Soccer Football - Serie A - Juventus vs Hellas Verona - Allianz Stadium, Turin, Italy - May 19, 2018 Juventus' Gianluigi Buffon lifts the trophy as the Juventus players celebrate winning the league. REUTERS/Massimo Pinca TPX IMAGES OF THE DAY TPX IMAGES OF THE DAY (Reuters)

Serie A : Juventus, une sacrée différence

Force du groupe, qualité et richesse de l'effectif, capacité hors du commun à négocier les matches à enjeu : le septième Scudetto de rang de cette Juve qui a bouclé samedi sa saison ne doit rien à un concours de circonstances. Bilan et analyse.

La Serie A émet ses derniers verdicts, mais ils n’y jettent qu’un œil distrait. La lutte pour éviter la troisième place de relégué (Benevento et le Hellas Vérone sont déjà condamnés à la Serie B) ou encore le choc Lazio-Inter qui décidera de l’identité du quatrième club qualifié pour la Ligue des champions ne vont pas intéresser plus que ça les joueurs de la Juve. Il faut les comprendre : eux ont mis un terme à leur saison en club (et à leur saison tout court pour la poignée qui n’est pas impliquée dans des rendez-vous en sélection) et se remettent doucement des festivités pour la conquête du titre de champion d’Italie. Car pour cette 38e et dernière journée où toutes les équipes de l’élite devaient jouer le même jour, la Vieille Dame a eu droit à une grosse faveur : anticiper son match face au Hellas au samedi.

Un match sans aucun enjeu qui servait uniquement de base à la journée de célébration du Scudetto, avec remise de trophée puis tour de la ville en bus, et, on en avait la certitude depuis la veille, les adieux de Gigi Buffon sous la tunique bianconera. Et les larmes ont coulé à flot samedi au Juventus Stadium pour la fin de l’aventure avec le club turinois de l’un des plus grands gardiens de l’histoire. Instants d’une intensité énorme que le portier italien, s’imaginant bien un remake émotionnel de ce genre a voulu éviter une répétition le 4 juin prochain pour le match amical de la Nazionale dans ce même stade face aux Pays-Bas. Buffon a ainsi poliment décliné l’offre d’un happy end en équipe nationale qu’avait prévu la fédération italienne et son nouveau sélectionneur, Roberto Mancini.

Il est vrai que, question émotions, la saison qui s’écoule aura été très fournie pour Buffon et ses coéquipiers de la Juve, entre la conquête de leur septième Scudetto de rang, la réalisation d’un quatrième doublé d’affilée Championnat-Coupe d’Italie et une campagne de Ligue des champions achevée en quarts de finale par un duel titanesque avec le Real Madrid. Prendre possession de son 34e titre italien n’a pas été un long fleuve tranquille. Il a fallu batailler en début d’exercice avec les ambitieux Inter et Lazio et, surtout, s’engager dans un mano à mano passionnant et passionné avec le Napoli. La course au Scudetto a donné lieu à des polémiques en série, la Juve étant accusée de favoritisme arbitral, notamment après certains épisodes de son match victorieux (3-2) à San Siro face à l’Inter. «Avec eux, c’est toujours la même histoire», a notamment glissé Massimo Moratti, l’ancien président et propriétaire de cette même équipe de l’Inter. Et les déclarations de plusieurs dirigeants et joueurs napolitains n’ont pas été très différentes, même si Aurelio De Laurentiis, son président, a admis que son équipe a aussi perdu le titre du fait de ses propres erreurs, en particulier l’entêtement de Maurizio Sarri, le coach, de limiter les rotations.

Prendre possession de son 34e titre italien n'a pas été un long fleuve tranquille. Il a fallu batailler en début d'exercice avec les ambitieux Inter et Lazio et, surtout, s'engager dans un mano à mano passionnant et passionné avec le Napoli.

