gouiri (amine) (F.Porcu/L'Equipe)

Amine Gouiri, la classe supérieure

Lâché par l'OL où il rêvait de s'épanouir, Amine Gouiri pourrait tout casser en Ligue 1 à Nice. Il a en tout cas tout pour. De Bourgoin à la Côte d'Azur, FF vous raconte le parcours et la destinée de "Minax le gourmand", constamment surclassé pendant sa jeunesse.

«On a remporté le challenge de l'offensive parce qu'on gagnait 22-0, 24-0. Ce challenge récompense l'équipe qui marque le plus de buts en France. On avait un phénomène. On affronte le club d'Air Bel avec notre génération 99. L'éducateur d'en face me dit : "Ton joueur-là, je vais demander la licence. Il n'est pas de 1999." Je lui réponds : "Tu as complètement raison. Demande... Il est de 2000."» Ce 2000, c'est Amine Gouiri. Manuel De Almeida en rigole encore. L'illustration d'une formation surclassée pour un joueur amené à être le futur du football français mais qui a été quelque peu freîné, récemment, dans sa progression. Du côté de Bourgoin, on n'oubliera jamais l'éclosion à toute vitesse de Gouiri. De Almeida, en trente ans de maison, l'avoue sans problème : «On n'a jamais vu un gamin avec autant de qualités à cet âge-là.»

Le Gouiri Football Club

L'histoire de la famille Gouiri est intimement attachée à Lyon. D'abord basés à Villeurbanne, les parents déménagent à l'Isle-d'Abeau, commune iséroise à deux pas de Bourgoin. C'est ici que naît Amine, le 16 février 2000. Quatrième enfant d'une fratrie de cinq. Un père qui a commencé à travailler à l'usine dans la région lyonnaise, avant de devenir chauffeur de bus. Une maman au foyer. Mais surtout un football qui occupe une énorme place. «On ne vivait que par le foot, reconnaît Saïd, le grand frère. On a tous joué au foot, on a tous trempé dedans.» À commencer par le père, Zaïr. «Je voulais devenir pro. Je n'ai pas eu la chance qu'Amine a. Quand j'ai eu mes enfants, je leur ai inculqué ça. Mes frères étaient footeux. Mes enfants ont tous hérité de mes gênes de footeux.» Coaches, joueurs, arbitres, bref, la famille Gouiri, c'est forcément football. «Même la maman d'Amine connaissait le foot, sourit Idil Tirouche, ami très proche du joueur. Je me souviens de discussions... Son papa jouait à un bon niveau.»

Dans le jardin familial, les parties s'enchaînent. Un dans le but. Deux qui se défient. Les dribbles s'enchaînent. Avec des dégâts. «Je me souviens des massacres que notre mère nous a reprochés, rigole encore Saïd Gouiri. On a vu beaucoup de pommes et de cerises tomber des arbres à cause de nos frappes. Cela ne demandait qu'à pousser, et nous, on cassait les branches.» Mais question foot, le niveau est là. Et le petit Amine est loin de se défiler. «On était les trois garçons ensemble. Et Amine arrivait à gagner alors qu'il avait sept et quatre ans de moins que mon frère et moi. Il avait déjà ce talent et son envie de gagner.» «Il s'est forgé musculairement, il prenait des petits coups, analyse le papa sur ces affrontements dans le jardin. On se disait qu'on allait l'inscrire en club.» Direction le club de l'Isle-d'Abeau. Le début d'un surclassement constant qui va durer plus de dix ans. «Il a joué avant l'âge requis, à partir de la moyenne section de maternelle, détaille Saïd Gouiri. Il avait déjà un gabarit exceptionnel. Il était très grand, très puissant, très rapide. En débutant, alors qu'il n'avait pas l'âge requis, les coaches disaient qu'il allait perdre son temps.»

«Je me souviens des massacres que notre mère nous a reprochés. On a vu beaucoup de pommes et de cerises tomber des arbres à cause de nos frappes.»

