Delort

Andy Delort : «Le chambrage, c'est ça aussi le football»

En mangeant un crocodile face à Nîmes, le rival, il a fait beaucoup parler. Il a aussi remis au goût du jour une pratique de moins en moins vue dans un monde du foot toujours plus aseptisé. Et ça, à FF, on adore. Entretien avec Andy Delort, l'attaquant de Montpellier, qui raconte les coulisses de sa célébration et son regard sur ce foot trop coincé. (Photo : Capture d'écran Canal+ Sport)

«Ça vous va si on vous surnomme "Crocodile Andy" ?
(Il sourit) Ça me va ! Ça marche plutôt bien sur les trois dernières années (NDLR : Depuis qu'il a rejoint Montpellier, Delort est allé jouer à deux reprises à Nîmes, pour un but à chaque fois). Dadou, un dessinateur, m'avait déjà représenté avec le chapeau et le crocodile comme dans le film.

Revenons à cette 58e minute dimanche dernier : vous trompez Baptiste Reynet et vous ouvrez le score dans ce derby. Racontez-nous ce qu'il se passe.
Je suis content, soulagé. Je pense directement à ma célébration. Je l'avais pensée il y a deux ou trois semaines. J'ai eu le temps avec ma blessure. Ça me trottait dans la tête. Au match aller, je me rappelle du but de (Renaud) Ripart (voir ci-dessous), ça m'avait fait beaucoup de mal. Quand je l'avais vu marquer et, entre guillemets, un peu nous charrier avec son geste de la corrida pour Nîmes (NDLR : lors de la 6e journée, après avoir inscrit l'unique but de la rencontre, synonyme de victoire dans le derby, Renaud Ripart s'était présenté devant la tribune occupée habituellement par les supporters de la Butte Paillade. Ces derniers avaient écrit le message suivant sur une banderole : "Explosez les". Ripart avait mimé le geste d'un torero)... Ç'a avait fait aussi beaucoup de mal aux supporters. Donc ça m'avait marqué et j'avais déjà pensé au fait de les chambrer à mon tour si je marquais à Nîmes. Je pense avoir réussi.

«C'est pour ça que je suis là !»

Quand l'arbitre et la VAR refusent le but, c'est l'ascenseur émotionnel ?
Je me dis tout de suite que je vais en mettre un autre. Je connais mon mental. Je savais qu'il fallait que je marque. Je l'ai fait et j'en suis fier parce que ce n'est pas évident. Tant qu'on n'est pas K-O, il faut toujours se relever. Dans ce match, je n'ai pas eu trop de réussite entre la barre et le but. D'ailleurs, le but aurait pu être accordé. C'est le haut de l'épaule : il y a deux ans, j'avais marqué un but similaire, et ç'avait fait beaucoup parler. J'avais alors discuté avec un arbitre qui m'avait répondu que c'était une partie du corps avec laquelle on pouvait marquer... Comme je l'ai déjà dit : la VAR gâche un peu le football sur certaines actions. Il faut laisser un peu de mou sur ces actions-là.

Est-ce que ce n'est pas tout Andy Delort qui a été résumé sur ces quelques minutes : du but à la célébration en passant par la persévérance pour marquer un nouveau but cette fois valable ?
(Il sourit) Oui, c'est vrai que ça résume bien ma mentalité, mon côté un peu foufou de faire cette célébration. Tout le monde l'a bien pris, a bien rigolé. Aujourd'hui, je trouve qu'il n'y a plus trop d'actions comme celle-ci dans le football, c'est pour ça que je suis là !

Quand vous avez pris votre téléphone après la rencontre, avez-vous vite compris l'ampleur pris par cette célébration, notamment sur les réseaux sociaux ?
Oui, oui, mais je pensais déjà, avant le match, que cela allait faire cet effet-là. J'ai vraiment voulu le faire pour les supporters, pour marquer le coup. J'ai reçu aussi pas mal de retours de joueurs, mais aussi d'artistes, de rappeurs... Je te dis la vérité : ça m'a impressionné comment tout le monde l'a pris à la rigolade. C'était un beau message bien passé !

Vous disiez y avoir réfléchi depuis un moment : comment l'idée vous est venue ?
Ma fille mangeait un bonbon Haribo. J'étais dans la préparation de mon retour et j'avais coché la date du match dans mon calendrier. J'ai trouvé ça marrant. J'en ai parlé à personne, sauf à Rémi (Marey), mon intendant. Je lui ai dit de me récupérer des bonbons et que j'allais le faire.

