trauco (miguel) (A.Martin/L'Equipe)

Miguel Trauco (Saint-Etienne), le serviteur des Andes

Parmi la pléiade de recrues stéphanoises, Miguel Trauco est le seul à n'avoir jamais évolué en Europe. Inconnu dans l'Hexagone, celui qui est surnommé le Mozo (le serviteur) pour sa qualité de passe n'a plus besoin de se faire un nom au Pérou, où sa trajectoire a forcé l'admiration de tous.

Le pied (gauche, toujours) à peine posé sur le sol de l’aéroport Lyon Saint-Exupéry, Miguel Trauco amenait avec lui un vent d’exotisme, faisant poindre l’excitation de l’inconnu chez les supporters stéphanois. L’état-major de l’ASSE ne manquait pas le clin d’œil avec un clip de présentation entièrement en espagnol, en écho à celui réalisé par le Pérou pour le Mondial russe. Dans l’Hexagone, la diaspora blanquirroja n’est pas légion, et Trauco n’est que le sixième (complété depuis par le néo-Nantais Cristian Benavente) à s’implanter depuis le début du siècle. Sitôt sa première apparition face à Dijon effectuée, certains ont fait de ce pari à un million d’euros l’affaire du mercato. Une affaire que l’OM par exemple, en quête d’une alternative à Jordan Amavi, n’a pas su flairer.

Si les présentations avec le petit monde de la Ligue 1 sont à peine faites, le natif de Tarapoto est une fierté locale, à neuf mille kilomètres de là. Au Pérou, où un footballeur amateur peut passer d’une semaine à l’autre des trois mille mètres d’altitude de Cusco à la forêt tropicale de Piura, le ballon rond est une institution, et les Trauco n’échappent pas à la tradition héréditaire. Le paternel, l’oncle, le cousin, tous ont arpenté les terrains de San Martin, région au Nord du pays bordée par la forêt amazonienne. Mais la fierté de la famille, c’est bien le jeune Miguel. «Dès son enfance, c’était déjà un très bon footballeur, et il était très observé dans les différents tournois auxquels il a participé. C’est un garçon calme et un bon manieur de ballons», déclarait son papa pour le journal El Bocon.

Une ascension à vitesse grand V

A rebours du clivage province-capitale qui affecte le football péruvien, Miguel Trauco choisit de s’initier au monde professionnel près de ses terres natales, dans la très modeste Union Comercio. «Malheureusement, il y a de forts écarts de budget entre les clubs de province et les clubs de Lima. Edgar Ospina (entraîneur de football péruvien, ndlr) me disait un jour qu’un joueur doit presque toujours passer par Lima pour aller à l’étranger et côtoyer la sélection», relate Juan Miguel Jugo, journaliste pour le principal quotidien du pays El Comercio. Trauco y reste six saisons, d’abord comme numéro 10. Julio César Uribe, son entraîneur d’alors, lui réserve un tout autre destin. «Il l’a fait reculer latéral gauche pour sa qualité de centre et sa vision du jeu. Il pouvait orienter de l’arrière quand l’équipe choisissait de repartir court». Jugo ne s’y trompe pas, ce changement fait basculer la carrière du jeune homme, et Trauco s’affirme comme l’un des meilleurs latéraux du pays. En 2014, Pablo Bengoechea lui fait même connaître sa première cape en sélection face au Panama (victoire 3-0).

Alors que la carrière du joueur d’1,75 m arrive à la croisée des chemins, le présage d’Edgar Ospina se confirme. Fini San Martin et les charmes de huit vallées de Moyobamba, direction la capitale en 2016. A l’Universitario Deportes, escouade la plus titrée de l’histoire du foot péruvien, sa progression est tonitruante. Il n’y reste qu’un an, le temps d’être élu meilleur joueur du club, avant de céder aux sirènes de Flamengo. Et nul besoin de tendre l’oreille pour comprendre la trace laissée par Miguel Trauco depuis son départ. «Il est encore considéré par plusieurs journalistes locaux comme l’un des meilleurs latéraux passés par l’Universitario Deportes. Avant cela, je peux même me risquer à dire que Miguel Trauco est aussi le meilleur joueur de l’histoire de l’Union Comercio», s’engoue Juan Miguel Jugo. En une année tout juste, le latéral passe donc d’un club mineur du Pérou à un monument du Brésil.

«Il l'a fait reculer latéral gauche pour sa qualité de centre et sa vision du jeu. Il pouvait orienter de l'arrière quand l'équipe choisissait de repartir court».

Un cadre du Pérou de Gareca

Toujours en 2016, Trauco gagne la confiance de son sélectionneur Ricardo Gareca et devient un maillon essentiel du dispositif du Profe. Sa première Copa America se solde toutefois sur un échec, le latéral manquant son tir au but lors du quart de finale face à la Colombie (0-0, 4-2 t.a.b). Qu’importe, il continue sa progression fulgurante sous la tunique blanche et rouge, jusqu’à la dernière édition du tournoi continental en juin dernier. Meilleur Péruvien sur le pré, il s’offre une place honorifique dans l’équipe type de la CONMEBOL. «Il est irremplaçable», poursuit Juan Miguel Jugo. «C’est simple, en sélection, Farfan, Guerrero et lui sont les trois joueurs fondamentaux. Sans l’un des trois, le rendement de l’équipe baisse, on ne marque pas, on est moins dangereux... On a des remplaçants pour Luis Advincula, Christian Cueva, Yoshimar Yotún, pas pour eux.» Entre-temps, Miguel Trauco avait fait son trou à Flamengo, glanant un Championnat carioca dès la première année. Pas assez rigoureux dans la gestion défensive de son couloir, il est toutefois écarté au profit de Renê la seconde saison, avant que Filipe Luis ne pose ses valises en juillet. Une décision qui illustre les travers de Trauco, trop souvent lacunaire dans son dos et en un-contre-un défensif. Sur ce point, il semble toutefois en progrès, à l’image de son match à Dijon. Avec au compteur le plus de ballons gagnés et 80% de duels remportés, le numéro 13 a séduit par son implication.

Car des qualités, le joueur de 26 ans en a à la pelle, avec un profil pour le moins atypique. «Ce n’est pas une fusée type Robertson ou Jordi Alba. Trauco ressemble plus à Maxwell, Sylvinho, pas spécialement véloce mais très technique. De par sa formation, il joue un peu comme un numéro 10 de derrière. Certains journalistes ont même suggéré à Gareca de le faire monter au milieu», décrypte Juan Miguel Jugo. Avec, en prime, un amour pour son métier. «Ce qui est rare pour un footballeur, c’est qu’il regarde de lui-même beaucoup de vidéos des adversaires pour savoir comment les neutraliser». Au Pérou, on croit beaucoup en lui pour représenter dignement le pays du Machu Picchu. Afin que la Ligue 1 se penche un peu plus sur une contrée bien méconnue.

Corentin Rolland