Devenu déjà trop grand pour son premier club, Amine Gouiri rejoint le club phare du coin, à Bourgoin, étape qu'avait déjà franchie deux de ses frères. Gouiri est alors U12. Son premier match, hasard du calendrier, est prévu face à l'Isle-d'Abeau. Score final : 10-1. Amine marque les dix buts de son équipe. Sans pitié. Au bout de trois mois, il est déjà surclassé, pour finir avec les U15 même pas un an plus tard. Saïd Gouiri : «À chaque fois qu'il revenait d'un match, à la maison, c'était : "Tu as mis combien de buts ? Cinq ? Dix ?" C'était une formalité.» Au domicile, la petite soeur observe tout ça de près et aime bien challenger ses frères. À la fin d'un week-end, elle fait le bilan des buts de chacun, et n'hésite pas à chambrer celui qui a été le moins prolifique. «Le week-end, j'avais les trois qui jouaient, je me demandais comment je pouvais faire pour tous les suivre, rembobine Zaïr, le père. Je ne pouvais pas me partager en quatre. J'essayais de m'organiser pour voir les bons matches. J'en ai fait des kilomètres ! C'est une belle histoire, le football.»

Surclassé, mini-Benzema et grosse tête

Dans ses premières équipes, le jeune Amine évolue défenseur et survole très vite en s'amusant à dribbler tout le monde. Gouiri saute très vite des classes. En poussins, on veut le mettre chez les benjamins. Alors qu'il est en CP, il affronte des CE1, des CE2. A six ans, il joue face à des enfants de 10 ans et rattrape même son frère, quatre ans plus vieux que lui. «Il avait une puissance et une intelligence de jeu innées, admire Saïd. Personne ne lui a appris. Il l'a fait tout seul.» Mickaël Boyer, son entraîneur d'alors, voisin de la famille à l'Isle-d'Abeau, ne dit pas mieux : «Il avait déjà tout. J'entraînais la génération 96, celle de son frère. Je le prenais avec moi dans les grands tournois. Il entrait. Il marquait. Il avait déjà une grosse frappe et se faisait remarquer.» Car sur le terrain, Amine est très vite attiré par le but. Comme tout le monde dans sa famille, il sera un attaquant. Et les modèles sont déjà en tête. «Dans un premier temps, ç'a toujours été Cristiano Ronaldo, admet encore Saïd Gouiri. Le fait qu'il cherche tout le temps le but. Il s'est identifié à ça. Il a beaucoup aimé Karim Benzema aussi.» «On l'appelait mini-Benzema, se souvient de son côté Alisan Berber, autre éducateur de l'Isle-d'Abeau. C'était un poison.» D'ailleurs, question surnom, un autre émerge. Mais cette fois pas vraiment en rapport avec le ballon rond : "Grosse tête." «Simplement parce qu'il avait une plus grosse tête que tout le monde», rigole Mickaël Boyer. «Dans la famille, on l'appelait aussi "La fuite", note Saïd Gouiri. Il n'arrêtait pas de boire, il prenait tout ce qu'il trouvait.»

Quand il accompagne sa classe d'âge, ça fait forcément des dégâts. Juin 2012. Lors du très coté tournoi U13 de Capbreton («La Mecque du foot pour un éducateur», dixit Ferrante), qui rassemble les meilleurs clubs de France, Bourgoin représente la Ligue Rhône-Alpes au détriment de l'Olympique Lyonnais ou de l'AS Saint-Étienne. L'équipe berjalienne termine cinquième et premier club amateur. Gouiri brille évidemment alors qu'il est U12. Autre rendez-vous où il va se montrer grandement : la Danone Nations Cup. Elément incontournable du succès de Bourgoin en France, Gouiri détonne par son gabarit et sa puissance dans la compétition. Résultat, malgré la 29e place de son équipe ? Un titre de meilleur buteur avec neuf pions en huit matches. «Dans tout ce qu'il a joué, il a terminé meilleur buteur», résume Mickaël Boyer.

«À chaque fois qu'il revenait d'un match, à la maison, c'était : "Tu as mis combien de buts ? Cinq ? Dix ?" C'était une formalité.»

Un «tank» dingue de buts

Au sein du club berjallien, c'est Adrien Ferrante qui côtoie le jeune talent et qui le surclasse en U13 puis en U15. «Il dégageait une puissance naturelle impressionnante, clame-t-il, encore admiratif. À son âge, athlétiquement, c'était un tank. Tout paraissait facile pour lui. Il était focus sur le but. Ce qu'il était capable de faire était incroyable, mais sans réelle prouesse technique : c'était dans la puissance, dans l'intelligence de déplacement, dans l'appréhension du contact. Il avait une maturité déconcertante.» Et sur le terrain, ça se voit évidemment : «Sur un match pour la montée, en U15 Honneur, poursuit Ferrante, il fait une prise de balle à vingt-mètres. Il entre dans la surface, fait un double petit pont et effectue une frappe surpuissante. Terminé. Pour un gars qui avait deux ans d'avance, on se disait que c'était incroyable...»

