ronaldinho (PREVOST/L'Equipe)

Ronaldinho lors de son Ballon d'Or France Football en 2005 : «Je ne me sens pas star»

Pour les 40 ans de Ronaldinho, FF vous propose de redécouvrir sa grande interview, en 2005, lorsqu'il soulevait le Ballon d'Or France Football. Cinquantième Ballon d'Or de l'histoire, Ronaldinho ne voulait pas se prendre pour un autre et entendait surtout continuer à se divertir et donner du plaisir au public. À tous les publics.

Quelques heures après un nouveau show, celui-là face au Werder Brême, mardi dernier, nous l’avons retrouvé, tranquille, souriant, comme d’habitude, habillé de façon plus décontractée, cette fois, quand il se présenta pour la réalisation finale d’un entretien à maintes reprises repoussé, à l’heure brésilienne. Guère chamboulé visiblement par le déferlement médiatique consécutif à sa performance hors norme de Santiago Bernabeu et les informations périphériques à son sujet qui ont fait de lui la vedette de la semaine. Aimable et disponible en dépit des innombrables sollicitations, simplement un peu plus sûr de lui chaque jour, «un peu plus heureux. Et, surtout, très content de recevoir le Ballon d’Or France Football. Plus que quelques jours...»
 
Ballon d’Or dont il est un digne vainqueur, comme en témoignent, s’il en était besoin, ses ultimes sorties. Le samedi précédent, à Madrid, héros flamboyant d’un succès historique du Barça sur le Real, Ronaldinho avait honoré, de la plus belle des manières, la nouvelle de son sacre qui n’était plus dans le coin qu’un secret de polichinelle. Comme pour mieux marquer les esprits, déclarer balle au pied qu’il était le meilleur des joueurs en activité. Le roi. Qu’il méritait tous les éloges qui pleuvent sur lui, comme les plus belles récompenses, à commencer par celle décernée par notre journal. Depuis deux jours, pour avoir caressé le trophée du regard, puis, du bout des doigts, avant de le porter à ses lèvres, Ronaldinho savait, en effet, comme tous les lecteurs attentifs de la presse espagnole, mais lui officiellement, qu’il était le Ballon d’Or France Football 2005.

Ronaldinho, joyeux, avec le maillot du FC Barcelone. (PICS UNITED/PRESSE SPORTS/PRESSE SPORTS)

«Vous savez, j'ai perdu mon français»

Pour des raisons pratiques, il avait été prévu que la séance photos se déroule ce jeudi, à proximité des locaux du Camp Nou que le joueur devait rejoindre en fin d’après-midi pour l’entraînement. Déposé par un chauffeur invisible derrières les vitres fumées, élégamment vêtu d’un costume noir d’un créateur italien sur une chemise blanche, lunettes de soleil sur le nez et presque ponctuel, il s’était pointé sous l’objectif d’une caméra indiscrète presque au pied de l’établissement. Toutes dents dehors évidemment, sûrement un tantinet ému. La montée aux étages effectuée sans encombre, nous avions rejoint la suite transformée en studio où patientait la troupe de FF.
La porte ouverte, il ne pouvait pas le rater. Exposé droit devant lui, sur une table, l’objet scintillait du fond de son écrin ouvert. Il l’observa, d’abord furtivement, puis, poignées de main et mondanités distribuées, plus attentivement, comme un enfant émerveillé devant un cadeau qui brille de mille feux, avant de murmurer : «C’est un rêve. Merci. C’est sûr, ce n’est pas une plaisanterie ? Il est beau. Il est bien à moi ?» «Pas celui-là, lui expliqua Gérard Ernault, directeur de la rédaction de FF. Celui-là sert uniquement pour la photo. Le vôtre, le vrai si je puis dire, sera gravé à votre nom, “Ronaldo Assis de Moreira, Ronaldinho”. Vous le recevrez le lundi 28 novembre, à Paris, et il sera à vous pour toujours. Mais, mon cher Ronaldinho, c’est le même, ne vous inquiétez pas.» Quatre-vingt-dix minutes plus tard, ayant accédé à toutes les requêtes des uns et des autres sans manifester le moindre signe d’impatience, il quittait les lieux comme à regret, jetant un dernier coup d’œil gourmand au Ballon.
«Depuis, je l’ai dans la tête, je le vois», confesse-t-il, la voix douce, sans exaltation. Profondément ravi de ce qu’il vit, mais comme si tout coulait de source, finalement. Il est là, assis dans un fauteuil, et notre conversation a enfin repris, au calme, sur une vue imprenable de la ville. Il a soupiré : «Vous savez, j’ai perdu mon français.» Ici, il ne le parle qu’avec Ludovic Giuly pour ainsi dire. «Avec lui, je rigole tout le temps, et ça me permet de l’entretenir.» Cela ne l’a pas empêché de s’exprimer aussi librement que sur l’aire de jeu. Tour à tour grave ou léger. Sans cesse lucide et élégant.

