Soccer Football - Africa Cup of Nations 2019 - Group D - South Africa v Morocco - Al Salam Stadium, Cairo, Egypt - July 1, 2019 Morocco's Romain Saiss, Faycal Fajr and Youssef Ait Bennasser celebrate after the match REUTERS/Amr Abdallah Dalsh (Reuters)

Romain Saïss après l'échec cuisant du Maroc lors de la CAN : «Un sentiment de honte»

Pas loin d'être irréprochable lors de la CAN, Romain Saïss est encore marqué par le terrible échec subi par les Lions de l'Atlas face au Bénin. Sans se cacher, le défenseur de Wolverhampton fait un diagnostic d'une sélection qui a connu un vrai coup d'arrêt. Avec un message en filigrane : ce Maroc va devoir faire plus d'efforts.

«L’élimination prématurée du Maroc dès les huitièmes de finale de la CAN par le Bénin (1-1 a.p., 1 t.a.b. à 4) est-elle effacée ?
Je ne vous cache pas que les jours qui ont suivi ont été un peu durs. Difficile de trouver le sommeil. Les nuits étaient courtes. Avec beaucoup de déception, forcément. J’espère que les deux semaines de vacances avant la reprise vont me permettre de passer facilement à autre chose et vont faire du bien à la tête. Quand tu es en famille, tu arrives à relativiser, malgré le fait que ce soit un échec. Car c’est un échec, il faut le dire.
 
À quoi pense-t-on pendant ces nuits où on ressasse un tel échec ?
Il y a plein de choses qui passent par la tête. Notamment un sentiment de honte parce qu’on est le Maroc, on aspirait à aller très loin dans cette compétition. Et sans manquer de respect au Bénin, quand tu te fais sortir par cette équipe alors que tu avais la possibilité d’aller loin, c’est rageant. Les gens nous en auraient moins voulu si on avait perdu contre le Sénégal ou l’Algérie. Là, face au Bénin, on était supposés être au-dessus. Mais comme je l’avais dit avant le match, cela ne fait pas tout et il ne fallait pas prendre cette rencontre de haut et penser que ça allait être facile, sinon on allait passer au travers.

Lire : Les notes de Maroc-Bénin

Comment avez-vous accueilli les réactions forcément déçues, si ce n’est plus, du peuple marocain ?
On était tellement bien après cette phase de poules que perdre comme ça… Enfin, ce n’est même pas perdre ! Tu te dis que tu quittes la CAN sans avoir perdu un match. Au final, tu as fait trois victoires et un nul. Ç’a été un coup de massue pour tout le monde. Tout le monde est tombé de haut. Au début, ce n’est pas que tu ne réalises pas, mais tu es un peu sonné.
 
Racontez-nous le vestiaire à la fin de ce match face au Bénin…
Ce qui m’a le plus choqué, c’est le silence du moment où on a perdu à l’arrivée à l’hôtel. Il y avait un silence de mort dans le vestiaire et dans le bus. Ensuite, on pense à toute l’attente qu’il y avait derrière nous. On sortait d’une belle qualification pour la Coupe du monde, d’une belle CAN en 2017 où on a perdu contre l’Egypte qui a été finaliste. On voulait surfer sur cette lancée, cette vague, pour aller encore plus loin.
 
Si on revient sur ce huitième de finale : sentiez-vous que tout ne tournait pas forcément dans votre sens ? 
Avant le match, on s’était préparés à ce que ce soit compliqué face à une équipe qui joue extrêmement bas, qui nous attend, qui nous laisse faire le jeu. C’est ce qu’il s’était passé en poules face aux équipes les moins "relevées" où on partait favoris et c’est finalement dans ces matches face à la Namibie et l’Afrique du Sud qu’on a eu le plus de difficultés. À chaque fois, on s’en est sorti en marquant un but à la dernière minute. On a du mal à faire des différences face à ces équipes où on est censés être supérieurs sur le papier.

«Ce qui m'a le plus choqué, c'est le silence du moment où on a perdu à l'arrivée à l'hôtel. Il y avait un silence de mort»

En défense centrale, Romain Saïss s'est montré solide pendant les quatre matches des Lions de l'Atlas. (Reuters)

Il peut aussi y avoir cette impression que le Maroc ne progresse pas offensivement. D’accord avec ça ?
C’est sûr qu’on entend beaucoup que le Maroc n’a pas d’attaquants. Mais quand un joueur comme Youssef En-Nesyri, qui a 20 ans (NDLR : 22 ans en réalité) et qui a la responsabilité entre guillemets d’être le fer de lance du Maroc, ce n’est pas facile pour lui. Il s’est très bien débrouillé. Il a marqué deux buts et a fourni énormément d’efforts. Maintenant, on sait qu’on a un joueur comme lui qui est là pour des années et qui aura le temps de progresser. Il a déjà disputé deux Coupes d’Afrique des nations. Mais, au-delà de ça, offensivement, les joueurs, on les a ! C’est un tout. Si tu ne mets pas tous les ingrédients qu’il faut, ça ne va pas le faire. Si les efforts ne sont pas faits tous ensemble, ça ne marchera pas.