Le but, le but et encore le but. Cela en devient une obsession. «Quand il était en benjamins, on avait fait un concours. Il avait marqué 320 buts, j'en avais mis 203, rigole encore Saïd, le frère. Le but, il ne cherchait que ça. Frapper, dribbler les derniers défenseurs. Avec une efficacité pure. Il fallait qu'il marque. S'il sortait d'un match sans, il était frustré. Mais c'était rare.» «Sept ou huit buts par match, en U13, c'était fréquent», appuie Manuel De Almeida.

L'OL est là, oui. Mais Amine Gouiri veut prolonger le plaisir à Bourgoin une année de plus. Julien Sokol reste aux aguets. «Il marque des buts à chaque fois. Pour un enfant qui a deux ans de moins, c'est intéressant. Il y a des progrès dans la manipulation, il y a de la finesse dans le toucher. On identifie aussi qu'il doit encore progresser dans le jeu.» Lyon l'invite régulièrement les mercredis pour s'entraîner avec les U14 des Gones. «On avait un peu de mal à se projeter, confesse Sokol. On avait la référence de Karim Benzema et d'Anthony Martial. Ce n'était ni l'un, ni l'autre.» Sans pour autant le sécuriser : «À l'époque, on ne faisait pas beaucoup d'accord de non-sollicitation, voire plus du tout. On partait du principe que si on est obligés de faire signer un contrat à un jeune à 40-50 kilomètres pour qu'il vienne à l'OL, c'est qu'il y a un truc.» Sur le papier, le fait que Saïd Gouiri soit passé par Tola Vologe peut être un avantage pour Lyon. Quoique. L'expérience ne s'était pas vraiment bien passée, le grand frère Gouiri étant touché par de graves blessures au genou.

«Il avait passé un an chez nous, détaille Sokol. Les conditions n'avaient pas été bonnes pour lui. On pouvait imaginer que ce soit un frein dans le choix d'Amine, qui avait mal vécu cet échec. Même si on sentait qu'il avait vraiment envie de jouer à l'OL» Saint-Etienne et Nancy ne lâchent pas l'affaire, loin de là. «Nancy était presque sur le point de le faire signer, dévoile Saïd Gouiri. Amine avait bien aimé aller là bas. Nancy était en Ligue 1, arrivait à sortir des joueurs à l'image de Clément Lenglet...» L'ASNL, qui avait proposé un accord de non-sollicitation, tente l'opération séduction en invitant Amine Gouiri à Marcel-Picot pour assister à un match face au PSG en Ligue 1, avec rencontre des joueurs. «Cela s'est un peu retourné contre eux, observe Sokol. C'était en plein hiver, il faisait très froid, le voyage était très long et ça a un peu refroidi Amine... Il a vite compris que signer dans le club à côté de chez lui était une meilleure solution.»

«Dans tout ce qu'il a joué, il a terminé meilleur buteur»

Un talent qui entre naturellement dans les radars de la FFF. Gouiri honore une première sélection le 4 février 2016 en U16 et fait face à une disette inhabituelle. «Les premières fois, c'était compliqué parce qu'il n'a pas marqué tout de suite, relate Zaïr Gouiri. Il a inscrit son premier but en tournoi contre l'Irlande du Nord, avant un triplé contre le Pérou (lors du tournoi de Montaigu). Ensuite, les buts pleuvent.» Doucement. Quatre buts en onze sélections, mais des états de service et un profil qui plaisent déjà à Bruno Genesio. Au point que début septembre 2016, alors qu'il n'a encore que 16 ans, il est convoqué par l'entraîneur de l'OL pour affronter Bordeaux en Ligue 1.

«J'avais les yeux qui pétillaient, s'exclamait Gouiri à FF. Deux semaines avant ce match, pendant la trêve internationale, on m'a demandé d'aller m'entraîner avec les pros pour la première fois. J'étais étonné, je leur ai dit ''Moi ?''. Les joueurs plus expérimentés venaient aussi vers moi. Quand ils ont appris que j'étais né en 2000, ils étaient un peu choqués» «Quand les jeunes montent, ils sont un peu plus impressionnés, constate Lucas Mocio, qui a vu arriver le jeune Gouiri aux entraînements de l'équipe première. Lui arrivait devant Anthony Lopes et jouait comme si c'était un gardien lambda. Il n'avait pas peur d'essayer de se "battre" avec les meilleurs.»

