sala (emiliano) (P.Lahalle/L'Equipe)

«Tu pouvais lui donner ta vie, il se serait battu pour elle» : Anciens coéquipiers et entraîneurs d'Emiliano Sala lui rendent hommage

Fin janvier, dans un numéro spécial consacré à Emiliano Sala, ceux qui avaient eu l'honneur de côtoyer l'attaquant argentin nous racontaient leurs souvenirs à ses côtés. À chaque fois avec émotion. FF.fr vous propose de les (re)découvrir.

Olivier Frapolli* : «Il a tellement lutté contre les préjugés et pour se faire un nom»

«La première image que j’ai de lui, c’est quand je l’ai vu disputer un match avec la réserve des Girondins, face à Mont-de-Marsan, en CFA 2. C’était un pur hasard que je me retrouve à cet endroit-là puisque je rendais visite à mes filles qui vivent là-bas. Et j’ai vu ce garçon sur le front de l’attaque, pas très élégant, avec les épaules remontées, un peu courbé, mais qui avait quelque chose de différent. Ça ne sautait pas aux yeux mais quelque chose m’interpellait. J’ai tout fait pour le récupérer en prêt. C’était un garçon tellement attachant, avec son sourire, son accent. Il avait la soif de vaincre, de réussir. C’était un buteur. Il n’y a pas beaucoup de joueurs qui adorent la surface de réparation, qui font tout pour y aller. Lui aimait le but. C’est tragique parce qu’il a tellement lutté contre les préjugés et pour se faire un nom et une place dans le football français… Il voulait vraiment réussir en France.»

*Son entraîneur à Orléans (2012-13).

Florian Martin* : «J'étais en admiration devant lui»

«Après les matches, on aimait bien aller boire une Despé dans un bar à Niort, avec la joie de vivre qu’il avait. On rigolait aussi quand il revenait d’Argentine avec deux ou trois kilos de trop. Il aimait bien la bonne viande de là-bas. C’est un gars qui a beaucoup travaillé pour arriver là où il aurait dû être aujourd’hui. Il avait signé le contrat de sa vie dans le plus grand Championnat du monde. Ce qui lui arrivait, c’était grand, c’était beau. Quand je voyais la saison qu’il accomplissait, avec un transfert à 17 M€, je me disais "bravo, mec, tu as réussi". Réaliser qu’un gros travailleur, qui ne lâche rien, du National jusque-là, est stoppé net en pleine ascension, c’est horrible. Il se battait pour avoir ce qu’il avait. J’étais en admiration devant lui.»

*Son coéquipier à Niort (2013-14).

Tristan Lahaye* : «C'était un mauvais bluffeur»

«Emiliano, personne ne pourra vous en dire du mal. C’était un mec très généreux sur le terrain, mais il était le même dans la vie. Un coéquipier en qui on pouvait avoir confiance, qui ne pensait pas à sa pomme. Je repense surtout à ses joies après avoir marqué. Sa joie était communicative. Je me foutais d’ailleurs de lui en lui disant : "Attends, tu mets un but de raccroc et on a l’impression que tu as marqué en Ligue des champions." Lui répondait : "Un but est un but, je suis content de marquer. Nous, les Argentins, c’est comme ça." Il ne faut pas oublier que lorsqu’il est arrivé chez nous, il avait des lacunes techniques. Mais à force de travail, il en est arrivé là : chapeau l’artiste ! À un degré moindre, il me faisait penser à Edinson Cavani. Le genre d’attaquant à laisser de la gomme à force de défendre, mais très important pour le collectif. Hors terrain, on se retrouvait souvent pour jouer au poker et passer la soirée ensemble. Bon, c’était un mauvais bluffeur (Il sourit), mais le plus important était de rigoler.»

*Son coéquipier à Niort (2013-14).

Emiliano Sala avec Pascal Gastien, à Niort. (ROMAIN/PRESSE SPORTS)

Pascal Gastien* : «Il donnait l'impression de jouer sa vie chaque jour»

«Dans le fond, je pense qu’il jouait pour sa famille. Pour lui, quitter son pays si jeune a été un grand sacrifice sur le plan émotionnel. Mais il avait une soif de réussir extraordinaire, et surtout il s’en donnait les moyens. Il donnait l’impression de jouer sa vie chaque jour. À chaque entraînement, à chaque exercice. C’était un vrai bon leader qui tirait son équipe vers le haut. Quand il perdait, on avait l’impression qu’on lui arrachait quelque chose. C’était un vrai compétiteur, qui écoutait, qui voulait toujours avancer.»

*Son entraîneur à Niort (2013-14).

Rémy Vercoutre* : «Il touchait un rêve du doigt»

«À Caen, tout le monde l’appréciait. Il nous avait beaucoup aidés à nous maintenir. Il avait une forte assurance et conscience de ses qualités. Surtout, il ne rechignait jamais à la tâche. Quand il est parti, au bout de six mois, on était tous très tristes. Il avait un grand cœur, était aimé, apprécié. Il n’avait jamais un mot plus haut que l’autre. Quelqu’un avec qui tu es obligé de bien t’entendre. C’est pour ça que c’en est sûrement plus dur… Il avait une grosse envie de réussir. Et pouvoir aller jouer dans l’un des plus grands Championnats du monde était quelque chose qui nous émerveillait tous. Il sortait d’une saison accomplie et touchait un rêve du doigt.»

*Son coéquipier à Caen (2015).

