crehin (vincent) michelin (clement) (V.Michel/L'Equipe)

Vincent Créhin (Le Mans FC) : «Avant, le coach faisait même la compta' et on jouait sur des terrains avec des taupes»

Vincent Créhin, qui entame sa cinquième saison sous les couleurs mancelles, a vécu toutes les transformations récentes d'un club dont il est aujourd'hui le meilleur buteur de l'histoire. Entretien.

Quelles sont vos premières sensations avec cette équipe du Mans en Ligue 2 ?
Elles sont bonnes ! L'équipe est bien, on n'est pas timorés. C'est ça qui est frustrant. Que ce soit à Lens ou à Valenciennes, moins à Auxerre où on a été moins bien, on n'était pas à la rue du tout. Tout le monde à envie de mordre dans le ballon. Il n'y a pas de blessé, pas de rouge, tout le monde est sur le pont. Après, il faut qu'on arrive à s'accorder. S'il y en a trois ou quatre qui réfléchissent différemment des autres, c'est sûr que sur le terrain, c'est compliqué. En ce moment, c'est peut-être un petit peu ça, mais c'est normal : il y a eu beaucoup de nouveaux, la mayonnaise ne prend pas comme ça. On peut avoir certains joueurs qui vont jouer en une, maximum deux touches et d'autres qui portent plus la balle... Mais on travaille beaucoup à l'entraînement, surtout offensivement, pour corriger ça. Des équipes comme Lorient, ça ne garde pas le ballon trente secondes, ça joue en deux touches et ça arrive vite devant le but ! En National, on pouvait encore se permettre de dribbler, mais en Ligue 2, il faut aller vite.

Vous avez reçu de nombreux renforts cet été, notamment des joueurs avec de l'expérience en Ligue 1 ou en Ligue 2. Est-ce que vous sentez l'équipe plus forte que la saison passée ?
Oui. Je la sens surtout plus forte techniquement, et dans l'expérience aussi. Il y a vraiment une bonne équipe. Pour l'instant elle ronronne, elle se cherche, mais on ne prend pas le bouillon non plus. Contre Valenciennes, on perd 2-1 mais, avec tout le respect qu'on leur doit, ils avaient l'air surpris d'avoir gagné ce match ! On n'envie personne, on n'a pas volé notre place en Ligue 2. Maintenant, il faut qu'on arrive à jouer ensemble, et en même temps. Une fois qu'on aura tous accordé nos violons, l'orchestre pourra jouer sa partition tranquillement, comme l'année dernière.

Sur un plan personnel, vous attaquez cette saison dans la peau d'un “ancien” du vestiaire, puisque vous êtes arrivé au Mans en 2015. Comment avez-vous vécu les transformations de ce club au fil des saisons et des montées ?
Déjà c'est une grande fierté, surtout pour le club. Chaque année on est montés, chaque année il y avait des choses qui progressaient. Quand monsieur Gomez (NDLR : Thierry Gomez, qui a repris le club en juillet 2016) est arrivé, il nous a remis directement au MMArena, et ça a été une grosse amélioration pour nous niveau jeu parce que quand je suis arrivé, on jouait à la Pincenardière (le centre d'entraînement actuel du Mans FC, ndlr). Et puis surtout cette année, avec le retour dans le monde professionnel, on a la chance d'avoir du monde dans le staff, des médecins, des dentistes... C'est vraiment un plus, il y a tout pour être dans les meilleures conditions pour réussir.

Est-ce que vous essayez d'insister sur ce passé difficile auprès des joueurs arrivés tout récemment ?
C'est sûr qu'on en parle un peu aux autres joueurs. Après, on ne veut pas non plus les "soûler" ! (rires) Mais on leur dit : "avant, on n'avait pas de casier", "avant, on n'avait pas de ceci, pas de cela"... Pour avoir vu la différence, on est vraiment gâtés aujourd'hui. Avant, le coach avait trois, quatre casquettes, il faisait même la compta, et nous on jouait sur des terrains avec des taupes. Maintenant, on a des terrains qui sont bien verts ! (rires). Donc oui, on en parle un peu, on glisse deux-trois phrases de temps en temps pour ne pas oublier d'où on vient. Tout ce qu'on a aujourd'hui, c'est un plus, mais il ne faut pas s'endormir là-dessus. Il faut que ça nous aide à gagner des matches.

En tant qu'ancien de l'effectif et meilleur buteur de l'histoire du club (62 buts), vous sentez que vous avez un statut particulier dans cette équipe ?
Même si je suis là depuis quatre ans et demi, je n'en tire aucun crédit particulier et je n'en veux pas. Je me défonce pour mériter ma place, comme tout le monde. Après, c'est sûr que dans les médias, ou pour la ville, on représente un peu plus parce qu'on est là depuis longtemps. On a mangé notre pain noir. Les déplacements le week-end en CFA 2 à Aubervilliers ou à Avoine Chinon, ce n'était pas évident. Je suis vraiment content que ce club retrouve le monde professionnel. L'idée maintenant, c'est de s'y installer, de se maintenir en Ligue 2. Mon boulot, c'était d'aider le club à remonter au moins jusqu'en National... et on a été en Ligue 2, donc c'est que du bonus. J'en profite à fond, pour n'avoir aucun regret.

«Avant, le coach avait trois, quatre casquettes, il faisait même la compta', et nous on jouait sur des terrains avec des taupes.»

Lorsque vous rejoignez Le Mans en 2015, ils sont en CFA 2 et vous en National avec Amiens. Comment avez-vous pris cette décision ?
J'avais envie de retrouver du plaisir, de rejouer. À Amiens, ça ne s'est pas bien passé, je ne rentrais pas dans la philosophie de jeu. Je n'avais pas envie de perdre du temps sur le banc. SI j'avais eu 20 ans, que c'était ma première année, j'aurais sans doute réfléchi mais là, je voulais jouer. J'ai dit au coach que je voulais partir, on m'a présenté ce projet et... voilà. C'était un sacré challenge pour moi parce que je quittais Amiens pour la CFA 2. C'était “ça passe ou ça casse”. Et quand ça casse, on tombe vite aux oubliettes. C'était un gros projet, j'y croyais dur comme fer, surtout grâce au coach et à sa philosophie de jeu. C'est sûr qu'il n'y en a pas beaucoup qui m'ont suivi, mais aujourd'hui j'en récolte les fruits. Et ça permet à d'autres d'y croire, ce n'est pas parce qu'on redescend en CFA 2 que c'est terminé. Tant qu'on bosse, il faut y croire. Et aujourd'hui, je suis content d'être remonté au haut niveau.

Sur les quatre saisons que vous avez jouées avec Le Mans, trois se sont soldées par une promotion ou un titre et vous avez fini meilleur buteur du club. Les objectifs sont les mêmes, cette saison ?
(rires) La montée non, évidemment, ce sera d'abord le maintien, ça c'est sûr ! Pour le reste, comme je le dis tous les ans, je ne cherche pas à être meilleur buteur. Je cherche juste à prendre des points et faire gagner l'équipe. Les buts, si je peux les mettre je les mettrais, mais ça n'a jamais été mon objectif. Je ne suis pas un numéro 9, je suis plus un 10 qui se balade entre les lignes, qui court beaucoup. J'aime bien faire la dernière passe, les décalages dans les intervalles... Je pense avant tout au collectif. Si demain, je ne marque que cinq buts mais qu'on est maintenus, la mission sera accomplie pour moi.

«Ça permet à d'autres d'y croire, ce n'est pas parce qu'on redescend en CFA 2 que c'est terminé»

Propos recueillis par Alexandre Aflalo