mbappe lottin (kylian) neymar (R.Martin/L'Equipe)

Neymar, Mbappé, la crise du Golfe et un message au monde...

En 2017, le Qatar, via le PSG, s'offrait deux des plus grandes stars du football international. Neymar Jr, à la renommée mondiale, et Kylian Mbappé, amené à jouer un rôle majeur. Deux recrutements à mettre en perspective avec le contexte moyen-oriental de l'époque.

Il y a les rumeurs transferts qui pullulent et les chroniques géopolitiques qui s'animent. Nous sommes en juin 2017, le 5 plus précisément. La pression monte dans le Golfe. Conjointement, l'Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, Bahreïn et l'Egypte actent un blocus contre le voisin qui dérange, le Qatar. Un embargo économique et global qui concrétise une montée sinueuse de tensions historiques et peu à peu amplifiées. Depuis le début des années 2010 et les Printemps Arabes, les relations diplomatiques vont de mal en pis. Le 23 mai 2017, l'agence de presse officielle Qatar News Agency prête à l'émir Tamim al-Thani des propos favorables à l'Iran, l'ennemi de toujours. The Washington Post révèlera par la suite un piratage émirati, mais à l'époque, le prétexte est idéal pour lancer, deux semaines plus tard, le boycott. L'objectif : esseuler le petit état gazier, l'asphyxier.

La communauté internationale va jusqu'à craindre une invasion militaire. Les jours sont longs, très longs à Doha. L'import est drastiquement réduit, les voix aériennes sont modifiées. «Le Qatar n'a qu'une seule frontière terrestre, et elle est avec l'Arabie Saoudite, recontextualise James Dorsey, spécialiste de la géopolitique du Moyen-Orient et chercheur. Beaucoup de nourriture, par exemple, arrive par cette frontière. Le Qatar a donc eu besoin de reconfigurer toute sa logistique, et il l'a fait plutôt rapidement, notamment via l'Iran. Durant quelques semaines, ç'a été très compliqué. Il n'y avait aucune arrivée habituelle. Ils ont pioché dans les réserves pour investir dans le pays.»

Boycott malheureux, investissements gigantesques

Le Qatar joue sa survie, en est conscient et voit là l'opportunité de faire passer un message. James Dorsey toujours : «Le Qatar voulait transmettre quelque chose. Non seulement à ses voisins, mais aussi au monde. “Vous avez créé une crise que personne ne voulait, tout le monde, y compris les puissances occidentales, a essayé de l'éviter, mais vous pouvez mettre autant de poids sur nos épaules que vous le voulez, on continuera ce que l'on fait et ce que l'on doit faire.”» Autrement dit, Doha résiste et se débrouille. La situation, pendant des semaines, est rude. L'Arabie Saoudite, traditionnel fournisseur en oeufs, produits laitiers et animaux, n'approvisionne plus. Mais le boycott tombe à l'eau. Le Qatar s'en sort et plus que l'autarcie partielle, tient à montrer sa puissance.

«S'offrir Neymar, c'est bien plus spectaculaire que d'acheter un immeuble en plein coeur de Londres...»

«Alors que l'impasse leur avait fait du mal en termes de matériaux et de marchandises au jour le jour, la nation se portait relativement bien financièrement», explique Shuaib Ahmed, blogueur sur le football du Moyen-Orient. À Paris, au même moment, l'organigramme évolue. Antero Henrique débarque en qualité de directeur sportif, son réseau avec, et les premières manoeuvres sont lancées. Le recrutement de Neymar Jr devient une priorité, quel qu'en soit le prix. Il sera de 222 millions d'euros. «Pour le gouvernement, non seulement vivre normalement était bon, mais en plus, investir à ce point-là, c'était montrer à quel point il était fort, poursuit James Dorsey. C'était encore un message : “Regardez, on peut vivre, et en plus dépenser autant d'argent sur un grand joueur de football en plein boycott”.»

