04 May 2019 Premier League Football - AFC Bournemouth v Tottenham Hotspur - Tottenham manager Mauricio Pochettino embraces Moussa Sissoko of Tottenham (Photo by Mark Leech). (Mark Leech/Mark Leech / Offside)

Retrouvant sa position préférentielle au coeur du jeu et grâce à la confiance de Pochettino, Moussa Sissoko est devenu essentiel pour les Spurs

Après deux saisons à alterner le chaud et le froid à Tottenham, Moussa Sissoko est devenu un titulaire incontournable pour Mauricio Pochettino. Décryptage de ce retour au premier plan.

Dans le football, on dit souvent qu’il ne faut rien lâcher. Qu’une situation qui s’annonce pour le moins périlleuse peut s’inverser, et se transformer en une formidable opportunité de briller. Moussa Sissoko en est l’illustration parfaite. Sa carrière à Tottenham s’est faite en deux temps. En premier lieu, de son arrivée à l’intersaison 2016 à la saison dernière avec des performances irrégulières, un temps de jeu assez minime et des difficultés face à la concurrence. Et puis, la métamorphose. Un statut de titulaire quasi indéboulonnable. Avec un point commun depuis le début : cette faculté à ne jamais lâcher, à ne pas abandonner et à toujours donner le meilleur de lui-même pour convaincre Mauricio Pochettino.

En février dernier, The Telegraph soulignait la mentalité «imbattable» du Français, devenu «souvent le bouc-émissaire des supporters quand les choses n’allaient pas pour l’équipe», avant de renaître de fort belle manière. Dans cette interview, Sissoko expliquait : «Tout le monde sait que les deux premières saisons ici n’étaient pas faciles pour moi. Il fallait du temps pour s’adapter à une nouvelle équipe, mais aussi à un nouveau style de jeu. C’était complètement différent à Newcastle, la culture de l’entraîneur aussi». Un temps d’adaptation nécessaire donc. Et on ne peut plus logique, quand on connaît les exigences de Pochettino, autant d’un point de vue physique que tactique. A Toulouse, puis chez les Magpies, Sissoko a toujours connu un statut de titulaire, ce qui n’a pas été le cas à son arrivée chez les Spurs. De quoi le piquer dans son orgueil, lui qui était habitué à jouer des dizaines et des dizaines de rencontres.

Un tournant cette saison

Exit la zone de confort, il devait se surpasser pour reprendre le dessus sur sa carrière. Un rôle que son agent, Bakari Sanogo, s’est aussi appliqué à tenir en lui répétant constamment qu’il devait continuer de bosser sans se plaindre, en ayant toujours en tête qu’être footballeur professionnel était une chance. Tout comme avec ses amis d’Aulnay-sous-Bois ou de ses débuts à l’Espérance Aulnaysienne, il a gardé des liens forts avec des personnes qui l’ont toujours soutenu, parfois jusqu’à Londres. Puis, cette année, il y a eu ce tournant : une rencontre contre Crystal Palace, mi-novembre dernier (victoire 0-1). «C’était le match où je me sentais heureux et je me suis dit que ça pouvait être mon heure. Je me disais : "maintenant tu es en forme, c’est le bon moment pour l’équipe, il faut continuer"».

Un déclic qui a véritablement lancé la saison, voire la carrière, du joueur à Tottenham. C’est alors qu’il récupérait ce rôle de box-to-box qu’il affectionne tant, et qui plaît aussi à son coach. Il prenait un rôle central dans l’équipe, avec notamment ce duo qu’il formait avec Harry Winks avant que ce dernier ne se blesse. Son utilisation sur l’aile était alors rangée au placard. Tactiquement, le joueur s’y retrouve. "Poch" aussi. Il a compris qu’il était meilleur dans une position axiale, avec un joueur plus défensif à ses côtés. The Telegraph écrivait que cela «lui permettait de ne pas être tenté de dézoner […] et d’être aussi protégé des pertes de balle proches de son propre but». Un constat appuyé par le joueur lui-même au cours de ce même entretien : «J’ai toujours dit que je me sentais mieux au centre. Ma force est ma puissance. Je l’utilise beaucoup. Je suis un joueur qui peut être box-to-box, qui peut défendre, partir avec le ballon ou me projeter derrière les défenseurs. Je n’essaie pas d’être quelqu’un d’autre, j’essaie d’être juste moi et de continuer».

