Michel Platini sur France-RFA 1982 : «Un moment sublime, merveilleux»
En ces temps de confinement, FF vous propose de (re)découvrir plusieurs grands entretiens parus dans l'histoire de notre magazine. Retour en 2012, lorsque Michel Platini avait accepté de revenir en détails sur l'inoubliable France-RFA de 1982.
Michel Platini a dit oui d'emblée. Raconter son 8 juillet 1982, trente ans après. Tout en précisant : «Je n'en parlerai pas avec d'autres. Je préfère que ça reste dans le foot, dans les bouquins, les publications. C'est l'histoire du football.» Au siège de l'UEFA, à Nyon, sur la rive suisse du lac Léman, celui qui était alors le patron du football européen est donc redevenu, l'espace d'une heure, le numéro 10 et capitaine d'une magnifique équipe de France. Une équipe qui, ce jeudi-là à Séville, n'est plus qu'à un match d'une finale de Coupe du monde...
Et c'est la fin...
On y reviendra. Mais vous avez toujours dit que ce match constituait un sommet...
Ce n'était pas contre n'importe quel adversaire. Vous auriez pu aussi retrouver, en demi-finales, l'Angleterre, qui vous avait battus lors du premier match (3-1)...
Vous savez, on s'est retrouvés là un peu par hasard. C'est ce jour-là qu'on est devenus une grande équipe. Étrangement. C'est en perdant ce match-là qu'on devient une grande équipe. C'est ce match qui nous fait dire qu'on est une bonne équipe. On ne perd pas contre l'Allemagne, on est éliminés aux penalties, et l'Euro se joue après... Toute cette génération l'a en tête... Génération qui est là grâce au match contre la Hollande qu'on gagne avant, hein ! (France - Pays-Bas, 2-0, le 18 novembre 1981.) Si on ne gagne pas contre la Hollande, on n'est pas là, on n'est rien du tout ! Il faut replacer tout ça dans son contexte. Pour cette équipe-là, Séville a représenté le début d'une aventure. Qui s'est mal terminée en 1986. Parce que, autant on peut perdre ce match en 1982, autant on est meilleurs en 1986, et autant on doit gagner la Coupe du monde en 1986.
Le jeudi 8 juillet. À Séville, il faisait très chaud...
Est-ce que vous conservez un souvenir précis des heures qui ont précédé ce match ?
Ce France-Allemagne ne débute pas de la meilleure des façons. Littbarski ouvre le score, vous égalisez sur penalty. Dans quel état d'esprit êtes-vous ?
Physiquement, vous paraissiez assez légers comparés aux Allemands...
Au niveau des gabarits.
Oui, mais au milieu : Tigana, Genghini, Giresse...
«On se retrouve à Séville par hasard. Complètement par hasard !»
«Si c'est Battiston qui me donne le ballon...»
Un des moments clés du match, c'est bien sûr la sortie de Genghini à la 51e minute...
Et, à la 57e minute, vous lui donnez un ballon en profondeur...
Il frappe, la balle part...
Et vous ne voyez donc pas l'impact entre Battiston et Schumacher ?
Ah oui ?
Vous aviez déjà vu, sur un terrain, un joueur sans connaissance ?
Et après, cela vous est arrivé ?
Et là, devant Battiston inanimé, vous avez eu peur ?
Avec deux ans de culture italienne, les choses se seraient passées différemment ?
«On a manqué de sens tactique. Si je suis en Italie depuis deux ans, on ne le perd pas, ce match !»
De la haine qui donne sans doute de l'énergie, mais offre-t-elle aussi de la lucidité ?
On est passés un peu vite de 1-1 à 3-1. Au début de la prolongation, Marius Trésor marque ! Une superbe reprise de volée, sur un petit coup franc côté droit, de Giresse...
S'il y avait eu le but en or, c'était fini, vous étiez qualifiés !
Six minutes après Trésor, au tour de Giresse de marquer !
L'image de sa joie a marqué les esprits, elle a servi de générique, aussi...
Vous menez donc 3-1 et il reste vingt minutes. C'est dans la poche ?
«C'était le dernier match de l'insouciance»
Manque d'expérience, manque de culture...
Il y a un débat permanent autour du rôle de Michel Hidalgo par rapport au vôtre, et du vôtre par rapport à celui du sélectionneur. Certains disaient que...
Mais vous est-il arrivé de marcher sur les plates-bandes de Michel Hidalgo ?
Une page est tournée ?
Dans votre carrière, avez-vous connu d'autres moments similaires ?
Le lendemain, la presse évoquera un match "qui est resté dans les limites de la virilité. Ce n'était pas une bagarre de chiffonniers." Vous avez eu cette impression ?
On a évoqué l'arbitrage. Il y a eu évidemment l'agression non sanctionnée de Schumacher sur Battiston, mais il y a eu aussi deux fautes sur Giresse et sur vous au cours de l'action qui se termine par le but de Rummenigge qui ramène les Allemands à 3-2...
Vous arrive-t-il d'évoquer cette demi-finale avec Karl-Heinz Rummenigge, que vous croisez souvent puisqu'il est président de l'Association des clubs européens ?
«Ce jour-là, il y a eu de la joie, de la haine, de la violence, de la rancoeur, de l'amitié, de la sympathie...»
«On a tous craqué, on a pleuré...»
C'est lui qui a eu cette idée d'aligner Genghini, Giresse et Platini ?
Marius Trésor s'est plaint pourtant que Didier Six se soit précipité, alors que Stielike venait de rater le sien... Il paraît que Six vous aurait demandé de tirer le cinquième et que vous auriez refusé...
Et ensuite, il y a cette image terrible : Maxime Bossis accroupi après son tir au but repoussé...
Il a l'air tétanisé...
Et dans le vestiaire, tout le monde craque ?
«Même à 3-1, tu ne sens pas que tu vas le gagner ! Parce que c'est contre les Allemands, tu sens...»
Vous est-il arrivé d'imaginer ce qui se serait passé si vous aviez éliminé l'Allemagne ?
Ah bon ?
Quand vous dites "prêt", vous voulez dire mentalement ? Tactiquement ?
Mais ces Italiens, vous les aviez battus en février !
«Les Italiens m'ont remercié !»
En avez-vous parlé souvent, ensuite, avec vos coéquipiers de la Juventus ?
Vous arrivez à Alicante le vendredi matin à l'aube. Mais, le lendemain, il y a le match pour la troisième place contre la Pologne !
Beaucoup de joueurs de l'équipe de France ont choisi de ne pas assister à la finale Italie-Allemagne (3-1), le 11 juillet 1982...
Une dernière question : l'Euro 84 se serait-il déroulé de la même façon sans la Coupe du monde 82 et la demi-finale de Séville ?
Propos recueillis par Dominique Courdier