OUDJANI (CHERIF) (M.Deschamps/L'Equipe)

«Tu n'es plus un joueur lambda» : ils ont gagné une Coupe d'Afrique des nations et ils racontent comment cela a changé leur vie

On ne mesure peut-être parfois pas assez l'importance d'une Coupe d'Afrique des nations sur le continent. Ceux qui ont eu la chance de soulever le trophée racontent l'impact d'un sacre et ses conséquences à plus ou moins long terme.

Pius N'Diefi* : «Mon nom n'est pas effacé»

«On avait gagné en finale contre le Nigeria en 2000, ce qui n’était pas facile car ils jouaient à domicile. Puis, contre le Sénégal en 2002. Gagner deux fois la CAN, c’est indescriptible. La génération de Roger Milla avait déjà réalisé cette performance (NDLR : Vainqueur en 1984 et 1988, finaliste en 1986) et notre génération l’a aussi fait. Ça fait tellement plaisir. Ce sont des moments qu’on ne peut jamais oublier. Quand on est rentrés au Cameroun, on a été accueillis par le Président et on a été décorés. Puis, quand on a fait le tour du pays, dans toutes les villes, on a été reçus comme si on était le Président. C’était la même chose que lorsque la France a remporté la Coupe du monde : tout le monde était dehors. C’est plus fort que n’importe quel autre trophée parce que c’est ton pays qui est en jeu, toute une population derrière toi. C’est beaucoup plus fort qu’en club.

Ces titres ont changé la façon dont les gens me regardent. En France aussi, mon image a changé car en plus on a continué sur notre lancée avec une finale de Coupe des confédérations en 2003 qu’on avait perdu contre la France. J’étais, entre guillemets, devnu un "grand joueur". Une fois de retour dans mon club, on me respectait pour avoir gagné la CAN. Cela m’a aussi poussé à aller plus loin et à marquer plus de buts pour mon équipe. Après avoir gagné, mon agent m’a appelé pour me dire que de nombreux clubs étaient sur moi. Cette victoire m’a permis aussi de prolonger à Sedan et de revaloriser mon contrat. Gagner la CAN, ça aide. Il y a eu un avant et un après pour moi. Maintenant, à chaque fois que je passe quelque-part au Cameroun, on me demande des autographes ou des photos. Encore aujourd’hui, je suis sollicité et ça me fait plaisir qu’on n’est pas oublié depuis 2002. Mon nom n’est pas effacé !»
 
*Vainqueur en 2000 et 2002 avec le Cameroun.

«Une fois de retour dans mon club, on me respectait pour avoir gagné la CAN»

Pius N'Diefi et Winfred Schäefer, le sélectionneur du Cameroun, en 2002 lors du sacre des Lions Indomptables. (C.Calais/L'Equipe)

Gervinho* : «Ce n'est plus le même regard qu'avant»

«Au niveau du pays, notre statut change. Ce n’est plus le même regard qu’avant. Maintenant, vous êtes champion d’Afrique. Vous avez apporté quelque chose à votre pays au niveau du football. Quelque chose que les gens attendaient depuis fort longtemps. Mais on ne s’en rend pas compte quand on est encore dans la compétition. On voit l’ampleur quand on arrive au pays, on voit toutes sortes de catégories de personnes venues nous accueillir. Je sais que j’ai donné de la joie à mon pays, je l’ai fait vibrer. Quand j’étais dans le bus au sortir de l’aéroport, on voit des mamans, des papas, des enfants pleurer de joie et crier quand ils nous voyaient. Ça, ça fait plaisir. C’est là que tu vois ce que représente vraiment cette coupe au niveau du continent africain. Ce statut de champion d’Afrique ne pourra jamais s’effacer.»

*Vainqueur en 2015 avec la Côte d'Ivoire.

Le président nous a aussi reçu. C’était la fête pendant trois-quatre jours. Les deux années suivantes étaient exceptionnelles. Ensuite, ça finit par s’estomper mais c’est quelque chose qui reste ancré en moi. Pour la suite de ma carrière, quand je suis revenu en club à Paris, je n’ai pas eu un statut qui m’a été favorable. C'est comme si je n’avais rien fait. Ils m’ont félicité pendant un ou deux jours, c’est tout. Et après, je me suis battu pour avoir du temps de jeu et je n’en ai pas eu. C’était compliqué.»
 
*Vainqueur en 2004 avec la Tunisie.

Selim Benachour* : «En club, c'est comme si je n'avais rien fait»

«J’ai eu la chance de la gagner et d’être de ces 23... Surtout que la Tunisie ne l’a gagné qu’une seule fois dans son histoire. Je ne dirais pas que ça change la vie, mais c’est quelque chose qui a été très important pour la suite de ma carrière. Au pays, on avait des passe-droits qui étaient incroyables ! Sur les deux-trois années après la CAN, c’était difficile pour moi de marcher dans la rue ! On est reconnu, chouchouté dans le pays. Le peuple tunisien aime le football, ce sont des mordus. Comme on a fait quelque chose de très grand, ils nous l’ont rendu en nous invitant sur les chaînes de télé, dans les restaurants.