«Quelle impression cela fait-il d’être Ballon d’Or ?
C’est un rêve que je réalise, un rêve d’enfant. C’est l’un des plus beaux moments de ma vie. On m’avait prévenu que j’avais des chances de le remporter, mais tant que je n’en étais pas sûr, je ne voulais pas y croire. Je n’ai pas voulu écouter ce qui se disait. C’est pour ça que je dis que j’ai l’impression de vivre un rêve.
 
Et, visiblement, il est agréable !
Oui, très bon. Je suis très heureux. C’est une récompense prestigieuse, un merveilleux cadeau qu’on m’offre. Quand je vois le nom de tous les vainqueurs du Ballon d’Or, quand je lis les noms de Ronaldo et de Rivaldo, qui étaient des idoles et que je rejoins aujourd’hui, je me rends compte du grand honneur qui m’est fait.
 
Qu’avez-vous fait pour le mériter ?
Il me semble que j’ai réalisé une année assez complète. Champion d’Espagne avec Barcelone et vainqueur de la Coupe des Confédérations avec l’équipe du Brésil, ce sont deux titres majeurs. Maintenant, je ne sais pas si je suis le mieux placé pour parler de ça. Je n’aime pas parler de moi. Sur le terrain, je démontre ce que je vaux, et ça me suffit. C’est mieux que les paroles.

Et vous n’hésitez pas à jouer le plus souvent possible. Vous n’avez jamais besoin de repos ?
J’ai toujours envie de jouer.

C’est la raison pour laquelle vous avez participé à la Coupe des Confédérations ?
J’avais déjà 2006 dans la tête. Il fallait être présent en Allemagne pour qu’on se souvienne de nous. Et puis, c’est un titre de plus, et porter le maillot auriverde, c’est un honneur. Je ne le refuse jamais.
 
Quand avez-vous entendu parler pour la première fois du Ballon d’Or ?
Lorsque Ronaldo l’a obtenu (NDLR : en 1997). C’était le premier joueur brésilien à le gagner et, d’ailleurs, on en parlait déjà l’année précédente.
 
Est-il devenu un objectif pour vous ?
On ne peut pas parler d’objectif. C’est une récompense personnelle. Le football, c’est un jeu collectif. L’objectif, c’est de gagner des titres avec son club, avec sa sélection. Le Ballon d’Or, c’est une récompense individuelle, et si je l’ai aujourd’hui, c’est forcément grâce à tous mes coéquipiers, à mes entraîneurs. Sans eux, que ce soit avec ceux du Barça ou de la sélection, je n’en serais pas là. Ils y sont tous pour quelque chose, comme tous ceux qui ont cru en moi. C’est à eux que je dédie ce Ballon d’Or.
 
Vous l’emportez avec une belle avance. (Ronaldinho, 225 points, devance son dauphin, Lampard, crédité de 148 points)
C’est beaucoup, 77 points d’avance ? Tant mieux ! On reconnaît mon travail et le constater est très valorisant. Je savais que j’avais des chances, mais, comme on parlait déjà de moi l’année dernière et qu’il m’avait échappé (il avait terminé troisième, derrière Chevtchenko et Deco), je ne voulais pas trop y penser.

