(L'Equipe)

Andreaw Gravillon (Lorient) : «Je pensais arrêter le foot pour le hand»

A 22 ans, Lorient est déjà le sixième club pro de la carrière d'Andreaw Gravillon. Performant en Serie B ces dernières saisons, le Guadeloupéen, parti à l'Inter Milan à 16 ans, a déjà vécu énormément de choses. Il refait le fil de sa vie et de son début de carrière pour FF.

Le jour où il s'installe en Métropole : «Je suis né en Guadeloupe. Je ne me souviens pas de la première fois que je suis venu parce que je devais avoir deux ans. Avec mes parents, on s'est installés en Ile-de-France, à Aubervilliers. Ensuite, on est repartis en Guadeloupe de 2008 à 2010, avant de revenir. Je me suis mis au football très tôt à 4 ans, à Aubervilliers. Je suis parti jouer à Thiais (Val-de-Marne), avant d'évoluer au Stade Lamentinois en Guadeloupe. Quand je suis revenu en Métropole, je suis allé à Créteil. Puis Garges-lès-Gonesses. Un souvenir de jeunesse ? Je me souviens d'un tournoi à Ponthierry où je jouais en tant qu'attaquant avec Créteil. Et je n'arrivais pas du tout à marquer. Lors du dernier match, on jouait contre Lens et j'avais mis mon seul but du tournoi d'une frappe du milieu du terrain.»

Le jour où il passe d'attaquant à défenseur : «J'ai démarré attaquant étant tout petit parce que j'étais un peu plus grand et un peu plus robuste que les autres. Mais quand je suis arrivé à Garges-lès-Gonesses, on m'a mis avec l'équipe 2 parce que j'étais arrivé sur le tard. Un jour, en allant à l'école, l'entraîneur de l'équipe 1 des U13 m'a dit : "Si tu veux venir en équipe première, il faut que tu passes arrière-droit." Quand tu joues au foot amateur, tu ne sais pas ce qu'il peut arriver ensuite donc monter en 1, c'est toujours quelque chose. J'ai dit ok. J'ai joué latéral droit jusqu'en U15 première année. A partir de ma seconde année de U15, j'ai évolué arrière droit, arrière gauche et défenseur central. En U17, on a fait un tournoi international à Ponthierry. En demi-finales, on m'a mis défenseur central. A partir de là, c'était parti à ce poste.»

«On ne trouvait pas l'adresse du terrain...»

Le jour où il passe tout près de rater la détection décisive : «J'avais fait une bonne saison comme défenseur central en marquant 4 ou 5 buts. Vers le mois de mars, un entraîneur de Garges appelle un recruteur pour l'Inter Milan qui s'appelle Mohamed Chacha pour lui dire qu'il avait deux jeunes intéressants. Un mercredi après-midi, après l'école, il y avait un regroupement de 40-50 joueurs à Blanc-Mesnil. C'était pour l'Inter Milan. Jusque-là, je n'avais fait aucun essai dans aucun club, je n'étais jamais allé à Clairefontaine... Ce jour-là, je me suis dit : "Même si ce n'est qu'un regroupement et qu'il ne prenne jamais de joueur, je vais essayer de le faire à fond." Sauf qu'on ne trouvait pas l'adresse du terrain... Mohamed Chacha m'a appelé pour me dire que mon profil l'intéressait. Il voulait alors parler à mon entraîneur. Du coup, j'ai dû courir à fond jusqu'au stade pour lui passer au téléphone. Mohamed Chacha est venu ensuite m'observer lors d'un match contre Villepinte. Je jouais défenseur central axe gauche et j'avais envoyé une transversale du pied gauche vers l'attaquant. Ça l'avait impressionné.»

«L'Inter ne voulait pas me prendre. A ce moment, il y a un scout de l'Inter, Pierluigi Casiraghi, qui est venu et qui a dit : "Non, je veux le faire signer. Avec le travail, je sais qu'il va devenir un grand joueur."»

Le jour où il fait son premier essai à l'Inter :
«C'est en 2014. Et cela ne s'est pas très, très bien passé. C'était dur et compliqué avec la langue. Même s'il y avait Axel Bakayoko (NDLR : Jeune joueur français qui avait également rejoint l'Inter en 2014) qui était déjà là-bas et qui m'aidait. Ensuite, on m'a fait revenir une seconde fois, parce que l'Inter n'était pas sûr. A ce moment, ils ne voulaient pas me prendre. Ils disaient que je rigolais trop avec les Italiens, que je faisais trop "l'intégré" et que je croyais déjà que j'avais signé. Sauf que moi, je leur expliquais qu'il fallait bien que je parle un peu pour m'intégrer... Pendant les matches, si je ne parlais avec personne, ça allait être compliqué. Je suis rentré en France et ils ne voulaient toujours pas me prendre. A ce moment, il y a un scout de l'Inter, Pierluigi Casiraghi, qui est venu et qui a dit : "Non, je veux le faire signer. Avec le travail, je sais qu'il va devenir un grand joueur." Donc j'ai signé à l'été 2014 grâce à lui.»