Un nouveau rôle au coeur du jeu

Dans ce rôle à la fois plus central et avec plus de liberté, il a récupéré une position plus similaire à celle qu’il occupait à Newcastle. Et de fait, il effectue la meilleure saison de sa carrière. Avec les Magpies aussi, il performait. Mais il réussit désormais à le faire dans une top équipe du gratin européen. The Times se risquait à tenter de décrire le style de jeu du Français, et concluait que finalement, c’était cette complexité qui le rendait difficilement appréciable, mais «immensément précieux» tant il est imprévisible. Il a cultivé une polyvalence et un rôle à plusieurs casquettes avec ses qualités. Récupérateur, au cœur des transitions, une puissance qui lui permet de se projeter avec sa vitesse...

Bref, il y avait pour son entraîneur matière à exploiter ce profil. «Pochettino a compris qu’il ne fallait pas l’utiliser sur l’aile où il sera toujours mis en difficulté, mais au centre. Une zone où l’adversaire ne sait jamais vraiment où le ballon va, Sissoko non plus», contait The Independent non sans ironie. Comme pour appuyer le caractère déroutant du Français, que ce soit dans ses prises de balle ou ses courses. «Ce qui rend Sissoko difficilement arrêtable, c’est qu’il semble toujours si surpris d’avoir le ballon à ses pieds. A chaque fois qu’il le reçoit, il le regarde un moment, comme si ce n’était pas un événement prévu. On jurerait qu’il a plus de deux jambes. Observez ses jambes quand il tacle, et vous serez pris d’une étrange illusion d’optique, on a l’impression qu’il défend avec les deux en même temps», poursuivait le journal.

La confiance de Pochettino

Celui qui a pour idole Patrick Vieira, débarquait à Londres pour 30 millions d’euros dans les derniers jours du mercato d’été 2016. L’ancien du TFC a longtemps eu beaucoup de mal à se défaire de cet épisode du panic-buy. Un potentiel départ a été évoqué plusieurs fois ces dernières années. La saison dernière en particulier. Mais Sissoko n’est jamais parti. Peut-être parce que cela aurait signifié qu’il reconnaissait l’échec. Pochettino a œuvré pour le garder. Il lui a assuré de sa confiance, de son utilité dans l’équipe. Même s’il n’était pas titulaire et même si parfois, il réussissait à enchaîner de bonnes performances avant de retourner sur le banc.

Une confiance que le joueur a bien rendu à son coach. Il expliquait à The Telegraph qu’il était d’ailleurs plus frustré contre lui-même que contre Pochettino. L’Argentin, de son côté, revenait sur un épisode décisif dans le London Standard Evening. «Un jour je me souviens, je l’ai pris dans mes bras et je lui ai dit qu’il y arriverait ici. C’est un super coéquipier et le premier à mener l’exemple, sur et en dehors du terrain». Dithyrambique sur son protégé, Pochettino allait plus loin pour The Independent : «De bonnes choses peuvent arriver quand vous êtes un professionnel comme Moussa et que vous continuez de travailler dur. Parfois, vous ressentez la douleur mais gardez la tête haute. Continuer ce que vous faites, c’est la seule façon de s’en sortir».

Rebondir après la Coupe du monde

Des propos élogieux pour celui qui a débuté 35 fois sur ses 41 apparitions cette saison. Des chiffres largement supérieurs aux exercices précédents. En mars, le London Evening Standard notait que «Sissoko était passé du premier nom à cocher sur la liste à vendre à un des premiers noms à être noté sur la feuille de match par Pochettino». Dans son style peu orthodoxe, il a réussi à convaincre le royaume. Les supporters de Tottenham, eux aussi, l’ont adopté. En témoigne ce regain de forme, son retour en équipe de France, dès novembre dernier, et puis le rassemblement de mars. Un an après sa dernière convocation.

Bien sûr, Sissoko n’est pas champion du monde. Une déception oui, mais aussi une manière de se booster encore plus. «Si je n’étais pas dans l’équipe, c’est que je n’ai pas fait assez pour y être. C’est une motivation supplémentaire», confiait-il dans The Telegraph. On dit souvent que c’est la chance d’une vie, que cette opportunité ne se présente qu’une seule fois. D’une déception, il fallait en faire une force. Qu’importe que le milieu de terrain ait pris part à une bonne partie des éliminatoires, en plus de l’Euro 2016 auparavant. Touché, là-encore, il y avait une étape à surmonter. S’il n’a pas disputé le Mondial, il a depuis réussi à rebondir. Une nouvelle potentielle finale et un titre se présentent devant lui : la Ligue des champions. Et une situation délicate à renverser, face à une redoutable équipe de l’Ajax. Voilà qui serait une belle revanche de plus pour celui qui n’a jamais flanché, en dépit des épreuves qui se sont présentées à lui.

Jérémy Docteur