Hakim Ziyech a beaucoup déçu durant cette CAN…
Je pense que beaucoup de personnes attendaient plus de lui. Notamment au regard de la saison qu’il a effectuée. C’est normal que les gens soient déçus parce qu’il n’a pas marqué ou délivré de passe décisive.

Comment l’expliquez-vous ?
Il était aussi très fatigué de sa saison qui a été très longue avec l’Ajax. Dans son club, il a rarement été mis au repos. Le club voulait aller loin en C1 et confirmer le titre. Je le voyais qu’il était fatigué dans ses mouvements. C’était sa première CAN. En plein été. On a quand même joué des matches où il faisait 37 ou 38 degrés, sans pause fraîcheur. Certains sont plus habitués. Mais là, des joueurs, dont lui, découvraient la Coupe d’Afrique des nations. Et ce n’est jamais pareil qu’une Coupe du monde ou une Coupe d’Europe. C’est à part. Ce ne sont pas les qualités techniques qui vont le plus faire la différence. C’est vraiment l’état d’esprit et le fait d’être prêt à faire des efforts.

«Est-ce qu'on ne fait pas preuve de suffisance face à des équipes qui sont d'un calibre moins élevé ?»

À la fin de la phase de poules, si le Maroc avait neuf points sans avoir encaissé le moindre de but, le fond de jeu était loin d’être rassurant…
On a fait un très, très bon match face à la Côte d’Ivoire, où on a contrôlé la partie. C’est une équipe plus joueuse, dans un match plus ouvert. Mais, sur ces trois matches de poules, on avait su rester solides en ne concédant pas beaucoup d’occasions. On avait, c’est vrai, un peu plus de mal dans la dernière partie adverse. Cela demande beaucoup de mouvements, de faire bouger les blocs équipes pour trouver des brèches. Et on sait qu’il faut mettre au fond dès qu’on a une occasion sinon on galère le reste du match. C’est ce qu’il s’est passé contre la Namibie, l’Afrique du Sud et le Bénin. Face au Bénin, on est pourtant chanceux d’avoir un penalty en fin de match. Mais on ne le concrétise pas (NDLR : Penalty raté par Ziyech à la 95e minute). Et il est arrivé ce qu’il est arrivé. On avait déjà connu ça lors de la Coupe du monde face à l’Iran (NDLR : Défaite à la 95e minute lors du premier match de poules. Ce qui avait coûté cher au Maroc pour une qualification)…

Lire : La fiche de Romain Saïss
 
Le Maroc a-t-il un problème de mental ?
Je ne sais pas si c’est un problème mental parce qu’on prépare bien tous nos matches. On essaie d’être constamment sérieux car on a toujours envie de faire quelque chose de bien. Mais ça ne suffit pas. Est-ce qu’on ne fait peut-être pas preuve de suffisance face à des équipes qui sont d’un calibre moins élevé ? Je ne sais pas… Il faut bien examiner tout ça. Quand on joue face à des grosses équipes, on arrive à se mettre au niveau que ce soit à la Coupe du monde, face au Portugal ou à l’Espagne, et à la CAN. Mais face aux "petites" équipes, on est toujours en difficulté donc…

L’environnement autour d’Hervé Renard, que beaucoup disent sur le départ depuis un moment, a-t-il pu perturber le groupe ?
Ça, vous savez, on en parlait souvent dans la presse marocaine. Nous, on sait comment ça se passe, lui aussi, depuis le temps qu’il est là. L’important est de ne pas prendre ça au sérieux. Il n’y a jamais eu de problèmes entre nous avec le coach. L’ambiance a toujours été au beau fixe.
 
Avez-vous envie de voir Hervé Renard rester ?
Il a fait de belles choses. N’importe quel joueur de l’équipe vous dira qu’il faut qu’il reste et qu’il continue. Il y a une nouvelle génération qui arrive, avec beaucoup de talents. C’est un nouveau cycle qui démarre. Et lui, avec la génération actuelle, il a su incorporer beaucoup de jeunes au fur et à mesure pour donner une bonne mayonnaise. Ces joueurs sont prêts pour le niveau international. Je pense qu’il peut poursuivre sur cette lancée. Après, il faut surtout savoir ce que lui a envie… Sur le fait que les joueurs veulent qu’il reste, je pense qu’il n’y a pas de souci là-dessus.

«Ziyech ? Beaucoup de personnes attendaient plus de lui»

«Cette confiance n'était-elle pas trop haute non plus ?»