Gravillon sous les couleurs de Sassuolo lors de la saison dernière. (R4924_italyphotopress/IPP)

«J'ai commencé à me poser deux, trois questions...»

Le jour où il pense tout plaquer pour le handball : «Lors de ma signature à l'Inter, au début, c'est vrai que je ne me rendais pas compte. J'avais fait une grosse fête, parce que c'était ma première signature. Mais je ne m'y attendais pas : j'étais jeune, je voyais mon cousin aller faire des essais partout, la moitié de mon équipe aussi, les plus grands et les plus petits aussi... Le jour de la détection à Clairefontaine, je n'ai même pas eu la feuille pour y aller. Donc j'ai commencé à me poser deux, trois questions. Lors de la saison 2013-14, j'ai commencé à faire du handball. Pendant cinq mois, le samedi, j'avais match de foot l'après-midi et de handball le samedi soir. J'ai même commencé à l'aller m'entraîner avec les U17 régionaux de l'équipe de France à Sannois-Saint-Gratien. Et, à un certain moment, je pensais vraiment arrêter le football pour le handball. Sauf que j'ai deux entraîneurs qui m'ont dit d'arrêter de faire le con et de continuer le football. J'ai fait mon choix, et ensuite l'Inter est arrivé.»

«Jouer face au PSG ? J'étais tellement content que j'ai pris un carton jaune après deux minutes de jeu pour une faute sur (Jean-Kévin) Augustin. C'était un sentiment incroyable.»

Le jour où il entre face au PSG* :
«Bien sûr que je m'en souviens ! C'était mon tout premier match avec l'Inter. J'étais en U19 première année et le coach (NDLR : Roberto Mancini) avait dit qu'il convoquerait certains joueurs pour aller faire la préparation hivernale. Un jour, je suis chez moi avec mon père, et je reçois un message sur WhatsApp où il est écrit "Départ pour Doha le 27 décembre". J'ai pété un câble ! Je partais et on jouait face au PSG. J'étais trop content. Le jour du match, il devait rester cinq minutes avec cinq minutes de temps additionnel. On m'envoie m'échauffer mais je me disais que je n'allais pas rentrer. J'étais déjà content d'être là. Au bout d'un moment, on m'appelle. Je suis parti en courant. J'étais tellement content que j'ai pris un carton jaune après deux minutes de jeu pour une faute sur (Jean-Kévin) Augustin. C'était un sentiment incroyable. Je n'en croyais pas mes yeux.»

*Le 30 décembre 2015, à Doha, lors d'un match amical face au PSG, Andreaw Gravillon remplace Danilo D'Ambrosio.

Le jour où il remporte la Primavera, le Championnat U19 italien, en 2017 : «C'était incroyable ! On avait vécu une dure saison. J'étais en train de faire une grosse saison aussi. J'avais marqué 5 buts. Stefano Vecchi, mon entraîneur, m'avait fait énormément grandir. Il était dur mais ça m'a aidé à me forger.»

Le jour où il devient fan de Kurt Zouma : «Quand j'étais jeune, comme j'étais un peu plus musclé que les autres, j'étais plus puissant, j'aimais bien monter. Et quand je regardais les matches de Kurt Zouma, je ressemblais plus ou moins à son style. C'était quand il était à Chelsea. Maintenant, il faut que je regarde... Je ne sais pas à qui je peux correspondre. J'aimais bien aussi Raphaël Varane, par rapport à la sérénité qu'il avait, comment il jouait avec le ballon, et comment il couvrait la profondeur avec son accélération. Lilian Thuram ? Pour moi, c'est plus qu'une idole, c'est une légende. A chaque fois, sur YouTube, je regarde ses buts marqués face à la Croatie.»

«Lilian Thuram, c'est plus qu'une idole, c'est une légende.»

Le jour où il quitte l'Inter Milan pour Benevento :
«On avait gagné le Championnat des jeunes. J'étais rentré en vacances. Mais comme j'avais fait une grosse saison, il y avait plusieurs clubs pour moi. Mon agent m'appelle et me dit que Benevento me veut. J'étais en Guadeloupe. Quand on est jeune, on se dit que l'opportunité de jouer en Serie A ne passe qu'une fois. Donc je l'ai prise et je suis allé à Benevento. Sans regret par rapport au fait de quitter l'Inter. Quand on est jeune, il faut se forger, aller prendre de l'expérience pour revenir plus fort et ainsi intégrer le groupe professionnel. L'Inter, c'est une équipe avec une grande histoire mais c'était une bonne chose d'aller à Benevento pour grandir. J'ai joué mes premiers matches avec le numéro 95, pour représenter le Val-d'Oise et Garges-lès-Gonesses. C'est un rêve qui se réalisait. Quelque chose d'inoubliable.»

