lemar (thomas) (P.Gherdoussi/L'Equipe)

Son histoire, son parcours, son caractère... Thomas Lemar raconté par ceux qui l'ont couvé, de la Guadeloupe à Caen et Monaco

Il brille sur le terrain mais fuit la lumière en dehors. Malgré sa dimension prise en 2017 avec l'AS Monaco et l'équipe de France, Thomas Lemar déteste toujours autant parler de lui. Alors FF est allé interroger ceux qui ont formé, conseillé, accompagné le délicieux gaucher, des terrains bosselés de sa Guadeloupe natale aux fastes de la Ligue des champions.

C'est l'histoire d'un gamin furieusement doué, excessivement déterminé et... incroyablement réservé. Pour décrypter le parcours et l'ascension de Thomas Lemar, mieux vaut éviter de questionner le principal intéressé. Dévoiler publiquement le moindre aspect de sa personnalité lui déplaît, le gêne ou le bloque. Et ça ne date pas d'hier. «Il n'aime pas se mettre en avant ou parler de lui, et il a toujours été comme ça», affirme son ami et ancien partenaire Lenny Nangis. «C'était un enfant introverti, très discret, mais qui savait ce qu'il voulait, précise Franck Louis, conseiller technique régional en Guadeloupe et proche de la famille Lemar. Il avait un objectif en tête et il mettait tout en oeuvre pour l'atteindre. En fait, quand je le regarde aujourd'hui, je me dis que c'était exactement le même à quatorze ans. Il a pris de l'assurance, mais il arrive toujours à se préserver par rapport au statut qu'il a.»

Plus que de son statut, le caractère discret de ''Toto'' vient d'une éducation axée sur le respect, l'écoute et le travail. «Ses parents sont très croyants, très respectueux des autres, éclaire Philippe Tranchant, ancien responsable de la formation à Caen. Ils ne sont jamais dans la critique, le négatif, et sa maman notamment est vraiment attachée à certaines valeurs. Entre l'argent, les bagnoles, les copines, il faut savoir se référer à l'essentiel. Et sa famille lui a transmis ça. Il va faire une grande carrière parce qu'il sait rester concentré sur les fondamentaux, en tant qu'homme ou en tant que joueur.»

«Le meilleur joueur que la Guadeloupe ait jamais connu»

Tranchant sait de quoi il parle, lui qui a découvert le talent de Lemar il y a neuf ans, aiguillé par Franck Louis : «Je l'ai appelé pour lui dire que j'avais devant moi le meilleur joueur que la Guadeloupe ait jamais connu.» Habitué à faire traverser l'Atlantique à de jeunes talents antillais, le formateur normand a d'abord souri, avant de vérifier la prophétie sur place. «J'ai observé ce petit bonhomme qui faisait une tête de moins que tout le monde, et qui était dix fois supérieur sur le plan technique, mais aussi tactique. Il se déplaçait merveilleusement bien, avec une motricité exceptionnelle... Et il n'avait que treize ans.» Dès lors, Philippe Tranchant s'attache (et parvient) à convaincre la famille Lemar de choisir le Stade Malherbe plutôt que d'autres écuries plus prestigieuses pour peaufiner la formation de l'élégant gaucher. À quinze ans, Thomas s'envole donc pour la Normandie, accompagné d'une autre promesse locale, Jordan Leborgne.

S'il peut compter sur les visites régulières de ses proches, «l'attention particulière» de Philippe Tranchant ou le soutien du ''clan'' guadeloupéen du SMC (Leborgne, Nangis, Nabab...), le dépaysement est total. «J'étais là naturellement pour l'aider, le conseiller, raconte Lenny Nangis, qui avait fait le grand saut un an plus tôt. Le climat, la nourriture, l'environnement... Tout change ! Il faut s'adapter. Mais finalement, le seul conseil que j'ai eu à lui donner, c'est de rester comme il était : sérieux, travailleur.» «Je me souviens d'un gamin presque perdu, mais qui avait envie d'avancer, de découvrir le monde professionnel, confirme Livio Nabab. Son père me demandait de garder un oeil sur lui... Quand vous avez tout le temps vécu aux Antilles et que vous arrivez dans ce milieu strict, ça peut être très compliqué. J'étais un peu le grand frère qui recadrait certains quand ça n'allait pas, mais Thomas, je n'ai jamais eu à lui dire quoi que ce soit. À l'entraînement, je n'étais pas tendre avec lui, j'essayais de le pousser, et il répondait présent.»