Le Maroc a-t-il été à la hauteur dans ces domaines ?
Je ne sais pas… On a su le faire face à une équipe comme la Côte d’Ivoire. Après, il faut savoir si on ne s’est pas mis au niveau parce qu’on n’y était pas physiquement, mais ça m’étonnerait… Ou est-ce que c’était un problème davantage mental pour faire les efforts ensemble… Parce que ce sont des choses qui ne devraient pas arriver. La confiance était au maximum en sortant des trois matches de poules avec aucun but encaissé, et même si tout n’a pas été parfait. Cette confiance n’était-elle pas trop haute non plus ? Je ne sais pas. C’est une expérience qui, j’espère, va nous servir pour les prochaines fois et pour qu’on revienne plus fort. Ce n’est pas normal qu’un pays comme le nôtre n’aille pas à chaque fois en quart de finale au minimum.
 
Avant la compétition, on entendait par exemple parler d’un problème en interne avec Fayçal Fajr. L’ambiance était-elle au beau fixe au sein de ce groupe ?
Ce groupe vivait bien. Beaucoup laissaient sous-entendre que le clan des joueurs "européens-français" avait le contrôle sur la sélection. J’ai envie de dire à ces gens-là d’aller poser la question aux joueurs qui évoluent au Maroc, aux Pays-Bas, qui ne sont pas "français" d’origine pour savoir comment était le groupe. Et ils vont vous dire que tout le monde vivait parfaitement bien. Il n’y avait pas de clan. Comme dans la vie de tous les jours, on a plus d’affinités avec certaines personnes qu’avec d’autres, mais il n’y a jamais eu de problème. Le problème avec Fayçal était un faux problème. On a dit qu’il n’avait pas voulu laisser tirer un penalty (NDLR : face à la Gambie, en match de préparation). Le coach avait établi une liste de tireurs de penalty à chaque match. Ensuite, c’est à nous de respecter cette hiérarchie. Fayçal était le numéro un s’il y avait un penalty à ce moment du match. Donc il a naturellement pris le ballon pour tirer. On a commencé à en faire toute une histoire. Ce n’est pas rendre service à l’équipe et à Fayçal, qui a été touché par ça et qui est un joueur qui aime profondément son pays. Il est toujours prêt à tout donner. C’est l’état d’esprit qu’on a maintenant depuis quelques années, ce qui fait qu’on est arrivés à faire de belles choses car tout le monde tirait dans le même sens. Là, sur cette CAN, il a manqué quelque chose… Ce sera très important de bien analyser ce qu’il s’est passé pour ensuite arriver à la prochaine avec de meilleures intentions.

Lire : Fajr, «Je suis prêt à mourir sur le terrain pour mon pays»

«Hervé Renard, n'importe quel joueur de l'équipe vous dira qu'il faut qu'il reste et qu'il continue»

Défenseur de Wolverhampton, Romain Saïss n'est pas encore certain de rester chez les Wolves. (Marc Atkins/OFFSIDE/PRESSE SPO/PRESSE SPORTS)

Cela ressemble à un coup d’arrêt dans la progression de ce Maroc…
J’espère que cela ne sera pas le cas et que ce sera simplement un obstacle qui nous a fait trébucher mais après lequel on va vite se relever. Comme je l’ai dit, il y a une génération de joueurs de qualité qui arrive. En-Nesyri, Hakimi, Mazraoui, Aït-Bennasser, Harit, Ziyech, Boufal… Ce sont des joueurs très jeunes et qui ont de l’avenir en sélection. Il y a vraiment matière à faire quelque chose de bien. Maintenant, il faut être prêt à ce genre de compétitions et que, des fois, la technique et le beau jeu ne vont pas suffire. En Afrique, ce n’est pas souvent ce qui prime le plus. On voit souvent que des équipes avec onze joueurs qui se démènent à fond, comme des soldats, arrivent à faire de belles choses. Il faut qu’on arrive à trouver le juste milieu pour allier les deux. Je ne suis pas du tout inquiet pour la suite.

Terminons par votre aventure à Wolverhampton, qui a retrouvé la Premier League la saison dernière. Quel bilan en faites-vous ?
C’a été mitigé. Je suis revenu du Mondial avec l’impatience de jouer en Premier League. Au début, cela a été compliqué parce que je suis rentré assez tard pour la reprise. Je n’ai pas eu le temps de jeu que je pensais avoir. J’étais forcément déçu mais j’ai continué à travailler et cela a payé plus tard. Aujourd’hui, je veux savoir concrètement ce que le club et le coach comptent faire de moi sur la saison qui arrive. Je sortais d’une saison pleine (NDLR : 42 matches de Championship en 2017-18) et se retrouver pendant quelques mois sans vraiment jouer était rageant. J’ai envie de rester compétitif. Si on ne compte pas sur moi, je m’en irais. Mais je veux que les choses soient claires et pas que je reste pour faire le nombre à l’entraînement. Ça ne m’intéresse pas. J’ai besoin de jouer et d’être performant. Je pense avoir montré que j’avais le niveau. Je pars en vacances tranquillement pour essayer de couper un peu du foot et on verra en rentrant.»

Timothé Crépin