Le rêve de grandeur du Qatar passe par le football. (F.Mons/L'Equipe)

Spectaculaire Neymar

Le football, évidemment, est loin d'avoir les vertus pour régler un conflit diplomatique. Il ne le peut d'ailleurs pas. Mais Doha y voit un moyen d'exposer son indépendance et sa résilience aux yeux du monde. «Le football, c'était un moyen fort de transmettre une idée, de véhiculer quelque chose, ajoute Dorsey. Et s'offrir Neymar, c'est bien plus spectaculaire que d'acheter un immeuble en plein coeur de Londres... Peut-être l'auraient-ils fait sans le boycott, mais le contexte a poussé la chose. C'était déjà la stratégie d'avoir des grands joueurs au PSG, ça l'est devenu encore plus. Toutes les personnes du monde, les fans, les influenceurs, transmettent indirectement ce message, et il a été reçu dans le monde entier comme le Qatar voulait qu'il le soit.» Événement planétaire, l'arrivée de Neymar à Paris, le 3 août, sonne comme une réussite. Doha n'a pas attendu 2017 pour investir, appliquer son immuable stratégie de puissance douce, mais le Brésilien est une sommité. Presque une utopie devenue réalité, alors que la détente se profile. À la mi-août, le prince héritier d'Arabie Saoudite, Mohammed ben Salmane, reçoit un émissaire voisin. Le pèlerinage à La Mecque est autorisé pour les Qataris, la frontière timidement entrouverte.

Désir d'omnipotence

Dans les palaces parisiens, du Royal Monceau au Peninsula, tous propriétés de Doha, une autre opportunité guette. Celle d'attirer, après avoir réussi le transfert du siècle, le jeune prodige du football français Kylian Mbappé. Elle a un prix, également : 180 millions d'euros. Certains dirigeants du Paris Saint-Germain grincent des dents, à commencer par Jean-Claude Blanc, directeur général du club. «C'est de la folie !», dira-t-il d'un point de vue financier, comme révélé par L'Équipe. Mais «Neymar et Mbappé dans ce contexte, c'était la plus haute priorité de Tamim al-Thani en matière de sport», dévoile un habitué des sphères politiques soucieux de rester discret.

«Avec Neymar, l'un des meilleurs joueurs du monde, et Kylian Mbappé, superstar en devenir, votre profil augmente non seulement sur le terrain mais surtout en dehors, complète Shuaib Ahmed. En fin de compte, il s'agit de maintenir ou même d'augmenter votre soft power à travers le sport. La perspective générale au PSG était d'établir un soft power en impliquant la nation avec un club de haut niveau, mais en faisant venir ces deux joueurs, le club a pu s'établir comme un géant mondial - parce que l'intention à l'époque était qu'avec Neymar, vous apportez une évolution certaine à la marque PSG et, finalement, à la marque Qatar.» L'objectif est atteint. Le 27 septembre, Neymar et Kylian Mbappé terrassent le Bayern Munich au Parc des Princes sous les yeux d'un Nasser al-Khelaïfi râvi. Depuis, trois ans ont passé et la situation a changé. Elle s'est adoucie au Moyen-Orient, sans jamais flirter avec la sérénité non plus. Et le PSG a vu Doha tempérer ses investissements. Chaque pays opte pour une stratégie propre à lui-même. «Il y a une différence fondamentale au niveau de l'approche, enchaîne Dorsey. Les Qataris veulent se positionner comme un pôle d'attraction global au niveau du sport, le voyant même comme une part de l'identité nationale. L'investissement est très stratégique. Pour les Emirats, c'est très différent, à l'image de ce qu'ils ont fait de Manchester City : un groupe de football à l'échelle du monde. Quant à l'Arabie Saoudite, elle est encore en retard.» Au moment où Riyad s'apprête à s'offrir Newcastle, à Doha, la priorité est autre : faire de la Coupe du monde 2022 un tournant pour le pays, toujours enclin à faire du sport un vecteur de développement pour l'après-gaz. Histoire d'asseoir davantage le Qatar sur le banc des nations qui comptent. Peu importe ce qu'en pensent les voisins...

Antoine Bourlon