«Ça finit par s'estomper mais c'est quelque chose qui reste ancré en moi»

La Tunisie 2004 de Benachour reste la dernière sélection des Aigles de Carthage à avoir remporté la compétition. (FEVRE/L'Equipe)

Ça n’a pas fondamentalement changé ma vie mais je n’aurais pas cru que les gens s’en rappellent autant. Mais ce n’est pas pour ça que ça ouvre des portes. Ça ne m’a aucunement ouvert des portes en Algérie. Ça m’a donné une crédibilité ou un respect par rapport à ce que j’ai fait. Mais si l’Algérie avait eu trois ou quatre CAN depuis, on l’aurait bien moins évoqué. Les joueurs et les équipes peuvent laisser une empreinte. Mais les titres, c’est indélébile. Ça reste gravé. Quand j’étais jeune, je ne me rendais pas compte. Mais trente ans plus tard, je comprends que, quelque part, j’ai marqué l’histoire de l’Algérie.»
 
*Vainqueur en 1990 avec l’Algérie.

Rahdi Jaïdi* : «Ç'a boosté mon image en Tunisie»

«J’en suis très très fier. À chaque fois que j’y repense, j’ai la chair de poule. On avait fait la fête à l’hôtel, et après, je suis allé voir ma famille que je n’avais pas vu depuis un mois. C’était extraordinaire. Aujourd’hui, je vis tous les jours avec cette mémoire-là. Je n’ai jamais oublié cette victoire. C’est un des grands moments de ma carrière. Chaque jour, j’y repense et ça me donne de l’énergie. Ç’a boosté mon image en Tunisie et ça m’a aidé à construire ma carrière en Angleterre. Elle a pris un nouveau virage grâce à cette CAN. J’en ai profité, d’autres n’en ont pas profité. Nous en Tunisie, c’est pareil que Barthez et Zidane pour vous, c’est magique.»

*Vainqueur en 2004 avec la Tunisie.

Chérif Oudjani* : «Quelque part, j'ai marqué l'histoire de l'Algérie»

«Ça reste toute une vie. Je me rends compte que, malheureusement, comme l’Algérie n’a pas gagné d’autres titres, je suis resté l’unique, et on me le rappelle à chaque fois. Tant qu’il n’y aura pas un autre titre, on en parlera. C’est un peu comme Just Fontaine dont on parlera de son record de buts à chaque Coupe du monde. Dans mon métier de recruteur, je suis souvent allé voir des matches en Afrique ou dans des académies, et les gens m’en reparlent toujours.

On se prêtait au jeu des autographes, aux discussions. Aujourd’hui encore. Et même en France, je ne pensais pas être aussi connu. Quand je sors dans Le Havre ou même à Paris, on me reconnaît encore. Pourtant je ne suis plus d’actualité. On ne m’a pas oublié. Ce titre a changé mon statut, mon image. Tu n’es plus un joueur lambda. En Europe aussi, on était deux fois plus respecté par nos coéquipiers. On était vu différemment. Pour certains joueurs, cela avait été très positifs car certains étaient en fin de contrat, ils devaient le renouveler et leurs côtes sont montées. Cela a eu un impact sur leur carrière. Moi, personnellement, j’avais reçu trois offres concrètes suite au titre.»
 
*Vainqueur en 1992 avec la Côte d’Ivoire.

«Ça m'a donné une crédibilité ou un respect par rapport à ce que j'ai fait»

En 1990, lors de la finale entre l'Algérie et le Nigeria, Chérif Oudjani offrait le premier titre aux Fennecs d'une frappe de l'extérieur de la surface. (M.Deschamps/L'Equipe)

Joël Tiéhi* : «Tu n'es plus un joueur lambda»

«On était la première génération ivoirienne à gagner la CAN. C’était un grand moment avec le retour au pays et l’engouement que cela a suscité. Gagner une CAN pour son pays... En plus, à cette époque, en 1992, le pays était un peu mal. Cette victoire a remobilisé tous les Ivoiriens et les a marqués. Cela a eu un effet positif sur la société. Pour la deuxième victoire, il a fallu attendre 2015. Cela fait beaucoup de temps. Donc notre victoire a marqué le pays. On était adulés partout où on allait et on était tout de suite remarqués. J’essayais d’être le plus positif possible, de propager des ondes positives en saluant des gens qui galéraient bien souvent.

«En Europe aussi, on était deux fois plus respecté par nos coéquipiers. On était vu différemment»

Joël Tiehi, ici à gauche, en 1992, face au Congo lors du premier tour d'une CAN qu'il remportera quelques jours plus tard (LECOQ/L'Equipe)

Pierre Lechantre : «Ça m'a rassuré sur mes convictions»

«Le fait d’avoir gagné la CAN m’a rassuré sur mes qualités d'entraîneur. Avant ça, j’avais été maximum au niveau Ligue 2. Je me suis retrouvé à la tête d’une équipe du Cameroun au niveau exceptionnel, et j’ai installé un nouveau système de jeu à trois défenseurs. On en parle encore de coach Lechantre et de son système à trois. Cela avait super bien fonctionné. Ça m’a rassuré sur mes convictions et sur mes futures orientations dans les grands clubs africains. J’ai aussi eu l’opportunité d’entraîner le Qatar en 2002-03, ça m’a ouvert de nombreuses portes. Ça m’a permis de faire une carrière intéressante. Aujourd’hui, vis-à-vis des Camerounais, j'ai laissé une belle empreinte, une belle image. J’ai pris la fibre camerounaise, je m’y étais installé avec ma femme et mes enfants.» 

*Vainqueur en 2000 en tant qu'entraîneur avec le Cameroun.

Augustin Audouin , Nicolas Jambou  et Timothé Crépin