«Thierry Henry ? L'un des meilleurs attaquants du monde»

Vous devancez Lampard et Gerrard, qui se tiennent dans un mouchoir. Vous les auriez classés dans cet ordre ?
Pourquoi pas ? Ce sont tous les deux de grands joueurs. Très grands même, qui ont réalisé de belles choses avec leurs équipes. Ils méritent ces places. De toutes les manières, il n’y a que des grands joueurs dans cette liste. Chacun dans son registre, avec ses propres qualités. Parce qu’il faut de tout pour faire gagner une équipe, mais surtout de très bons joueurs.
Thierry Henry est quatrième.
Il mériterait de l’avoir un jour parce que ça fait plusieurs fois qu’il figure parmi les premiers, non ? C’est l’un des meilleurs attaquants du monde, il est toujours bien classé. Il a les moyens de le gagner lui aussi dans les années à venir.
On parle de lui à Barcelone la saison prochaine. C’est une perspective qui vous plairait ?
Bien sûr ! C’est un attaquant extraordinaire. Pour moi, tous les grands joueurs sont bienvenus. Ce serait parfait. On serait encore plus forts avec lui. On aime avoir de bons joueurs dans son équipe, c’est normal, et tous ceux qui aiment le football en général aussi.

Ronnie en Une de France Football pour son Ballon d'Or. (RONDEAU/L'Equipe)

Vous avez l’impression d’avoir vécu une période spéciale depuis une dizaine de jours ?
C’est la fin de l’année et c’est souvent comme ça. Je suis sollicité et prêt à la terminer de la meilleure façon. Je suis en réussite. Ça vient comme ça, je ne sais pas pourquoi. Les choses se sont bien déroulées pour moi contre le Real Madrid et le Werder Brême, et je m’en félicite. Pourvu que ça dure !
 
Vous traversez une période magique. Vous sentez-vous sur un nuage ?
C’est vrai que ça marche pour moi en ce moment. Tout ce que je tente à l’entraînement, j’arrive à le reproduire en match. Cela me pousse encore à travailler davantage.
 
Quel sentiment domine après le match contre Madrid ? La plénitude ?
La joie, d’abord ! Celle d’avoir gagné. Mais quand on sort d’une nuit parfaite, disons presque parfaite, on se sent bien. (Il réfléchit.) Je ne sais pas si c’était un jour particulier, si c’était la première fois que je marquais autant les esprits.
 
Sérieusement ?
J’ai joué aussi des PSG-OM, et cela c’était plutôt bien passé, non ? La différence avec ces matches, c’est que tout le monde regarde le clasico, un Real-Barça. J’ai eu l’opportunité de sortir ce match devant l’un des plus grands clubs du monde, devant des dizaines de millions de téléspectateurs. Cela étant, déjà, à Gremio, de telles choses m’étaient arrivées. Chaque année, il y a des périodes comme ça, où tout vous sourit.
 
Aviez-vous préparé quelque chose de spécial pour dominer autant votre sujet ?
Non. Je n’ai pas modifié mes habitudes. Je me suis préparé, concentré de la même manière, je me suis échauffé de la même façon que lors du match précédent. Non, tout est venu naturellement.
 
La chance est aussi de votre côté, comme en témoigne ce coup franc que le gardien allemand de Brême (Reinke) regarde passer, mardi dernier.
Quand je tire, j’espère toujours que le gardien commettra une erreur !
 
Vous croulez sous les éloges : Maradona, Platini, les plus grands du football vous distinguent entre tous. Quel sentiment domine ?
C’est un grand honneur d’entendre des compliments dans la bouche des plus grands footballeurs. Certains étaient mes idoles, des joueurs que je cherchais à copier. Maintenant, ça me motive encore plus d’entendre ça. Et puis, cela vient de personnes qui connaissent le foot, qui savent quand même de quoi elles parlent !
 
Vous la supportez bien, cette écrasante popularité ?
Quand j’étais petit, j’espérais que ça m’arriverait. Signer des autographes, répondre aux sollicitations, je ne trouve pas que c’est lourd. Les bonnes choses, quand on te complimente, c’est toujours agréable. Ce qui gêne, c’est quand on t’agresse, mais cela ne m’arrive pas souvent, heureusement.