«Pescara, je n'oublierai jamais»

Le jour où il décide de déjà redescendre : «J'ai fait six mois à Benevento, mais ce n'était pas facile parce que l'équipe avait perdu 15 fois en 15 matches. Pour une première saison de Serie A, c'était dur de gratter quelque chose pour avoir plus de temps de jeu. J'appelle mon agent pour lui indiquer que je préfère partir en prêt. Sauf qu'à ce moment-là, on change d'entraîneur et Roberto De Zerbi arrive. Il ne veut pas me laisser partir. J'étais décidé. La première victoire, face au Chievo Vérone (NDLR : 1-0, 19e journée), j'étais sur le terrain lors des dernières minutes (NDLR : Il entre à 20 minutes de la fin). A la fin, j'ai salué tout le monde et j'ai dit à Roberto De Zerbi que je partais. Lui m'a dit non. Avant de dire oui : "Quand tu seras prêt, je te rappellerai." Je suis donc parti à Pescara (Serie B). Et j'ai explosé, j'ai pu montrer ce que je savais faire. Pescara, c'est une ville que je n'oublierai jamais. Tout le monde a été derrière moi. Les supporters de Pescara m'ont toujours poussé vers le haut. Les responsables des groupes de supporters m'ont dit que le jour où je reviendrai à Pescara, ils me dérouleront le tapis rouge. Si j'ai pu arriver jusqu'ici, c'est aussi grâce à eux et à la saison que j'ai fait à Pescara (NDLR : Il y reste pendant toute l'année 2018).»

Le jour où Pierluigi Casiraghi est décédé : «Ce jour-là, je me rappelle, j'avais entraînement le matin. Je reçois un message où on me dit qu'il est décédé. Je savais qu'il était malade, mais je ne savais pas que ça allait arriver aussi vite. Cela m'a mis un très, très, très gros coup. C'est une personne qui a été beaucoup présente pour moi, notamment dans des moments difficiles, quand je voulais rentrer en France. Il m'emmenait manger, il restait tout le temps avec Axel et moi. Il nous aidait énormément. Il nous a dépanné sur beaucoup de choses. Il nous donnait tout ce que nous avions besoin. C'a été comme un deuxième père pour nous. Sans lui, je ne serai pas là.»

Le jour où, le même été, il signe à Sassuolo puis à Ascoli : «J'étais très content d'avoir signé à Sassuolo (NDLR : Prêté alors par l'Inter, qui l'avait fait revenir en début d'année 2019 pour un contrat de quatre ans). J'avais fait une très grosse préparation. Quand on est rentrés de cette préparation, j'ai fait une semaine moyenne. Roberto De Zerbi est un très bon entraîneur, il essaie de ne pas te faire lâcher. On joue le premier match de Coupe d'Italie (NDLR : Victoire 1-0 sur La Spezia, Gravillon dispute les 90 minutes) et, à la fin, l'entraîneur donne une interview où il est assez dur. Il dit que je suis son dernier choix et que le club allait acheter un défenseur pour être titulaire. Le lendemain, j'ai appelé mon agent pour lui dire que ce n'était pas une erreur de signer à Sassuolo mais que je n'étais pas encore prêt. Je préférais redescendre d'une catégorie, faire une grosse saison en Serie B et ensuite prendre ma revanche autre part. C'est comme ça que je suis allé à Ascoli (NDLR : Il dispute 29 matches de Serie B en 2019-20).»

Le jour où il rejoint Lorient : «J'étais chez moi. Avant ma saison à Ascoli, j'avais dit à mon agent que je faisais cette saison et, ensuite, j'essaie de rentrer en France car je pensais que ça allait être un tremplin pour ma carrière. Mon agent m'a alors demandé si ça me plairait d'aller à Lorient (NDLR : Il est prêté cette saison par l'Inter avec option d'achat). J'ai dit oui directement, sans réfléchir à deux fois. Quand ils ont commencé à discuter de ma venue, j'étais très content. Je n'allais pas dire non à Lorient, un club qui a quand même une grande histoire, avec des joueurs très importants qui sont sortis de ce club. Je pense que ça peut être un très bon début pour moi. Être dans l'un des Championnats les plus costauds d'Europe va aussi pouvoir me forger et me faire grandir sur beaucoup de choses.»

Timothé Crépin