Seize ans. Des débuts précoces. Un attaquant très adroit devant le but. Évidemment, le rapprochement avec Karim Benzema se fait très vite dans le Rhône. «Je lui disais qu'il était meilleur que Benzema à son âge, raconte Mickaël Boyer de l'Isle-d'Abeau. Lui, toujours la tête sur les épaules, ne pensait pas à ça.» «On disait que c'était le futur Benzema», admet Lucas Mocio. Elisha Owusu ajoute : «Il était très technique, il jouait comme lui, il portait des Adidas, il venait de la région lyonnaise, il n'était pas perturbé par la pression...»

Autre partenaire lyonnais, Lee Marvin Kouakou va même encore plus loin au sujet de celui qui se faisait appeler "Minax le Gourmand" au centre : «Il adore Benzema et le Real Madrid. Je pense qu'Amine voulait faire une carrière à la Benzema. S'imposer dans son club formateur, être adoré de la ville et des supporters. Être performant à Lyon pour ensuite partir au Real, son club préféré. C'était son plan de carrière, je pense.» «Benzema, c'était plus une source de motivation, pense plutôt Théo Ndicka. Il ne s'est jamais mis un poids par rapport à ça. Il ne s'est jamais dit : "Je suis la relève de Karim Benzema, il faut que je fasse comme lui." Il voulait se construire son identité.» Discours confirmé par le principal intéressé à FF, en 2017 : «Ça me plairait bien de suivre sa trajectoire. On me compare souvent à lui, à moi de l'imiter. Mais je trace mon chemin de mon côté, sans aucune pression.»

De quoi conforter l'OL dans son projet de le faire venir. Conforté, puisque Lyon a évidemment rapidement entendu parler du jeune Amine. C'était un an plus tôt, en 2012. Responsable du recrutement sur la région Rhône-Alpes, Julien Sokol ne tarde pas à être convaincu et les rapports s'enchaînent. «Ce n'est pas non plus Lionel Messi, explique-t-il. Mais au bout de trois à quatre évaluations, on sent le potentiel.» Même quand Amine Gouiri va jouer un tournoi hors de sa région, les retours sont les mêmes comme lors de ce tournoi à Gif-sur-Yvette, en région parisienne. «À Capbreton, poursuit Sokol, il marque trois buts. Quelques clubs démarchent les éducateurs, comme Saint-Etienne, Marseille, Nancy, Sochaux, Auxerre, mais peu savent que c'est un U12.» Les contacts avec les parents sont noués. Le projet est présenté en ce mois de juin 2012. L'objectif : intégrer Amine Gouiri à l'OL à la fin de son année U13. Pour lui qui a «l'OL dans la peau», selon Idil Tirouche, c'est une surprise. «Il était étonné que l'OL soit sur lui, promet Zaïr, le papa. Il était fan depuis sa naissance, depuis qu'il a commencé à regarder le foot. Il n'a pas raté un seul match à la télé. Ca a été gravé dans sa mémoire.»

«On avait un peu de mal à se projeter. On avait la référence de Karim Benzema et d'Anthony Martial. Ce n'était ni l'un, ni l'autre.»

Un tueur

Amine Gouiri débarque donc à Lyon pour la saison 2013-14. Mais l'OL ne lui donne toujours rien. La pression s'accentue, notamment au détour d'un tournoi à Sens où tous les clubs étrangers mettent le nez à la fenêtre. Sokol : «Il est chez nous mais on sent aussi qu'il commence à y avoir du débauchage de jeunes. En France, ça commence à être limite dans le pacte de non-agression. On décide alors de lui proposer un accord de non-sollicitation. Cela faisait six-sept mois qu'il était là et qu'il commençait à remplir tout ce qu'on avait fixé. C'était logique.» L'aventure OL peut démarrer. Les coéquipiers du centre de formation découvrent quelqu'un de «humble», «qui ne s'ouvre pas beaucoup», «réservé», «le coeur sur la main», «bosseur», «qui déteste perdre» selon d'anciens partenaires. Avec Lee Marvin Kouakou qui ajoute : «À la PlayStation, avant, j'étais plus fort que lui, mais, récemment, on a joué, il me met une taule tout le temps. Et j'ai le droit à des petites vannes regulieres sur ça. La PlayStation... Vous lui direz de ma part, il dort dessus presque !»