«En effet, nous méritons plus de respect, a glissé, vendredi, Massimiliano Allegri. Certains observateurs ont affirmé que Naples méritait plus le titre que nous. C’est un peu tordre les faits : En quatre ans (NDLR : c’est-à-dire depuis l’arrivée du technicien toscan à la Juve), nous avons su nous maintenir au sommet et nous sommes montrés compétitifs dans toutes les compétitions, réalisant quatre doublés Coupe-championnat et disputant deux finales de C1. Et même pas une de son côté pour le Napoli…» Mérité, pas mérité, le Scudetto de la Juve ?

Son tableau de marche, sa capacité à gérer les matches clefs et l’évolution du tournoi, ainsi que la qualité de son groupe font de la formation piémontaise un champion indiscutable. Rappelons que celle-ci a bouclé le Championnat avec un total de 95 points, soit le deuxième plus fort total sur ses sept Scudetti de rang (102 points en 2013-14, record absolu pour la Juve), et qu’elle a devancé un Napoli qui a lui-même battu son record en la matière (88 points avant même le match face à Crotone); la Juve s’est imposée comme la meilleure défense de Serie A (24 buts) et se classe au deuxième rang des attaques avec 86 réalisations, soit seulement un but de moins que la Lazio (les Romains peuvent cependant accroitre l’écart ce soir face à l’Inter). Et puis, il y a le comportement face à la concurrence. Prenons le top 6 de Serie A : la Juve a obtenu trois points sur six contre le Napoli, ainsi que la Lazio, quatre sur six face à l’Inter et aussi la Roma, et six sur six contre le Milan AC. A titre comparatif, Naples n’en a gagné que deux sur les deux matches l’opposant à l’Inter, trois sur six face à Lazio, la Roma et Juve, faisant aussi le plein contre le Milan.

Chiellini et Allegri exigent du respect

A ce propos, dans les colonnes du France Football de mardi dernier, nous avions mis en avant par les chiffres soulignant cet état de fait : quatre joueurs du Napoli au-dessus des 3000 minutes sur l’exercice de Serie A, deux autres s’en approchant (et qui dépasseront sûrement cette barre face à Crotone) et encore trois ayant franchi les 2700 minutes de jeu sur le Championnat 2017-18, alors que côté Juventus un seul élément s’est hissé au-delà des 2500 minutes (Gonzalo Higuain, 2818). Ce qui a fait dire à De Laurentiis : «arrivés en avril, on était cuits !»

Mais l’on ne domine pas le football italien comme le fait la Juve uniquement par une gestion plus généreuse de son effectif. Ou, en tout cas, ce n’est qu’un élément parmi d’autres. Quant aux discours sur les décisions d’arbitrage «décisives dans la conquête du Scudetto par les Turinois», ils sont surtout des réactions épidermiques à des situations de tension extrêmes, comme le sont en général les matches à couteaux tirés. Et une analyse fort simpliste de la situation. «Ces insinuations nous ont vraiment fâché et motivé encore plus pour nous dépasser, a expliqué Giorgio Chiellini. On nous a clairement manqué de respect».

Son tableau de marche, sa capacité à gérer les matches clefs et l'évolution du tournoi, ainsi que la qualité de son groupe font de la formation piémontaise un champion indiscutable.

Difficile à la longue de prendre le dessus sur une Juve qui peut se permettre de sortir régulièrement de son chapeau un joueur capable de faire la différence sur une période donnée, tels Juan Cuadrado et Douglas Costa qui ont appuyé sur l’accélérateur quand le tandem argentin Dybala-Higuain semblait baisser de régime. En observant les Bianconeri dans les dernières encablures, on s’est dit que ce titre avait quelque chose d’inéluctable. Et qu’il faudra être bigrement fort pour l’empêcher de briguer un huitième Scudetto de rang la saison prochaine. Pour toutes les raisons déjà citées, pour la capacité de cette équipe à pouvoir changer de rythme, à passer d’un registre sobriété et contrôle de l’adversaire à un mode déferlante offensive. Certains n’en croyaient pas la Juve capable : elle l’a démontré en finale de Coupe d’Italie (4-0), en submergeant et désintégrant le Milan AC en seconde période. «Notre secret ? Nous avons toujours faim sur le terrain !» Paroles de Giorgio Chiellini, l’homme qui va hériter du brassard de capitaine de Gigi Buffon.

