Rendez-vous en terres madrilènes : découvrez notre grand format sur le football à Madrid
Alors que le Real et l'Atlético brillent dans les Coupes européennes, le football se tourne vers Madrid. Mais la capitale espagnole ne respire pas qu'au rythme des gros. Du centre ville à la banlieue madrilène, quatre autres clubs évoluent à leur manière.
En tout, on compte six clubs évoluant au haut niveau à Madrid et sa banlieue proche : le Real, l'Atlético, Leganes, Getafe, le Rayo Vallecano et Alcorcon. Les quatre premiers jouent en Liga, et les suivants tâtent le cuir en Segunda, la deuxième division. Le panorama attire, puis intrigue : comment six clubs aux envies, objectifs et moyens différents trouvent-ils leur place dans la même métropole, quand deux d'entre eux brillent au niveau mondial ?
«Un club de banlieue, un peu comme Créteil»
Instinctivement, le nom Madrid rime souvent avec Europe. Et quand vient l'heure du derby madrilène entre les Merengue et les Colchoneros, la planète football se tourne vers les géants de la capitale. Ses habitants aussi. «Dans Madrid ou sa banlieue, ils sont avant tout de l'Atlético ou du Real, raconte Franck Signorino. Parce que ce sont des clubs plus vieux, qui ont une histoire.» Le Français a évolué trois saisons à Getafe, entre 2007 et 2010. Il se souvient d'une ville marquée par la portée de l'histoire. Les clubs de la banlieue («las afueras») sont souvent plus jeunes, et malgré quelques saisons ou parcours en Coupe notables, n'ont pas l'étoffe de leurs attenants. «Ce sont des clubs de banlieue, un peu comme Créteil en France, enchaîne le joueur. Même s'ils arrivent en première division, on ne peut pas espérer qu'ils fédèrent autant que les autres.»
Formé en 1983, le club de la banlieue ouest n'a connu sa première saison en Liga qu'en 2004. Son voisin Leganes, nettement plus ancien (1928), a découvert l'élite lors de l'exercice précédent, en 2016. Carl Medjani faisait partie de l'aventure. Lorsqu'il débarque dans la capitale l'été de la montée, son premier réflexe est d'aller visiter le musée du Bernabeu. Il vient d'être transféré de Levante, et s'installe à Majadahonda, dans le quartier du centre d'entraînement des Colchoneros. «A l'Atlético ou au Real, c'est cadenassé, estime Medjani. Tous nos entraînements étaient ouverts au public. On avait des petits anciens qui venaient tous les jours, c'était leur routine quotidienne. C'est un club vraiment familial.» Ces gens-là, ils sont «du cru, du quartier». Les abonnés des Pepineros - les concombres, en référence au passé agricole de la ville -, sont au nombre de 9 700, pour une affluence moyenne de 10 000 spectateurs. Soit deux fois plus qu'à l'époque de la Segunda. De quoi quasiment remplir les 11 545 sièges du stade municipal de Butarque. «J'ai connu la première saison du club dans l'élite, les supporters venaient en nombre. C'était comme une petite marmite, sourit le joueur. Je préfère jouer dans un stade comme ça, que dans un stade à 30 000 places à moitié plein.»
Roberto Carlos versus le mur
Niché dans une zone commerciale de la ville de Leganes, le stade de Butarque se dévoile entre une grande enseigne de supermarché et un centre de fitness. Loin, très loin de l'enceinte qui accueille le Rayo Vallecano, au coeur du quartier de Vallecas. Construit dans les années 70, «el Campo de Futbol de Vallecas» est repérable par ses tags aux couleurs du club sur la façade et ses trois tribunes. A cause des immeubles attenants, un mur remplace le quatrième édifice. Une caractéristique qui a marqué Eric Roy, joueur du Rayo entre 2001 et 2002 : «Je me rappelle que lorsqu'on avait joué contre le Real, Roberto Carlos, qui avait une frappe de mule, déboulait et déclenchait des frappes qui tapaient dans le mur. Ça renvoyait le ballon au milieu du terrain. En voyant ça tu te dis "c'est pas banal".» «Derrière le mur, vous avez des immeubles à la Guingampaise», souligne Signorino. Bienvenue dans le "barrio", le quartier, ce terme cher aux joueurs et supporters du Rayo. Créé en 1924, et presque centenaire, le club tient à cette identité.
Antonio Amaya a grandi dans ces allées de Vallecas. Son père est un adepte du ballon rond, et ses trois frères le pratiquent dans la rue. Le gamin se met à suivre leurs traces. Après avoir joué dans une équipe d'un quartier madrilène, il intègre le club à l'âge de neuf ans, et fait toutes ses gammes dans les classes jeunes. «Le Rayo est vraiment Vallecas, relate t-il. Je crois qu'en Europe, il n'y a pas d'autre club qui représente un quartier.» Seize années plus tard, et malgré quelques détours en Angleterre (Wigan Athletic) ou au Bétis Séville, le Madrilène a porté le brassard et vient de dépasser les 250 rencontres avec le club de son enfance. «C'est ma maison», se marre le défenseur. Son coéquipier Oscar Trejo a retrouvé la tunique du Rayo cette année après un premier passage en 2010. «C'est un club de travailleurs et d'ouvriers, confesse l'ancien Toulousain. La population attend le match tous les quinze jours pour se détendre. Chaque match à domicile est une fête.» C'est, finalement, cette identité particulière qui explique que le Rayo est un peu à part. «C'est un club qui vit assez bien à l'ombre des deux monstres», commente Roy. L'ex-Marseillais se souvient qu'après avoir posé ses valises en terre ibérique, on lui a immédiatement vanté les mérites de son nouvel employeur. «Tout le monde aime le Rayo», lui souffle-t-on. «Ils aiment l'Atlético et détestent le Real, ou inversement. Mais tout le monde a une affection pour le Rayo. Il représente des valeurs qui ne peuvent être diffusées par les autres rivaux.»