Mais sur le terrain, là encore, on le surclasse sans problème. «Il a toujours franchi les échelons un peu vite, confirme Armand Garrido, acteur majeur de la formation lyonnaise. Ses dispositions athlétiques lui permettaient de jouer assez facilement dans les catégories du dessus. Il était dans la lignée des grands attaquants qu'on a eus.» «Il n'avait rien à faire avec notre génération. Il tuait, il tuait, il tuait, tranche Théo Ndicka, ancien partenaire à l'OL, au sujet des qualités de buteur de Gouiri. En tournoi, il cherchait toujours à être le meilleur buteur. Même chose en Championnat. Je me rappelle d'un tournoi U14 où il allait à chaque fois voir la table de marque pour savoir si quelqu'un l'avait dépassé au nombre de buts.» Un tueur, c'est aussi le souvenir de Cris, son entraîneur, un temps, en réserve chez les Gones. «Il faisait vraiment la différence, confirme le "Policier", multiple champion de France avec Lyon. C'était un 9, mais pas un 9 qui va rester entre les défenseurs. Il va demander le ballon, sortir pour récupérer, faire des appels. Amine, c'est du talent.»

«Quand les jeunes montent, ils sont un peu plus impressionnés. Lui arrivait devant Anthony Lopes et jouait comme si c'était un gardien lambda. Il n'avait pas peur d'essayer de se "battre" avec les meilleurs.»

C'est alors que le caractère d'Amine Gouiri, décrit par tous nos intervenants comme ultra-réservé lui joue quelques tours. «C'est quelqu'un de très, très timide, confirme Elisha Owusu. Il a peur d'aller vers les gens. Peut-être que ça lui a fait défaut. Pour réussir, parfois, il faut savoir s'en foutre de tout, avoir un peu de caractère. Peut-être que, à un moment, ça lui a manqué.» Owusu confirme d'ailleurs le côté "Je m'en foutiste" qui a pu être reproché à son ancien coéquipier, «mais sur le terrain, quand tu lui donnes la balle, tu sais qu'il peut se passer un truc». C'est à ça, aussi, qu'on reconnaît parfois ces joueurs au talent indéniable mais qui demandent une gestion particulière. «Tous les jeunes joueurs ont besoin d'amour, certains peut-être plus que d'autres, analyse Bernard Diomède, sélectionneur de Gouiri en U19 et en U20. Amine a besoin de savoir qu'on fait attention à lui, de savoir qu'il fait partie du projet. Car, sur le terrain, la confiance, il l'a. De l'extérieur, tu peux croire qu'il est réservé, mais sur le terrain, il n'est pas si réservé que ça.» Quand Adrien Ferrante résume : «Il est très introverti, il l'est toujours. Je le connais depuis dix ans et j'ai encore dû mal à lui extirper un rire !»

Nabil Fekir, le grand frère

Au milieu des Corentin Tolisso, Maxime Gonalons ou Alexandre Lacazette, Amine Gouiri trouve surtout un grand frère en la personne de Nabil Fekir. «Il avait une grande importance, raconte Elisha Owusu, ancien coéquipier de Gouiri. Il le considérait comme son petit frère, il lui donnait beaucoup de conseils. Ce rôle de parrain, de lui expliquer les rouages du monde professionnel, les choses à faire et à ne pas faire...» Mocio prolonge : «Fekir l'a pris sous son aile. Amine a peut-être été plus vite accepté dans le groupe car il avait quelqu'un pour le guider.» «C'est une relation de frère. C'est un petit qui bosse, qui ne parle pas, qui fait les efforts, reconnaissait Nabil Fekir sur OLTV. Quand il est venu pour la première fois en pro, je l'ai tout de suite apprécié. Il était discret, un peu comme moi au début. Je me suis vu en lui.» Et quand Amine Gouiri revient chez les jeunes ou en réserve, il prévient ses coéquipiers : «Il nous parlait de l'intensité, qu'il était mort à chaque fois, relate Théo Ndicka. Il disait qu'il ne pouvait pas se permettre de louper des passes, qu'il fallait être propre techniquement. Limite des choses qui nous mettait la pression ! On se disait : "Ah, si Amine galère, nous, ça va être quoi ?"»

«Il adore Benzema et le Real Madrid. Je pense qu'Amine voulait faire une carrière à la Benzema. S'imposer dans son club formateur, être adoré de la ville et des supporters. Être performant à Lyon pour ensuite partir au Real, son club préféré. C'était son plan de carrière, je pense.»