D'ailleurs, il était caché où ce bonbon ?
J'avais mis une mousse autour de mon poignet. Je l'avais mis à l'intérieur avec de l'elastoplast par-dessus.

Mais, du coup, pas de deuxième bonbon en stock pour votre deuxième but marqué et, cette fois, accordé ?
Si, si, il y en avait sur le banc. Mais je l'ai fait une fois, je ne force pas les trucs. J'ai marqué, ça revient au même. J'ai vu des commentaires et des articles comme quoi le karma se paye... Le karma, je l'ai rattrapé tout de suite après. Ça me fait rire.

Lire :
-Andy Delort passe le questionnaire de Noël de FF : «J'ai un petit faible pour le foie gras»

«J'en ai parlé à personne, sauf à l'intendant. Je lui ai dit de me récupérer des bonbons et que j'allais le faire.»

Avez-vous eu des retours des joueurs nîmois ?
Quelques-uns que je connais ont bien rigolé... avant de me reprocher que je marque tout le temps contre Nîmes. Des fois, il y a des célébrations mal amenées. Là, c'est plus marrant que vraiment chambrer dans la méchanceté. C'est pour ça que ç'a fait le buzz. Je me rappelle de (Nabil) Fekir contre Saint-Etienne (NDLR : Lorsque le joueur de l'OL avait brandi son maillot face aux supporters des Verts), là, c'était chaud. Moi, je ne voulais pas faire passer un message de haine, c'était juste un chambrage comme on connaît Andy Delort qui chambre tout le monde sur Twitter ou dans la vraie vie. C'est comme ça que je suis. Ce côté un peu atypique, je trouve ça bien. Il n'y a pas beaucoup de joueurs comme ça.

Comment trouver la bonne célébration ?
Il faut réfléchir et avoir les c******s de le faire. Quand je l'ai dit la première fois à mon ami, il m'a répondu : "Ce n'est pas possible, tu ne le feras pas." Quand il a vu, il est venu me voir et m'a dit : "Tu es vraiment un fou." Derrière un but, il y a toujours ce moment de 20-30 secondes de montée d'adrénaline... C'est une drogue. Dès que tu marques, tu es en pleine overdose. Aux anges. Ça me rend fou, j'adore ! Derrière, il faut avoir la lucidité de faire une belle célébration.

«Ç'a fait rire la plupart des gens»

S'il y avait eu du public aux Costières, auriez-vous fait votre célébration devant les supporters ?
J'aurais fait en sorte d'être devant le public et que la caméra me filme. Mais j'aurais visé le public en premier, pour chambrer les supporters nîmois. D'ailleurs, après le match, quand on est partis du stade, il y avait une banderole où il était marqué : "Andy Delort, suce ton croco" ou "suce ton bonbon", un truc comme ça. Ça m'a fait bien rire et ç'a fait rire tout le bus. Les supporters nîmois avaient le démon (Il sourit).

Quand on décide de faire ce genre de célébrations, pense-t-on aux possibles représailles qu'il peut y avoir ?
Des supporters ? Non ! Je n'ai pas peur des représailles, ça reste quand même du football. J'ai rigolé, s'ils ne le prennent pas bien, je m'en fous...

D'ailleurs, des supporters de Nîmes l'ont bien pris.
Oui, oui, ç'a fait rire la plupart des gens. Après, tu sais, des cons, il y en a partout.

«Moi, je ne voulais pas faire passer un message de haine, c'était juste un chambrage comme on connaît Andy Delort qui chambre tout le monde sur Twitter ou dans la vraie vie. C'est comme ça que je suis. Ce côté un peu atypique, je trouve ça bien.»

On repense à l'histoire avec Neymar et Leandro Paredes.
Ça m'a bien fait rire, sincèrement ! J'ai aimé ! Paredes n'est pas trop connu, mais je me suis dit que, au moins, Neymar pense à moi. Je pourrais dire à mes enfants que Neymar a fait une photo avec mon maillot. Je pourrais même inventer qu'il était fan de moi ! Mais, t'inquiètes pas, j'aurais le dernier mot. Dans la vie, quand tu fais quelque chose, il faut s'attendre à recevoir la même sentence. Quand tu chambres, tu sais que tu peux être chambré. Ça fait partie du jeu.