Souffrance, écoute et bizutage

Pourtant, dans l'intimité de sa chambre d'aspirant, Thomas Lemar doute, craque. En silence. Comme toujours. «Je n'ai jamais eu envie d'arrêter, mais c'était dur, confiait-il (oui, ça arrive...) dans FF en mai dernier. Mes parents n'ont jamais su que c'était compliqué pour moi. Je ne leur ai jamais rien dit. Je suis comme ça.» Malgré sa proximité avec le jeune homme, Philippe Tranchant ignorait aussi tout de ses tracas : «Il a morflé, mais il n'a jamais rien dit, rien montré, et ça ne se ressentait jamais dans son jeu.» À tel point qu'à peine un an après son arrivée en métropole, Lemar intègre l'équipe de France U17. «Il était toujours très à l'écoute, appliqué, se félicite son sélectionneur d'alors, Jean-Claude Giuntini. Il avait toujours envie de progresser, y compris au niveau scolaire. Il avait déjà une vraie autonomie, sur le terrain, dans l'analyse mais aussi dans le comportement et la préparation invisible. Ça montrait ses prédispositions pour le très haut niveau.»

«Je me souviens de Mike Maignan venant me voir en me demandant qui était ce joueur tout petit, tout fin
, se remémore Daniel Brunard, coéquipier de Thomas Lemar chez les jeunes, à Caen comme en sélection. Je lui avais répondu : "Tu verras sur le terrain", et ça n'avait pas raté. Il a mis tout le monde d'accord... sans dire un mot. Même pour la chanson de son bizutage il avait eu du mal, il avait chanté "Une souris verte" d'une façon très timide, pas très expressive. C'était assez marrant...» Son côté réservé n'est jamais très loin, mais ne l'empêche pas longtemps de se lâcher. Car Lemar cultive ce dédoublement de la personnalité, très à l'aise dans l'intimité et presque apeuré par tout ce qui vient de l'extérieur.

Le 2 août 2013, Thomas Lemar (17 ans) effectue ses débuts en Ligue 2 en remplaçant Jérôme Rothen face à Dijon (3-1). (L'Equipe)

Le stress, son ennemi

«Il est un peu introverti, voire timide, mais quand on le connaît, il devient très chambreur, toujours prêt à rigoler, confirme l'ancien Caennais Emmanuel Imorou. C'est un mec cool, simple, qui n'est simplement pas à l'aise avec les médias ou le public. J'ai souvenir d'avoir fait un salon d'après-match pour rencontrer les partenaires du club, et il m'avait dit : "Bon, c'est toi qui parle hein !" Cet épisode le définit totalement. Il y a un décalage entre ce qu'il est en privé et l'image qu'il donne en public.» Même quand son éclosion se retrouve ralentie par un faible temps de jeu avec l'équipe première à Caen, Thomas Lemar ne change pas. «Il n'était pas dans son coin. À aucun moment, ça ne peut être un mec à problèmes», assure Imorou, quand le président normand Jean-François Fortin abonde : «Ça n'allait pas assez vite pour lui, mais il n'était pas non plus révolté...»