«Je pense football, je vis football»

Johan Cruyff répète souvent qu’il a connu beaucoup de très bons joueurs, mais que ceux-ci ne vivaient pas pour le football, contrairement aux très grands. Vous, en revanche, vous vivez pour le football.
Oui. La nuit, le jour. Tout le temps, je pense football, je vis football. J’adore passer mon temps avec le ballon. Tous ceux qui vivent avec moi sont obligés de le toucher. Il y en a toujours un quelque part. J’adore, c’est ma vie, je mange du ballon, je le caresse, je dors avec. Sans ballon, je suis presque mort. C’est toute ma vie.
Cet amour pour le ballon rond est immense. Il explique tout de votre réussite ?
Je crois que les autres footballeurs aiment le ballon, aussi. Mais, moi, c’est vrai que j’ai du mal à m’en passer.
Le Ballon d’Or, vous allez le gagner combien de fois de suite ?
Plein de fois, j’espère ! Si je gagne avec le Barça, avec le Brésil, et que je joue bien, j’espère le conserver.
Gagner avec le Barça tout ce qui se présente, j’imagine ?
La Ligue des champions, le titre de Liga, tout, bien sûr.
Ah ! Vous oubliez la Coupe de Catalogne...
Juste ! Nous nous sommes qualifiés pour la finale il n’y a pas si longtemps. On doit jouer contre l’Espanyol.
Pas de préférence, donc ?
On ne choisit pas. Ce serait bien de conserver notre titre de champion, mais nous ne sommes pas les seuls à y prétendre. Nous sommes conscients que gagner l’une de ces deux épreuves est déjà difficile, alors, les deux, tu te rends compte ! Mais, bon, nous avons une bonne équipe.
Si, toutefois, vous aviez le pouvoir de choisir ?
Je n’ai jamais gagné de Coupe d’Europe. Alors, c’est sûr, je serais très content si on la remportait cette saison. Mais la route est longue.

Chapeau, Monsieur Ronaldinho ! (J.Prevost/L'Equipe)

Le Barça fait figure de grand favori de cette compétition.
On joue bien, mais les autres équipes que vous connaissez sont très fortes aussi. Cela ne signifie pas grand-chose aujourd’hui. Il faut confirmer match après match. La saison dernière, nous avons appris après l’élimination par Chelsea. J’espère que nous nous montrerons plus performants cette saison. Pour le moment, on marche bien, mais on sait qu’on rencontrera des difficultés.
 
Pensez-vous que vous pourriez trouver mieux que le Barça pendant quelques années, sinon jusqu’en 2010 ?
Justement, je n’y pense pas. Je suis très bien ici. Pourquoi partirais-je ? Au Barça, il y a tout pour qu’on devienne une des meilleures équipes du monde. La meilleure, même ! Ici, je sais que je peux gagner des titres. J’en ai très envie. Vous savez que Maradona, malgré son immense talent, n’a rien gagné avec le Barça. Ce qui fait la différence, ce sont les titres.
 
Ronnie, vous faites aussi figure de grand favori pour la Coupe du monde 2006 avec le Brésil, c’est gênant ?
J’ai la chance de jouer dans de grandes équipes, alors, c’est ça !
 
Deux Coupes du monde d’affilée, là, vous auriez un pied et demi dans l’histoire.
C’est mon rêve. Mais il ne faut pas précipiter les événements. Le Brésil compte beaucoup de grands joueurs, et c’est très bien comme ça. On fait de belles choses. Dans notre équipe, il y a aussi beaucoup de jeunes qui veulent gagner leur place. On espère tous gagner pour repartir avec cette jeune génération.
 
Qui pourrait vous arrêter en Allemagne ?
On partira là-bas pour gagner, c’est évident. Deuxième, c’est comme dernier, cela ne nous intéresse pas, au Brésil. Mais c’est sur le terrain que nous devrons prouver que nous sommes les plus forts, comme tout le monde l’affirme.
 
Vous dites souvent que vous êtes, chaque jour qui passe, le plus heureux des hommes.
C’est exact. Je suis heureux, et de plus en plus. Je vis des moments extraordinaires. D’abord, ma famille est en bonne santé, mon fils est adorable, ensuite, je joue dans une équipe qui gagne, avec laquelle je m’éclate. Je savoure des moments super et je vais tout faire pour que ça reste ainsi.