Ce côté chambrage semble de moins en moins en vogue dans le foot. C'est quelque chose qu'il faut absolument conserver ?
Bien sûr ! C'est ça aussi le football ! On voit beaucoup de haine entre les supporters, mais là c'est le chambrage positif. Je n'ai pas insulté le public ou le club de Nîmes. C'est une touche avec beaucoup d'humour. J'aime regarder les réactions liées à un chambrage. Les joueurs, les artistes sont tellement robotisés sur les réseaux sociaux que dès qu'il y en a un, comme moi par exemple, qui répond à un mec en chambrant, les gens adorent ça. Ils sont à l'affût. J'aime ce côté un peu foufou.

«Je pourrais dire à mes enfants que Neymar a fait une photo avec mon maillot»

Y en avait-il une, dans le passé, qui vous avait marqué ?
Celle de (Eric) Cantona, quand il dribble tout le monde et qu'il envoie le piqué avec Manchester United. Il met un but de fou et arrive à ne pas bouger pour regarder tout le public avec son regard hautain, son col levé. Genre "C'est moi le King". Ce n'est pas dans ce registre-là, mais c'est un peu la nouvelle célébration que je fais où je lève les mains comme si je n'étais pas étonné. Comme contre Lille, quand je mets le ciseau. La phrase qu'on dit en espagnol "No se porque" ("Je ne sais pas pourquoi"), je trouve qu'elle colle bien à mon image.

Beaucoup de joueurs font appel désormais à des personnes pour gérer leur image, leur communication. Vous, ce ne sera jamais le cas...
Non. Je dirais toujours ce que j'ai envie de dire. C'est moi qui commande, qui prend les décisions. Il ne faut pas dire n'importe quoi non plus mais on peut dire ce qu'on veut.

Suite à votre célébration, on a pu avoir le sentiment que cela amenait un petit peu de fraîcheur, justement, dans un monde du foot peut-être trop aseptisé par moment.
Oui, avec les stades qui sont vides, ça faisait longtemps qu'on n'avait pas vu d'images comme celle-là. Et dès qu'il y en a une, tout de suite, ça fait le buzz. Ça veut dire qu'il manque de ça, des célébrations, des chambrages. Aujourd'hui, les joueurs de foot sont des ordinateurs sur pattes, qui se répètent, qui font attention à tout ce qu'ils disent, tout ce qu'ils font. C'est dommage. Avant, il y avait des réactions un peu plus franches de la part des footballeurs. Donc ce genre de choses (sa célébration), ça fait du bien à tout le monde. Tu sens les gens agacés, les supporters ont envie de revenir au stade. Ça commence à être long. J'ai envie qu'on retrouve notre vie d'avant et d'arrêter d'être punis comme des enfants de cinq ans. Je repense à mon ciseau contre Lille, si le stade est plein, je rentre chez moi en courant.

Vous avez eu un coup de téléphone de l'entreprise Haribo ?
Pas encore, mais je pense que ça ne va pas tarder (Il sourit). Ç'a fait un gros coup de pub. On va négocier ça.»

Comment prenez-vous le fait d'être le joueur chambré, parfois ?
Je fais tout pour que ça devienne l'inverse !

«Les joueurs, les artistes sont tellement robotisés sur les réseaux sociaux que dès qu'il y en a un, comme moi par exemple, qui répond à un mec qui n'a même pas de profil en chambrant, les gens adorent ça. Ils sont à l'affût. J'aime ce côté un peu foufou.»

«Les joueurs de foot sont des ordinateurs sur pattes»

Vous avez parfois envie de dire : "Messieurs les footballeurs, détendez-vous, amusez-vous !" ?
Franchement oui. Surtout quand je vois les commentaires d'après-match. Tu prends huit joueurs sur dix, tu sais très bien ce qu'ils vont dire : le match leur tenait à cœur, les trois points étaient le plus important... Des fois, il manque ce côté un peu Paga (NDLR : Référence à Laurent Paganelli, au bord des terrains sur Canal+). C'est dommage de ne pas avoir plus de présentateur comme lui, ça rendrait le foot plus marrant, moins robotisé. C'est ce qu'il manque aujourd'hui.

De quoi ont peur les footballeurs ?
De leur image, de passer pour des cons ou autres... C'est un peu l'effet négatif des réseaux sociaux. Il y a tellement de gens qui, avec un faux nom et sans photo de profil, taillent tout le monde alors qu'ils n'ont jamais joué au foot de leur vie et qui se permettent de critiquer un mec qui joue en Ligue 1... C'est ça qui me fait rire... C'est la liberté d'expression.

«Je dirais toujours ce que j'ai envie de dire. C'est moi qui commande, qui prend les décisions.»

Timothé Crépin