Le derby de la banlieue Sud
Dans ce puzzle footballistique, il y a fort à parier que la fête n'en est que plus belle. Un derby par ci, un derby par là ? Que nenni. A chaque club ses rivalités et ses adversaires, à chaque joueur son ressenti sur l'importance d'un derby. «Il y a une rivalité entre Getafe et le Rayo, moins avec Leganes, estime Antonio Amaya. C'est une concurrence, mais pas énorme.» Avec le Betis Séville, il a connu la bataille andalouse. Le capitaine s'arrête, réfléchit. Et reprend sa phrase : «Le derby de Séville, ça n'a rien à voir. C'est un cas à part, quelque chose que je ne peux pas décrire.» À Madrid, la rivalité s'exprime surtout dans l'affrontement direct et le challenge sportif. Comprendre ici : il faut jouer sur le même terrain.
Eric Roy en a fait l'expérience. Il se souvient que lorsqu'il a débarqué à Lyon, on lui a immédiatement mentionné le rendez-vous fatidique contre le rival Stéphanois. A Vallecas, la réaction est différente. «Ici, c'est induit que... c'est pas que tu fais pas le même métier, mais un peu.» «Pour Leganes, la notion de derby est moins importante qu'à Valence, parce que ce sont leurs premières années au haut niveau, complète Carl Medjani. Lorsqu'ils jouent contre le Real ou l'Atlético, c'est plus un match de prestige qu'un derby.» Une soirée de gala, comme le désormais célèbre épisode de «l'Alcorconazo», cette nuit d'octobre 2009 où Alcorcon, alors pensionnaire de troisième division, a humilié son riverain merengue. Une victoire 4-0 au match aller, un léger sursaut du Real au retour (1-0), qui n'empêche pas l'élimination précoce des joueurs de Florentino Perez en seizièmes de finale de Coupe du Roi. Un match de prestige donc, sauf lorsque l'on croise la route d'un voisin direct, dont la concurrence remonte aux divisions inférieures. Parce qu'entre Getafe et Leganes, il n'y a que quatre petits kilomètres. Medjani, encore : «Là, il y a une certaine rivalité.» En septembre dernier, les deux clubs se sont affrontés pour la toute première fois en Liga, au stade de Butarque, devant près de 11 450 supporters. Un quasi huit-clos pour le derby de la banlieue Sud. Oscar Trejo tempère : «Mais le grand derby de Madrid, ça reste entre l'Atlético et le Real».
Os necesitamos! Esta noche nos vemos en Butarque para vivir un #DerbiHistorico! Máxima rivalidad, máximo respeto? #LeganesGetafe @CDLeganes pic.twitter.com/kKvqBHuKcR
— Gabriel Appelt Pires (@Gappelt) 8 septembre 2017
Un socio du Real à Getafe
Au-delà de ces différents antagonismes sur la pelouse, ces équipes ne possèdent pas les mêmes armes en matière de formation. «Le Rayo est un club qui vit de ses équipes de jeunes, dévoile Antonio Amaya. On a été champions dans différentes catégories. Dès l'année d'après, le Real recrutait sept ou huit de ces joueurs». «C'est difficile de rivaliser», ajoute t-il en riant. Ça ne les empêche pas d'être malins. A l'image du président de Getafe, Angel Torres Sanchez, socio assumé de la Maison Blanche. «C'est un supporter invétéré, analyse Signorino. Ses relations avec le Real servaient à ce que beaucoup de joueurs de la réserve viennent à Getafe. C'était une vraie passerelle.»
Rien qu'à son époque, Esteban Granero, Pedro Leon ou Soldado font la navette entre les deux entités. Le premier, né dans la capitale, a été formé par les Merengue. En quête de temps de jeu, il est d'abord prêté, puis transféré à quelques kilomètres de là, chez les Azulones. Son contrat de 5 ans comporte alors une clause de rachat. Un exercice plus tard, son club formateur dépense 4 millions d'euros pour le récupérer. Soit un million de plus que ce qu'il l'a vendu. «C'est plutôt intelligent de la part de Getafe et du Real, souligne l'ancien Messin. Plutôt que de jouer avec la Castilla, les joueurs peuvent s'aguerrir au plus haut niveau.» «Ils ont une politique sportive de recrutement et de transfert qui est de toujours avoir la main sur les joueurs qu'ils ont formé», rappelle Eric Roy. Le meilleur buteur du Rayo, Raul de Tomas, est également prêté par la Castilla. Il y a quelques années, c'est Diego Costa qui arrivait tout droit des Colchoneros. «Nous avons toujours été bien traités par l'Atlético et le Real, confesse Amaya. Ils nous ont beaucoup aidé, en nous prêtant des joueurs par exemple». Nul doute que les vingt-trois pions de l'ex-Merengue ont guidé les joueurs de Vallecas cette saison. Ils ne sont plus qu'à quelques points de la montée en Liga. «Nous sommes très près de notre objectif, qui est d'avoir cinq équipes madrilènes en première division, lâche Trejo dans un sourire. On y croit. Et si c'est le cas, on va célébrer ça avec une grande partie de la ville». Et cette fois, pas besoin d'une carte pour trouver la fête.
Cindy Jaury Follow @cjaury