eue, et il l'a saisie. Mais Guimaraes est arrivé, éclipsant avec lui les deux très bons mois du Lyonnais dans l'esprit de Garcia. Idem pour Cherki, sans plus de succès à l'heure actuelle.

En défense, entre mauvaises prestations, blessures et suspensions, Rudi Garcia avait l'opportunité de donner sa chance à la jeunesse. Il l'a fait. Une fois, avec Melvin Bard. «Pour moi, sa gestion c'est un mystère, souffle le journaliste lyonnais. Je me suis renseigné, et ce qu'on me dit, c'est que le staff juge qu'il n'est pas au niveau. Il a joué 40 minutes à Nîmes où il n'a été ni très performant ni en-dessous. Difficile de se faire une idée sur un match aussi particulier.» Bard, tout comme Kalulu et Diomandé, qui avaient furtivement intégré le groupe en défense, sont des victimes collatérales de la nouvelle santé économique du club. «Des joueurs achetés cher, plus âgés et avec un plus gros salaire, même s'ils sont moins performants, ils continuent à jouer. Un jeune s'il n'est pas performant, on le sort tout de suite de l'équipe, on ne lui laisse pas le temps de s'installer sur plusieurs matches pour savoir ce qu'il vaut. J'ai vu plus de matches mauvais de Marçal, Koné et Cornet à gauche, mais ils ont pour eux d'avoir un statut. »

Un futur qui se dessine ailleurs

Le problème, c'est qu'avec la fin de saison tronquée, Rudi Garcia n'a plus la possibilité d'offrir quelques minutes à ses jeunes pousses pour étouffer le problème. Pire, la France ne jouant plus, on se dirige tout droit vers une fuite de ces promesses vers d'autres Championnats, dont la priorité semble davantage le jeu. Une stratégie que n'utiliseront certainement pas Cherki ou Caqueret, dont le napperon en équipe première semble définitivement acquis - en attendant le mercato - mais qui pourrait être utilisée sans scrupule par d'autres. Comment en vouloir à Bard ou Kalulu de vouloir s'exiler dans un club du même calibre que l'OL et qui lui promet plus de temps de jeu ? Avec la possibilité, en plus, de reprendre une activité sportive normale, ce qui n'est plus vraiment le cas en France. Avec l'espoir, aussi, d'intégrer un système plus méritant, où les jeunes peuvent concurrencer des cadres défaillants. Comme à l'AC Milan pour Pierre Kalulu.

Melvin Bard n'a aucune promesse de temps de jeu, et suivra le mercato estival de très près. D'autres pépites lyonnaises vivront un été agité. «On se dit qu'ils ont des qualités, mais à Lyon on ne les voit pas», regrette Gaël Berger. Alors, la solution se situe certainement ailleurs. Y compris pour Amine Gouiri. Cet hiver déjà, il aurait pu faire ses valises. Récit du journaliste lyonnais : «Il a eu des offres fermes de Nîmes et du Havre. Il n'avait plus qu'à y aller. Garcia lui a expliqué qu'il aurait très peu de temps de jeu, et que s'il voulait jouer pour progresser, il fallait partir. Lui voulait vraiment rester à l'OL, en prenant le risque de ne pas beaucoup jouer». Avec le résultat que l'on connaît. «Avec l'arrivée de Kadewere, il sait qu'il ne jouera pas. Gouiri ne représente pas la même chose que Cherki, donc les dirigeants n'ont pas poussé pour qu'il joue».
 
Un discours envers les jeunes qui ne devrait pas plaire aux supporters lyonnais. Et à Amine Gouiri. Vendu depuis des années comme le futur grand buteur formé au club, il a toujours fait preuve d'un gros mental (NDLR : il est revenu plus fort d'une rupture des ligaments croisés la saison passée). Mais ça n'a pas suffi. Direction l'ambitieux projet niçois où la jeunesse a davantage sa place. Gaël Berger conclut : «Aujourd'hui, parmi la belle génération 2010 des Lyonnais, seuls Lacazette et Umtiti seraient peut-être lancés, mais pas les autres. Même pas Fekir. Je ne dis pas qu'aujourd'hui il n'y a pas de jeunes talentueux, mais juste qu'il faut être un phénomène pour avoir un tout petit peu de temps de jeu. Si tu es un joueur avec du potentiel à polir, tu ne peux plus le faire à Lyon, c'est terminé.»

Émile Gillet

«Si tu es un joueur avec du potentiel à polir, tu ne peux plus avoir de temps de jeu à Lyon, c'est terminé»