Amine Gouiri lors de l'Euro U17 avec l'équipe de France, en 2017. (PRESSE SPORTS)

Plein d'espoirs pour la saison 2019-20, Gouiri déchante. Sylvinho est à la tête de l'OL. Avec les résultats que l'on connaît. Rudi Garcia débarque. Rien ne change. Encore. Et il est pourtant convoqué par Sylvain Ripoll en équipe de France Espoirs, en octobre. Gouiri dispute ses premières minutes, et est le seul élément du groupe à être un joueur de réserve. Car Gouiri doit en effet se contenter du N2. En fin d'année, Jeff Reine-Adélaïde et Memphis Depay sont victimes chacun d'une grave blessure au genou. La fenêtre idéale pour Gouiri. Ou pas. Lyon se met en tête de recruter (Karl Toko Ekambi arrive) et tente de prêter Gouiri. Nîmes et Le Havre auraient pu l'accueillir. Refus du joueur. «Parce qu'il estimait que c'était trop compliqué, dévoile Saïd Gouiri. Cela le faisait rester six mois ou un an dans une ville, pour revenir, puis partir de nouveau si c'était encore bouché. Il préférait avoir de suite de la stabilité.» Pourtant, l'arrivée de Rudi Garcia avait eu son lot d'espoir dans l'esprit du joueur : «Sylvinho avait tout à prouver, continue le frère, on lui a reproché de ne pas faire jouer les jeunes. Rudi Garcia est arrivé avec un discours assez encourageant au niveau des jeunes, mais entre le dire et le faire, il y a un grand écart.» Gouiri désespère : «Depuis cet hiver, c'est à peu près clair qu'il doit partir. C'était de la frustration, puis cela s'est transformé en colère. Il commençait à se dire "Mais ce n'est pas possible, ce n'est pas normal que je ne joue pas."»

Total en Ligue 1 en 2019-20 : une entrée dans les arrêts de jeu à Metz en février. Trop, c'est trop. Le 1er juillet, Amine Gouiri, qui a changé de représentant en début d'année pour confier ses intérêts à Alain Migliaccio (ancien agent de Zinédine Zidane), rejoint Nice pour 7 millions d'euros et un pourcentage à la revente. Beaucoup de supporters lyonnais fustigent cette décision. Quelques jours plus tard, Rudi Garcia lâche que «si un club fait jouer les jeunes, c'est bien l'OL. C'est un faux procès», tout en ajoutant : «Les jeunes jouent ici et s'ils ne jouent pas, c'est qu'ils n'ont pas le niveau, c'est aussi simple que ça.» «On aurait eu Amine Gouiri dans nos rangs, on ne l'aurait pas laissé partir, souligne Julien Fournier, directeur du football de l'OGC Nice. C'est la vie des clubs. On peut aussi me dire qu'on a laissé partir Malang Sarr à Chelsea... Il y a des attentes différentes entre un club et un joueur. Ce n'est pas pour ça qu'il faut faire le procès à Lyon.»

Le rappel à l'ordre de Lionel Rouxel

2017. Une apparition dans le groupe pro, un début d'impatience d'en vouloir plus et une confiance de Nabil Fekir, oui, mais quelques doutes apparaissent sur son rendement et sa progression. «Sa personnalité pouvait parfois laisser transparaître un esprit un peu hautain, détaille Adrien Ferrante. On lui a collé cette étiquette de grand garçon qui se prend pour un autre à l'OL. Quand on a cette attitude-là, respectueuse, discrète, et qu'on flambe en équipe de France de jeunes, tout de suite, le gars se prendrait pour une star. Est-ce que ça lui a joué des tours à Lyon ? Je pense.» Car oui, dès que le garçon prend le TGV pour Paris et Clairefontaine, les compteurs explosent. Illustration majeure avec ce quintuplé infligé à la Belgique en février (5-1).