«Dieu donne un don à chacun. Le don de l'écriture, celui de chanter, de danser, de faire ce qui lui plaît. Il faut savoir l'exploiter»

Vous avez bien choisi ce club. On peut dire que le Barça était fait pour vous ?
Je suis arrivé quand tout le monde ici espérait des changements, après une période délicate, et j’ai tout de suite senti que ça allait bien se passer. L’accueil qu’on m’avait réservé à mon arrivée (il y avait plus de 30 000 supporters au Camp Nou) m’avait beaucoup touché. Visiblement, j’étais attendu. Après, tout s’est fait naturellement. Ici, je me sens vraiment chez moi et j’espère à mon tour laisser mon nom dans le cœur des supporters catalans.
La ville est aussi à votre mesure ?
Je m’y plais beaucoup ! L’ambiance est géniale, les supporters sont adorables.
Le bonheur, c’est aussi d’être le meilleur des joueurs ?
Je ne dirai jamais que je suis le meilleur. C’est impossible. Le bonheur, c’est de gagner des titres. Tous les titres possibles, afin de laisser une trace où l’on passe. Je veux entrer dans l’histoire d’un grand club, avec la sélection. C’est mon rêve.
Franchement, vous ne vous sentez pas déjà un peu au-dessus du lot ?
Pas du tout. Je sais que je traverse un très bon moment, mais il me reste à apprendre. Moi, je ne me vois pas comme le meilleur joueur du monde. Je ne me sens pas la star qu’on présente parfois. Pour moi, le plus important, c’est de donner du plaisir aux gens et de continuer à me divertir.
Les autres n’apprennent-ils pas de vous, désormais ? Les plus jeunes tentent de vous imiter.
Dans le football, tu apprends tous les jours quelque chose. Moi aussi, je regarde ce que font les autres, tous les autres. J’adore apprendre, je vois beaucoup de matches de football ; à l’entraînement, j’observe. Le football évolue tous les jours et j’ai envie de grandir avec lui. Je suis encore jeune et j’espère continuer à progresser.
Jusqu’où ?
Le jour où j’aurai le sentiment d’être au sommet, j’arrêterai. Mais on peut toujours s’améliorer. Et puis, j’espère que c’est lointain ! J’aimerais prolonger longtemps, le plus longtemps possible, ce rêve, mon rêve d’enfant.
Ne faites-vous pas un peu le modeste en répétant sans cesse : “Je suis jeune, je dois encore progresser” ?
Je suis comme ça. Je ne me force pas. Si je change, les choses changeront aussi. Je ne serais plus le même et peut-être que je n’obtiendrais pas les mêmes joies. J’ai besoin de rester les pieds sur terre pour rester bien dans ma vie et dans le football.
Tout en voulant toujours aller plus haut ?
Oui, c’est ça. Mais je ne suis pas euphorique.
D’où vous vient cette ambition ?
Sans doute de tout ce que j’ai connu pendant mon enfance, la mort de mon père après tout ce qu’il m’a appris, la force qu’il m’a transmise. Il disait à tout le monde que j’étais, moi, le plus fort de la famille, pas Roberto. Il disait à ses copains : “Vous verrez, un jour, celui-là, il sera champion du monde !” Ma motivation, elle vient de là, de ces souvenirs de mon père et de la suite de mon enfance. Je veux réaliser nos rêves.
Vous pensez souvent à votre papa ?
Tous les jours.
Vous vous dites que vous avez le don ?
Dieu donne un don à chacun. Le don de l’écriture, celui de chanter, de danser, de faire ce qui lui plaît. Il faut savoir l’exploiter. À moi, il m’a donné celui de jouer au ballon, et j’en profite au maximum.
Juninho Pernambucano tire-t-il mieux les coups francs que vous ?
C’est un très bon spécialiste. Un des meilleurs au monde.
On dit que c’est le numéro 1.
Il est très fort, mais Beckham, Henry, Roberto Carlos, moi, chacun a son style, son endroit préféré.
En revanche, si l’on vous dit que le Barça pratique le jeu qui est fait pour vous, vous êtes d’accord ?
Ici, on joue comme je le sens, c’est clair.
Vous profitez d’une belle liberté.
Mais le Barça ne joue pas pour moi. Dans cette équipe, chacun fait son boulot, et j’ai la chance, grâce à mon entraîneur, d’être libre de faire les choses comme je le sens.

L'élégance, ici face au Panathinaikos en Ligue des champions. (RONDEAU/L'Equipe)

Quelle est la principale différence avec le Paris-Saint-Germain ou la Seleçao ?
J’ai passé de très bons moments avec le PSG. Mais là-bas, parfois, j’ignorais totalement jusqu’au dernier moment si j’allais jouer, où j’allais jouer. Bon, c’est comme ça. Je ne regrette pas d’avoir joué à Paris. J’y ai beaucoup appris, à tous les niveaux. Avec la Seleçao, en revanche, j’ai toujours su comment j’allais jouer.
 
