Soccer Football - Champions League - Liverpool Training - Melwood, Liverpool, Britain - October 23, 2018 Liverpool's Roberto Firmino during training Action Images via Reuters/Carl Recine (L'Equipe)

Sa favela, son faux surnom «Alberto», ses bicyclettes... : Roberto Firmino, «gamin des quartiers pauvres» devenu grand

Désormais considéré comme l'un des meilleurs attaquants de la planète, Roberto Firmino est un pur produit du football brésilien, entre jeu de rue, exil européen et élévation sociale. Retour sur ses jeunes années de construction et de rêves.

«La légende des favelas, c'est totalement vrai. Beaucoup de très bons joueurs viennent de ces endroits, grandissent dans la pauvreté, les difficultés sociales. Mais jouent au ballon toute la journée. Pendant des heures et des heures. C'est un centre qui forge. Il faut beaucoup de résistance pour tout ce qui entoure et en même temps, les jeunes ont beaucoup de liberté. C'est ça, le football. L'essence du jeu. Jouer, ce n'est pas mécaniser. Le football, c'est une liberté organisationnelle. Pas une mécanisation. Et avec les favelas, il y a beaucoup de ces profils, qui jouent avec liberté.» Rodrigo Vicenzi Casarin, entraîneur des moins de 17 ans de Figueirense, ne s'y trompe pas. Si Roberto Firmino n'a pas grandi dans le plus glorieux des milieux sociaux, dans le quartier de Trapiche da Barra, le plus pauvre de la ville de Maceio, c'est par contre là que naquit son talent.

La cité du Nord-Est du Brésil a beau être bordée d'eau turquoise, de paysages de cartes postales, elle n'échappe pas aux difficultés du quotidien, à commencer par la pauvreté et la vie de bric et de broc, où tout est prétexte à se transformer en ballon de foot. Le petit Roberto, lui, s'il n'a pas connu la misère ardue de certaines favelas de Rio ou Sao Paulo, grandit en toute modestie, rêvant de ballon et d'un échappatoire à ce contexte compliqué. «C'est un gamin des quartiers pauvres qui a réussi malgré les difficultés, confirme Guilherme Farias, surnommé "Tec" pour tecnico et premier entraîneur de Firmino au CRB. C'était un garçon modeste. Ses parents n'avaient pas beaucoup d'argent, à ses débuts dans notre club. On a essayé de les aider, notamment pour le transport. Nous ne louions pas de bus, et chaque joueur devait payer ses frais. Un moment, la famille de Roberto ne payait pas parce qu'à l'époque le père était sans emploi, et nous l'avons aidé car il avait énormément de talent. Roberto, c'est un gars béni par Dieu.»

Un coq au milieu des cocotiers

Inscrit dès que possible dans le club le plus proche de la maison familiale - le stade O Rei Pelé se situe à moins d'un kilomètre de Trapiche da Barra -, le petit Roberto (photo ci-dessous) découvre le football en club et l'exigence des entraînements réguliers. Technique et très frêle, comme beaucoup de footballeurs brésiliens, mais doté d'une vision du jeu rare, il se fait une place discrète au CRB. Et les coqs de plage, surnom donné aux joueurs du club, remarquent rapidement le garçon, qui pêche à cette heure-là encore par son manque de corpulence et son déficit physique.

«Il était déjà très doué, se remémore Guilherme Farias. En trois-quatre actions, j'avais demandé à ce qu'il soit dans mon équipe pour le Championnat d'état. Au fur et à mesure, par contre, il a dû travailler physiquement. On faisait du travail physique sur la plage. De la force, de la puissance... Le mardi était le jour libre, pour que les jeunes récupèrent. Mercredi, c'était retour au club pour faire des exercices collectifs. On a des enfants de 11, 12, 13, 14 et 15 ans. Vendredi, c'est également repos et puis samedi, on joue. Roberto, entre 15 et 16 ans, il était encore très léger niveau physique. Et il le travaillait le lundi et il faisait un complément. Il y avait un entraînement physique et avec le ballon. Sauf que le sien était plus poussé.» Le travail, clé de son apprentissage, alors que la totalité des interlocuteurs évoquent un garçon simple, talentueux et timide - ce qui lui coûtera parfois dans sa carrière. Rapidement repéré, aussi, et de manière peu conventionnelle, premier starting-block pour la promesse du coin.

Roberto Firmino sous ses premières couleurs du CRB. (crédit : archives personnelles de Guilherme Farias)

Le flair du dentiste et un premier exil

En effet, Marcelo "Marcellus" Portella, dentiste, porte à l'époque une attention toute particulière au jeune Firmino, et veille de près à l'évolution de son poulain - il est toujours l'un des proches conseillers du joueur, ce qui vaut quelques sourires aux fans anglais à propos des dents (très) blanches de l'attaquant de Liverpool. Qui excelle à plusieurs postes, dans tous les matches et fait des émules chez les recruteurs du pays auriverde. À Figueirense, notamment, qui le recrute en 2008 alors que le minot a 17 ans. Et c'est Luciano Lopes de Souza, dit Bilu, ancien joueur professionnel et toujours proche du clan, qui assure la transition. Agnès, réceptionniste de Figueirense à l'époque, s'en souvient parfaitement : «Je me rappelle très bien du jour où il est arrivé. Si je ne me trompe pas, j'ai été l'une des premières personnes qu'il a vu au club. Il est arrivé au mois d'avril avec Bilu, qui est de Maceio lui aussi et qui avait joué pour nous. Toujours timide, il ne parlait presque pas, mais il avait toujours le sourire.»