Sala, le Caennais. (R.Martin/L'Equipe)

Rémi Gomis* : «Il avait la vraie grinta des joueurs sud-américains»

«Ceux qui parlent espagnol, quand ils écrivent "MDR" dans leurs messages, ils écrivent "Jaja". Du coup, on l’appelait comme ça. Il était toujours souriant, aimait rigoler. Il était très apprécié du groupe. On se chambrait ensemble, on vivait bien. Il avait son caractère quand il n’était pas content mais, en temps normal, il était super gentil. Sur le terrain, il avait la vraie grinta des joueurs sud-américains. On lui disait de s’économiser mais on ne pouvait pas le changer, il était comme ça.»

*Son coéquipier à Nantes (2015-16).

David Alcibiade* : «Il était à la recherche d'une paix intérieure»

«On aimait bien aller manger un bout, voir les matches de volley de sa copine. C’était un peu mon prof d’espagnol. D’ailleurs, il me rappelait pas mal l’Espagne. Même si l’Angleterre s’était ouverte à lui, il aurait beaucoup aimé évoluer là-bas. Je me souviens aussi de la musique d’Aya Nakamura, Djadja. Comme son surnom c’était "Jaja", à chaque fois qu’elle passait, il était là à danser et à crier partout. Dès que je l’écoute, je pense à lui. Avant les entraînements, on pouvait aller chez le kiné se faire masser. Et lui avait toujours cette période où il était peut-être un peu trop en forme, où il prenait un Stabilo et allait en mettre à tout le monde, surtout à son compère Nicolas Pallois. Il aimait bien également faire des petites blagues dans les chaussures des gars. Au départ, c’était pourtant un gars assez réservé, mais quand il se lâchait, c’était un petit marrant.

On a eu des discussions très fortes tous les deux. Notamment sur la foi, puisqu’il était chrétien. Je me souviens d’une conversation chez lui. J’étais venu pour l’aider à mettre en place un barbecue. Puisqu’on avait fini en avance, on était partis promener sa chienne Nala dans les champs. On était tranquilles et on parlait à cœur ouvert. Il m’a dit : "O.K., le football, c’est bien, mais je veux plus dans ma vie." Il cherchait la sérénité. Je lui disais que, dans la foi chrétienne, on avait l’assurance d’avoir la vie éternelle et il voulait en savoir plus. "Emi" a connu la gloire de mettre des buts, mais il savait qu’il y avait quelque chose de plus à aller chercher, sauf qu’il ne savait pas comment. Je lui disais que je n’avais pas forcément le meilleur contrat, la meilleure voiture ou la meilleure situation, mais qu’aujourd’hui, j’étais heureux. Il me demandait comment je faisais pour être dans cette paix totale, ce qui faisait la différence. Il était heureux dans sa vie, mais il ne voulait pas être malheureux dès lors que ça irait mal dans le football. Il avait besoin de pouvoir, même dans la déception ou les frustrations du terrain, être heureux et avoir quelque chose en plus. Il était à la recherche d’une paix intérieure.»

*Son coéquipier à Nantes (2015-18)

«Il était heureux dans sa vie, mais il ne voulait pas être malheureux dès lors que ça irait mal dans le football. Il avait besoin de pouvoir, même dans la déception ou les frustrations du terrain, être heureux et avoir quelque chose en plus.»

Sala, le Nantais. (F.Porcu/L'Equipe)

Rémy Riou* : «Tu pouvais lui donner ta vie, il se serait battu pour elle»

«À Nantes, lors de ma dernière saison là-bas, nous étions en chambre ensemble. "Emi", ce n’était pas un grand bavard, pas quelqu’un d’extravagant qui montre ses sentiments. On pouvait rester des heures sans se parler, en étant tranquillement ensemble sans déranger l’autre. Mais tu pouvais lui donner ta vie, il se serait battu pour elle. On discutait notamment de la famille, qui était très importante pour lui. Sa mère venait souvent le voir d’Argentine, ses amis aussi. Je me souviens de la dernière soirée à Nantes pour fêter notre fin de saison. Avec des joueurs et quelques-uns de ses amis argentins, on s’était rejoint chez lui. On avait refait le monde jusqu’à 10-11 heures du matin… Il était comme ça : tu pouvais t’inviter chez lui, sonner, il t’accueillait, te servait un verre de vin sans problème.»

*Son coéquipier à Nantes (2015-17).

Wilfried Moimbé* : «Son espoir caché, je pense, c'était de "toucher" un jour l'Albiceleste»

«Un joueur longiligne, maigre, assez timide. Au fur et à mesure, on a découvert un bon mec, qui aimait beaucoup chambrer, qui aimait le collectif. Quelqu’un de très gentil, mais aussi de sanguin. “Emi”, il ne fallait pas l’énerver. On l’a vu un jour (il sourit) : il était en France depuis peu de temps et certains ont un peu voulu le chambrer sur son accent. Et c’en est venu aux mains. C’est un Sud-Américain, ils sont un peu chauds. Mais comme je suis un mec qui aime beaucoup chambrer, on s’entendait bien. Quand on s’est retrouvés à Nantes. Je lui posais souvent des questions sur l’Argentine. Il était passionné par ça. Son espoir caché, je pense, c’était de "toucher" un jour l’Albiceleste (la sélection argentine). Je pense que les recruteurs bordelais qui l’ont fait venir n’imaginaient pas qu’il arriverait un jour à ce niveau. Mais avec son tempérament, son travail, sa hargne, il est devenu un très bon joueur de Ligue 1 qui a pu signer un contrat en Premier League.»

*Son coéquipier à Bordeaux et à Nantes.

Timothé Crépin (avec Tomas Goubin)