Pourtant, là encore, le phénomène bout à l'intérieur. Il ne sent pas une grande confiance de l'entraîneur Patrice Garande, et lorsque vient (enfin ?) sa première titularisation en Ligue 1, le 25 octobre 2014, il doit vite quitter le terrain en raison d'une crise de tachycardie. Plus de peur que de mal, les multiples examens se montrant rassurants, mais le souvenir reste douloureux. «Il se demandait ce qu'il avait, explique Tranchant. C'était surtout lié au stress. Les rapports avec Garande ne contribuaient pas à ce qu'il s'exprime pleinement. Il voulait désespérément jouer, et il s'était mis une pression énorme.» Poli mais impatient, Lemar vise plus haut, déjà, alors que le staff caennais «voulait y aller progressivement pour ne pas le ''casser'', même si ses qualités mettaient tout le monde d'accord», selon Jean-François Fortin. Et quand Monaco propose 4 millions d'euros à l'été 2015 pour le recruter, tout le monde y trouve son compte.

De l'adolescent à l'homme

La suite, c'est donc l'explosion au plus haut niveau, avec l'ASM puis l'équipe de France. Sur le terrain, Thomas Lemar fait bien plus que ses vingt-deux ans. En dehors, en revanche, il est resté ce jeune homme d'une timidité maladive dès qu'un micro ou un inconnu s'approche. «Il est toujours arrivé quelque part sur la pointe des pieds, explique Daniel Brunard. Je me suis demandé à un moment si ça ne lui poserait pas des soucis, parce que dans le milieu du foot, on est confronté à des gens avec un gros tempérament. Mais il a toujours su surmonter ça, ce qui montre qu'il a aussi son caractère.» «Il aurait pu se faire écraser, mais ça n'a pas été le cas, et j'ai même trouvé qu'il avait pris de l'assurance depuis son départ, assure Fortin. J'ai connu un adolescent, et quand je le recroise, j'ai affaire à un homme avec une vraie personnalité.»

Car sa réserve a toujours caché une détermination et une ambition à toute épreuve. «Il n'aimait pas perdre, même quand il faisait dix centimètres de moins que tout le monde, affirme Franck Louis. Son côté compétiteur ne se traduisait pas par des coups de gueule, mais par une suractivité sur le terrain : partout où était le ballon, Thomas y était aussi, et il fallait lui donner. Il voulait absolument avoir de l'influence, porter son équipe.» «Je peux vous assurer qu'il est très ambitieux, confirme Philippe Tranchant. J'ai même été surpris en discutant avec lui récemment. Si ça ne tenait qu'à lui, il serait déjà dans un grand club européen. Cette ambition, il l'assume, toujours en restant au service du collectif. Il est trop éduqué et trop respectueux pour faire ce qu'a fait Ousmane Dembélé pour quitter Dortmund, par exemple.»

Le 14 septembre 2016, Thomas Lemar découvre la Ligue des champions à Wembley contre Tottenham, avec un but à la clé. (L'Equipe)

Changera-t-il un jour ?

À Monaco ou ailleurs, le statut de Thomas Lemar est encore amené à grandir. Les attentes extérieures aussi. Sera-t-il prêt un jour à s'ouvrir, se lâcher, assumer ce qui fait partie de son métier ? «Il a toujours une appréhension vis-à-vis du monde extérieur, glisse un proche du vestiaire monégasque. En privé il est très agréable, il rigole, il est très ouvert avec tout le monde. Mais dès qu'il est question des médias ou de quoi que ce soit en rapport avec l'extérieur, il se referme. Ce n'est pas son truc, tout simplement, même s'il a pris conscience de certaines choses.»

«Fondamentalement, il est resté le même, et je sais qu'il ne changera pas,
coupe Tranchant. Il est fidèle à son éducation, à ses idées, à ce qu'il est. Sa vie est centrée sur le foot, le terrain. S'exprimer devant les médias, ça fait partie du métier, mais ça ne l'intéresse pas. Même quand j'en parle avec lui, il botte en touche. Porter des jugements, parler de lui, il trouve ça présomptueux. Pour lui, c'est une corvée.» À l'inverse, on ne peut pas franchement employer ce genre de terme lorsque le public et les médias observent Thomas Lemar balle au pied. Là, il est plutôt question de douceur, de plaisir que le Monégasque transmet autrement que par la parole. Finalement, c'est très bien comme ça, non ?

Cédric Chapuis