En grand besoin de nouveau souffle pour enfin réellement lancer sa carrière au haut niveau, même s'il n'a encore que 20 ans, Amine Gouiri n'a pas tardé à convaincre Julien Fournier. Ce dernier raconte sa rencontre avec son attaquant : «On n'aurait pas pu le faire venir il y a deux ou trois ans. On est arrivés à un moment où, peut-être, lui sentait l'horizon un peu plus bouché. On est arrivés dans le bon tempo. Il me semblait extrêmement bien élevé et timide. Mais vraiment déterminé. J'ai senti beaucoup d'ambition.» Mais il tente également de le titiller : «Quand je rencontre un joueur, j'aime bien le piquer pour voir comment ça réagit. Quand on lui a parlé de sa place dans l'équipe, qu'il viendrait en supplément des attaquants déjà en place, il m'a dit droit dans les yeux et assez fermement : "Je ne serai pas un remplaçant, je ne viens pas pour être remplaçant." Mais en y mettant la forme, avec de la politesse.»

Toutes les personnes de son entourage confirment le côté reboostant de sa signature à Nice. Et son doublé dès son premier match en Ligue 1 face à Lens a conforté le tout. «Cette année, ça va être la sienne», espère Mickaël Boyer. Pour enfin faire fructifier tout ce potentiel pas vraiment exploité ? Julien Fournier l'espère, mais prévient : «Ce sera surtout à lui de bien gérer ce petit début de notoriété autour de lui. Sa capacité à garder la tête froide dans ces moments où tout le monde lui dit qu'il est très fort, très beau.» C'est avec ça, qu'il atteindra la classe supérieure.

Pourtant, un mois plus tard, Lionel Rouxel, sélectionneur du joueur depuis les U16, n'est pas satisfait. Stéphane Roche, ancien directeur du centre de formation lyonnais, parle même de «tournant» dans le parcours de Gouiri. Mais alors pourquoi remettre en question un garçon qui ne faisait que gonfler ses stats devant le but chez les jeunes Bleus ? En ce mois de mars, l'équipe de France U17 dispute un Tour Elite qui doit l'emmener sur la route de l'Euro de la catégorie. Lionel Rouxel, qui confesse ne pas avoir «toujours été gentil avec Amine», mais l'avoir «toujours protégé pour l'amener le plus loin possible» raconte : «Il a fait le Tour Elite, mais il est passé au travers car il n'était pas bien physiquement. Il ne voulait pas travailler plus que ça pour l'équipe. Il n'était pas toujours connecté au jeu et aux partenaires.»

Titulaire le 23 mars en Autriche (1-1), Gouiri prend place sur le banc deux jours plus tard devant l'Ukraine (3-1). Avec aucun but inscrit. Lionel Rouxel lui lance un ultimatum. «Dans sa tête, il n'était pas prêt. Pas prêt à faire les efforts pour les autres. Il avait cinq semaines pour se remettre à niveau... à tous les niveaux.» Car pour Rouxel, faire trembler les filets, c'est bien, mais «à un moment donné, ça ne suffit pas. Comprendre le collectif, s'intégrer un peu plus au groupe, être connecté plus au jeu, aux partenaires et jouer aussi pour les autres. Le travail physique n'était pas non plus sa priorité. Il a fallu qu'il en prenne conscience.»

«De l'extérieur, tu peux croire qu'il est réservé, mais sur le terrain, il n'est pas si réservé que ça.»

Le déclic bleu

Conscient qu'il peut très bien être éjecté du groupe de Lionel Rouxel pour l'Euro U17, Amine Gouiri transforme ce sérieux rappel à l'ordre en une source de motivation. «Il s'est remis en question, confirme Stéphane Roche. Il s'est rendu compte que son talent n'allait pas suffire. C'a été un déclic.» Rouxel voit les progrès, l'emmène en Croatie et contemple les huit buts en quatre matches de son joueur. Si les Bleuets sont sortis en quarts de finale par l'Espagne (3-1), ils ont l'occasion de se qualifier pour la Coupe du monde s'ils battent la Hongrie. 1-0, but de Gouiri. «Il a toujours été en avance. C'est à ce moment qu'il faut travailler deux fois plus. Il a commencé à retirer le frein à main. Lionel Rouxel lui a fait comprendre ça», félicite Saïd Gouiri.