Quel est donc votre “truc” en plus, ce petit “truc” qui fait la différence dans le regard des gens ?
Je ne sais pas, je n’aime pas me distinguer.
 
Faites un petit effort !
Peut-être ce que dégage mon style de jeu, mon dribble. C’est difficile comme question. Mon dribble, oui, ça doit aider.
 
Votre goût pour l’improvisation ?
J’aime inventer. Surprendre. C’est une obsession. Comme être toujours avec un ballon à côté de moi. J’aime faire des choses inattendues, ne pas savoir ce qui va se passer dans les trois secondes. Le foot, c’est ça, c’est l’instinct. Et c’est comme ça que je continuerai de jouer.
 
Vous ne vous dites jamais que vous allez trop loin ?
Aucun de mes dribbles n’est gratuit. J’oriente toujours mes actions vers le but adverse, non ? C’est vrai, parfois, je rate ma passe. Heureusement, Giuly, Eto’o ou Messi vont si vite qu’ils la récupèrent, et on dit que c’est une passe géniale !
 
Et vous, vous vous surprenez de temps en temps ?
Je n’ai jamais cessé de croire que je grandirai, que je deviendrai un bon professionnel, et puis aller encore plus loin. Là, je suis à un très bon niveau et je veux le rester longtemps. J’ai toujours eu confiance en moi.
 
Comme si vous accomplissiez votre destin ?
Comme quand on cherche à réaliser ses rêves.
 
Vous rêvez pour vivre ?
Oui, c’est un peu ça. En fait, je n’ai pas besoin de dormir pour rêver. Quand je pense à ma vie, à ce qui pourrait m’arriver de bien, je rêve. J’imagine toujours des choses qui vont arriver. Le jour où je ne rêverai plus, ce sera sans doute le moment d’arrêter.
 
Vous faites tout pour entrer dans l’histoire ?
Oui. Je fais tout. Je suis très exigeant avec moi-même. Je sais qu’il faut travailler, et je travaille.
 
Pourtant, vous n’aimez pas vraiment courir, souffrir physiquement ?
Quand j’ai le ballon dans les pieds, ça va. Sinon... Mais il y a beaucoup de joueurs comme moi. Quand je sais que c’est très important, je fais tous les efforts.

«Je suis le plus heureux des hommes»

Vous êtes sûrement moins insouciant que l’image que vous laissez paraître ?
Je ne donne pas d’image. Je ne le cherche pas, en tout cas, je suis comme je suis, exactement. Quand je change, je deviens triste. Je ne suis pas très différent des autres. Parfois, je me sens le plus heureux du monde, parfois, ça va un peu moins bien. (Il rit.) Je ne suis pas très original.
Rassurez-nous, il vous arrive donc de ne pas sourire ?
Si je ne suis pas d’accord, pour une raison ou pour une autre, je fais la gueule, tous mes amis vous le confirmeront. Cela ne m’arrive pas souvent. C’est normal, je suis l’objet de beaucoup d’affection, tout le monde est content autour de moi, et moi je suis le plus heureux des hommes. Je n’ai donc aucune raison de faire la tête. Mais il y a des moments où je ne souris pas.
À vingt-cinq ans, vous estimez avoir acquis une certaine maturité ?
J’ai toujours eu le sens des responsabilités. Ce n’est pas nouveau pour moi. Parfois, je redeviens l’enfant que j’étais, mais, à d’autres moments, je suis très différent. J’ai été formé très jeune et je me suis fait une opinion sur la façon de bien ou mal agir. À sept ans, je vivais des situations que vivent normalement les adolescents et, à quatorze ans, je jouais contre des adultes. Cette longue expérience me sert maintenant à aider les autres.
En somme, vous savez parfaitement bien où vous allez ?
Quand je pars de chez moi pour rejoindre le stade ou aller au restaurant, oui !
Ronnie, quel est le sentiment qui domine quand vous songez au Ballon d’Or ?
(Un silence.) La fierté. Je revois mon père qui avait prédit ce qui m’arriverait.
Vous-même, étiez-vous sûr de devenir un footballeur qui marquerait l’histoire ?
Cela a toujours été mon ambition. Et ce Ballon d’Or doit me rendre encore plus fort, me pousser à devenir meilleur.»

Vincent Machenaud, à Barcelone

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