Le début d'une belle histoire qui débute avec les catégories de jeunes, et plutôt bien. «Après l'avoir reçu, je lui ai indiqué où étaient les bâtiments administratifs, et il était hébergé dans les locaux du club», poursuit celle qui se remémore, fière, les premiers instants de Firmino dans le Sud du Brésil. André, préparateur physique des U17, abonde : «Quand il arrive, il vient d'abord faire des tests. Et dès ses débuts, on a pu constaté qu'il avait beaucoup de qualités techniques et un potentiel énorme. Lors d'une des premières séances, on fait un match et il marque une très belle bicyclette. Quelques minutes après, il en marque une autre, encore plus belle ! Il avait une intelligence de jeu différente de celle des autres garçons de son âge. Il a joué milieu de terrain, ailier, mais on l'aimait en buteur.»

Les qualités footballistiques évidentes contrebalancent, par contre, avec une personnalité timide et réservée. Garçon de peu de mots, Roberto Firmino fait tout pour ne pas se faire remarquer, comme lors des débuts à Florianopolis, bourgade hébergeant Figueirense. «Roberto a toujours été un garçon très calme, narre son ex-préparateur physique. À tel point que lors des premières semaines à Figueirense, l'entraîneur l'appelait "Alberto" et lui, il souriait juste. Jusqu'au jour où je l'ai découvert. Je lui ai demandé pourquoi il ne l'avait pas corrigé avant. Il m'a juste souri et a dit : "C'est Roberto". Ce sont quelques caractéristiques et histoires de lui ici avec nous. Même quand il a réussi, il est resté dans les chambres avec les autres jeunes, cela se passait très bien, il avait de très bonnes relations avec ses coéquipiers et je ne l'ai jamais vu se plaindre de rien.» Ce Roberto-là se fera rapidement un nom. Meilleur buteur du club en Serie B, deuxième échelon du football brésilien, les appels de l'Europe se font plus insistants, plus séduisants. De quoi attirer celui qui «ne rêver que de devenir professionnel et de jouer en Europe», dixit Agnès, et qui fera le choix de l'Allemagne et d'Hoffenheim... après qu'un des dirigeants l'ait repéré sur le célèbre jeu vidéo Football Manager.

«Je ne l'ai jamais vu se plaindre»

Conseillé par la société allemande ROGON, dirigée par Roger Wittmann (agent de Firmino mais aussi de Kehrer, Choupo-Moting, Draxler, Luiz Gustavo...), l'adaptation outre-Rhin prend une belle tournure. Des buts et des passes décisives à la pelle (à Hoffenheim, il a inscrit 49 buts et 36 passes décisives en 153 matches), d'excellentes impressions et des réseaux de scouting vite alertés par les performances de l'attaquant. Dont ceux de Liverpool, qui avaient ciblé Firmino dès ses débuts au Brésil via le responsable sud-américain du club, Fernando Troiani, et qui s'offrent leur nouveau joyau offensif pour 41 millions d'euros - à la signature du contrat, les dirigeants des Reds incluent une clause libératoire à 100 millions d'euros, sauf pour Arsenal, qui n'a pas le droit d'acheter le joueur.

De Roberto à Bobby, idole d'Anfield

Et, un peu plus de trois années plus tard, force est de constater que l'idylle a pris forme. Membre à part entière du trio magique Mané-Salah-Firmino, l'attaquant international auriverde est une des pièces maîtresses du système de Klopp, capable d'opérer en contre-pressing (ou gegenpressing), dans la surface ou au cœur du jeu. Avec 12 buts et 8 passes décisives en 20 matches de Ligue des champions (soit une implication toutes les 62 minutes dans un but de son équipe), il a également pleinement mené les siens en finale l'an passé, formant l'attaque insatiable des Reds. Surnommé Bobby par le KOP red, qui lui a dédié un refrain cantonné à chaque réalisation, Roberto Firmino n'est pourtant pas tendance à oublier ses racines. Le garçon timide est certes devenu une "fashion victim" aux goûts vestimentaires facétieux, son amour pour le rythme brésilien ne le quittera jamais. «Il joue bien de la musique mais aime surtout les styles de chez nous, sourit André, de Figueirense. La pagode, l'axé...»

Et n'est pas du genre, non plus, à oublier les siens, comme lorsque ce dernier vient passer quelques jours de repos après le Mondial en Russie. Au programme, visite de son quartier d'enfant, Trapiche da Barra, barbecues, restaurants (pour l'anecdote, il a offert l'addition à tout le restaurant japonais New Hakata, à Maceio, le 12 juillet) et matches entre amis. Avec ces derniers accoutrés d'un tee-shirt floqué "Amigos Firmino", l'attaquant star des Reds passe du bon temps chez les siens, comme le souligne son ami, le chanteur Gustavo Moura. Et là était l'essentiel, avant de reprendre le quotidien de la Premier League et du foot européen. Avec lui, c'est loin des yeux, souvent près du cœur.

Antoine Bourlon