Quelques mois plus tard, au Mondial U17, Gouiri claque cinq buts en trois matches de poules, mais les Bleuets déçoivent en sortant dès les huitièmes de finale devant l'Espagne (1-2). Gouiri convainc de plus en plus et entre enfin pour la première fois en Ligue 1 face à Montpellier le 19 novembre 2017 (0-0 ; 17 minutes jouées). 11 minutes à Nice la semaine suivante, puis seulement des miettes jusqu'en fin d'exercice. Frustré, surtout qu'il ne marque pas, Amine Gouiri se "venge" avec le maillot bleu. «Il faisait des performances surprenantes, constate Armand Garrido. Chez nous, en Championnat, il pouvait y avoir des moments un peu moins bon. Mais en allant en équipe de France, on avait l'impression qu'il était toujours bon. Il réussissait de grandes choses. Lionel Rouxel avait peut-être la bonne méthode.» Montrer qu'on fait confiance et qu'on l'accorde : une simple vérité dans le football, mais qui prend plus de proportion en ce qui concerne Amine Gouiri. S'il ne joue pas énormément chez les pros, Lyon lui fait signer sans surprise son premier contrat pro en avril 2018. La saison 2018-19 ressemble à un tremplin pour franchir une vraie étape. Elle ne durera que quelques semaines.

Les croisés, le cauchemar de la famille recommence

Ce 17 août, lors d'un entraînement avec la réserve lyonnaise, en veille de match, Amine Gouiri s'écroule. Le cri de douleur surprend ses coéquipiers, pas habitués à ça avec lui. «On faisait un jeu réduit, décrit Théo Ndicka, présent. Il fait un crochet. Sa jambe tourne. Il a su tout de suite que c'étaient les croisés.» Le cauchemar recommence dans la famille Gouiri. Saïd, le grand frère, a en effet été touché par cette blessure à quatre reprises. «Lyon est à un tournant à ce moment, reconnaît ce dernier. On commence à lui faire de la place. Genesio l'adore et veut le faire jouer.» Le frère Gouiri se souvient du contexte de cette blessure : «Il revient énormément fatigué et éprouvé du Championnat d'Europe U19. Il a fini meilleur buteur. L'adducteur lui tire. On lui laisse à peine deux jours de vacances. Il est exténué. Et sur un appui anodin, il se blesse.» Le coup est rude. Et pourtant. «Il disait tout de suite qu'il allait revenir plus fort, ajoute Ndicka. On avait plein d'exemples de personnes qui avaient eu les croisés, mais, dans sa tête, il s'est tout de suite conditionné et a pensé à l'après.»

Comme pour manifester la confiance accordée, l'OL lui fait signer une prolongation de contrat pendant sa convalescence jusqu'en juin 2022. A l'heure de revenir sur le terrain en avril 2019, Gouiri a appris. «Cela lui a montré que le football n'est pas toujours tout rose comme cela a pu se passer pour lui depuis tout jeune, remarque Idil Tirouche. Il a toujours été surclassé, il a toujours joué, il a toujours marqué. Là, c'était le premier coup dur.» «Une fois la blessure passée, la mentalité a changé, ça l'a fait grandir en tant qu'homme et en tant que joueur, confirme Saïd Gouiri. Ce ne sont plus les mêmes préparations de matches, plus les mêmes préparations de séances. C'est double effort, double travail, double récupération, double repos. Niveau alimentaire, c'était largement mieux.»

Amine Gouiri n'aura disputé que 15 matches officiels avec l'OL. (R.Martin/L'Equipe)

«On aurait eu Amine Gouiri dans nos rangs, on ne l'aurait pas laissé partir.» Julien Fournier, directeur du football de l'OGC Nice.

La famille Gouiri entre amertume et soulagement

C'est la fin d'une aventure de sept ans, avec forcément ce goût d'inachevé, si ce n'est de gâchis. Dans le clan Gouiri, l'amertume reste forte : «Cela lui tenait énormément à coeur, on a grandi avec l'OL, on est issu de la région, toute la famille a toujours aimé cette équipe. Mais il n'a jamais été dans les conditions idéales, surtout lors des deux dernières années, regrette Saïd Gouiri. À aucun moment, on a senti que l'OL lui faisait entièrement confiance. Cela n'a été que des paroles dites.» «Amine a un grand frère qui s'est fait plusieurs fois les croisés. Est-ce que l'OL n'a pas eu peur d'une potentielle rechute, et donc d'une potentielle perte à la revente ?», se demande même Adrien Ferrante. Quand Armand Garrido résume : «S'en aller à 20 ans de Lyon aujourd'hui ? Cela devient monnaie courante. C'est un peu dans la continuité de ce qu'on voit.»

«Quand on lui a parlé de sa place dans l'équipe, qu'il viendrait en supplément des attaquants déjà en place, il m'a dit droit dans les yeux et assez fermement : "Je ne serai pas un remplaçant, je ne viens pas pour être remplaçant."»

Timothé Crépin