Plus forts mentalement

Pour faire sérieusement douter les Bianconeri, il aurait fallu creuser un gouffre au classement à l’automne et les obliger à céder. Le Napoli avait l’occasion de le faire au moment de recevoir les hommes d’Allegri, le 1er décembre. Mais il en fut incapable, perdant logiquement (1-0) sur un but d’Higuain. Toujours au contact, la Juve a pu, petit à petit, miner son adversaire. «Les Napolitains ont fait preuve de grosses faiblesses mentalement, expliquait récemment, dans le Corriere della Sera, Beppe Furino, sept Scudetti remportés avec la Juve dans les années 70 et 80. Ils n’ont pas su gérer la pression. Comment peut-on espérer gagner le titre lorsqu’en quelques jours, on bat la Juve à Turin puis l’on encaisse un 3-0 à Florence ?»

Le mental, c’est la force des Turinois. Ils ne lâchent rien, savent gérer mieux que personne les grands matches, la pression et les éventuelles polémiques qui les accompagnent, comme le démontre leur succès à Milan sur l’Inter. Ne jamais les donner pour moribonds. Tottenham l’a appris à ses dépens en huitième de finale de C1 : après le 2-1 et Turin et une première période bouclée avec l’avantage du score au retour, Tottenham s’est fait retourner comme une chaussette, subissant la Juve tactiquement et dans l’impact, pour finalement passer à la trappe (1-2). Et en quarts, le Real a tremblé de tous ses membres dans la seconde manche, alors qu’il avait gagné 3-0 à Turin, ne sauvant sa tête dans les dernières secondes (1-3) que sur un penalty qui a fait couler beaucoup d’encre.

Une faim intacte

En Italie, l’expérience des matches capitaux est un atout indéniable des Bianconeri. Comme la qualité de leur groupe. Non seulement, la Juve fait beaucoup tourner ses joueurs, mais elle le fait sans affaiblir l’équipe. Il est vrai que lorsque l’on possède des "sub" comme Bernardeschi, Barzagli, Szczesny ou Mandzukic, on peut voir venir. Allegri peut même se payer le luxe de laisser régulièrement Dybala sur le banc (22 buts toute de même !), sans que le rendement de la Juve n’en souffre. Ici, c’est la cohésion, l’unité et la complémentarité de l’équipe qui comptent, l’envie de renverser des montagnes. A ce titre, l’arrivée de Blaise Matuidi l’été dernier aura été une excellente pioche. A Turin, on n’en revient toujours pas que le Paris-SG ait laissé partir un élément comme lui et les 20 M€ déboursés par la Vieille Dame n’ont jamais fait débat. C’est que le milieu français s’est fondu avec un tel naturel, une telle efficacité, dans le collectif de Max Allegri que l’on dirait qu’il fait partie des meubles depuis belle lurette. Son style fait de courses, de pressing et d’abnégation sied à merveille au jeu de la Juve. Matuidi est d’ailleurs le milieu bianconero le plus utilisé, quand bien même il a passé quelques semaines à l’infirmerie pour une blessure à la cuisse. Le natif de Toulouse a agrémenté sa première saison italienne de deux buts en Championnat (Bologne, Hellas Vérone), plus un dans le quart retour de C1 face au Real (3-0).

L'arrivée de Blaise Matuidi l'été dernier aura été une excellente pioche. A Turin, on n'en revient toujours pas que le Paris-SG ait laissé partir un élément comme lui et les 20 M€ déboursés par la Vieille Dame n'ont jamais fait débat.

Roberto Notarianni