Foto IPP/Massimo Rana Torino 31-08-2019 Calcio Campionato di Serie A 2019/2020 Juventus-Napoli nella foto matthijs de ligt Italy Photo Press - World Copyright (Massimo Rana/IPP/PRESSE SPORTS/PRESSE SPORTS)

Matthijs de Ligt, la fabrique d'un champion

Sa progression fulgurante l'a fait passer de l'anonymat au statut de nouvelle coqueluche du foot mondial. Capitaine du détonnant Ajax cuvée 2019, Matthijs de Ligt est passé cet été à la Juve. Une première étape majeure dans sa jeune carrière, fondée sur un maître mot : la gagne.

Son nom, on le connaissait déjà. Il va désormais falloir apprendre à le prononcer. Le nouveau défenseur de la Juventus se dit «Mat-ey-ss de li-rr-t», pas tout à fait comme cela s’écrit. Un nom qui a conquis la planète football en quelques mois en 2018-19, lorsqu’il est progressivement devenu le symbole de l’Ajax Amsterdam nouveau, celui qui a tant séduit. Brassard enroulé autour du biceps, Matthijs de Ligt le défenseur central robuste, a été le capitaine d’une escouade dont la seule obsession aura été de se ruer vers l’attaque avec le plus d’élégance possible.

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Sous sa chevelure blonde parfaitement coiffée, une caboche ronde, une paire de yeux bleus candides et des joues encore en attente de poils lui donnent un air enfantin que contrebalancent ses près de 90 kilos de muscles. Matthijs de Ligt a fêté ses 20 ans le 12 août dernier, mais il a toujours fait plus que son âge : «À 14 ans il avait déjà le corps d’un gamin de 17 ans», se remémore Ruben Jongkind, ancien responsable du développement des talents à l’académie Ajax et co-rédacteur du fameux «plan Cruyff» qui a amené au club la «révolution de velours» du début des années 2010.
 
Jongkind a vu évoluer De Ligt depuis son arrivée à De Toekomst, le camp de base de l’Ajax, quand il n’avait que neuf ans et quelques kilos en trop. Le joueur qu’il est devenu est le fruit de la philosophie prônée par le «plan Cruyff», qui place le développement personnel des joueurs au-dessus de tout. «On l’a rapidement surclassé, pour qu’il puisse jouer et s’entraîner avec des enfants plus âgés, révèle Jongkind. Son entraîneur de l’époque était contre, car il leur faisait gagner des matches. On lui a dit "Oublie, on le fait monter". L’important pour nous, c’est de former des joueurs capables de gagner la Ligue des champions, pas de gagner en catégories de jeunes.»

Le joueur qu'il est devenu est le fruit de la philosophie prônée par le «plan Cruyff», qui place le développement personnel des joueurs au-dessus de tout.

Matthijs de Ligt, en 2017, déjà lancé par l'Ajax. (VI IMAGES/PRESSE SPORTS/PRESSE SPORTS)

L'éléphant devenu coureur de fond

Toute la formation de Matthijs de Ligt gravite autour de ce principe clé du «plan Cruyff» : cibler les faiblesses des joueurs et les corriger, presque au cas par cas, pour que chacun puisse devenir la meilleure version de lui-même. «Dans sa jeunesse, il n’était pas extrêmement talentueux, raconte Jongkind. Il était déjà intelligent, mais un peu lent, comme un éléphant. Il avait besoin de devenir plus rapide, dans son corps comme dans sa tête.» La décision est alors prise de le faire jouer régulièrement au milieu de terrain. Objectif : développer une intelligence de jeu accrue et un profil plus complet. «De mon point de vue, c’est l’une des étapes majeures de son développement, surtout dans le cadre de la philosophie de l’Ajax», analyse, avec le recul, Wim Jonk, également co-rédacteur du «plan Cruyff» et directeur du centre de formation des Lanciers de 2012 à 2015. Une réussite : aujourd’hui, Matthijs de Ligt est bien plus qu’un simple défenseur. «C’est un défenseur "moderne", qui aime bien jouer loin de son but, observe Simon Piotr, analyste tactique, qui a disséqué le jeu du défenseur batave. Quand tu joues dans une équipe très offensive, il faut être capable de tenir sa ligne défensive très haut et de couvrir l’espace grâce à sa vitesse. Il le fait très bien.»
 
Passer «d’éléphant» à défenseur rapide et moderne ne se fait pas qu’avec un changement de poste. La formation d’élite de l’Ajax de Jongkind, Jonk et Cruyff applique des méthodes aussi «totales» que le football batave des années 1970. En plus de séances en petits groupes, où chaque jeune peut bénéficier d’un accompagnement personnalisé, est également entrepris de faire coacher les jeunes par des champions issus d’autres sports. «Ils apportaient une mentalité différente», précise Jongkind. Le petit De Ligt bosse donc sa vitesse et sa technique de course avec le coureur hollandais Bram Som, champion d’Europe du 800 mètres. «Avec Bram, il a beaucoup travaillé sur la rotation, comment bien se tourner et être rapide sur les premiers mètres», se souvient Wim Jonk. En dehors du terrain, il peut également compter très rapidement sur l’apport de Barry Hulshoff, ancien joueur et entraîneur de l’Ajax et ami de la famille De Ligt. Défenseur racé, jamais avare d’une bonne course offensive, il travaille avec lui les points à améliorer dans son jeu, notamment dans le domaine aérien. Un domaine dans lequel De Ligt, 189 centimètres sous le scalp, est devenu un expert : des 13 buts qu’il a – déjà – inscrits en carrière, 10 l’ont été de la tête.

Forte tête

Un avantage qu’il ne doit pas seulement à son gabarit. «Le jeu aérien, c’est une seconde nature pour lui, il veut toujours gagner le ballon, l’attaquer», explique Wim Jonk. «Il y a de magnifiques joueurs de tête qui ne dépassent pas le mètre quatre-vingt, argumente Simon Piotr. Ce qui frappe chez De Ligt, c’est son timing, sa force au duel, sa détente, sa précision à la tête.» Sans oublier un élément essentiel : la préparation de l’équipe sur les coups de pied arrêtés. «On voit des combinaisons, des mouvements qui permettent de libérer certains joueurs et d’être plus dangereux, poursuit Piotr. Ce n’est pas du tout du hasard, surtout dans une équipe comme l’Ajax avec des tireurs comme Ziyech.» En 2018-19, De Ligt a trouvé sept fois le chemin des filets - belle stat pour un défenseur central - six fois de la tête sur corner. Dont, par deux fois, en Ligue des champions, contre la Juventus en quarts (1-2, 16 avril) et Tottenham en demies (2-3, le 8 mai).
 
Deux buts qui ont participé à forger l’image de leader de Matthijs de Ligt. Pour son âge, son sang-froid lors des plus grands rendez-vous impressionne. À 20 ans, dans une équipe qui comprend pourtant des leaders techniques et des joueurs très expérimentés, c’est bien lui qui a arboré le brassard et a dirigé les troupes. Erik Ten Hag lui a confié le capitanat pour la première fois en mars 2018. De Ligt n’a alors que 18 ans et est devenu le plus jeune capitaine de l’histoire de l’Ajax. Un rôle pour lequel il n’a pourtant pas été taillé, au départ. «Au début, il n’était pas vraiment présent verbalement, admet Ruben Jongkind. Mais il a fini par développer cet aspect.» Une obligation, surtout à son poste, comme l’admettait le principal intéressé à l’Independant : «En tant que défenseur, c’est important de communiquer avec les joueurs devant et à côté de toi. Ça te facilite la tâche, et ça peut faire de grosses différences.»

«Matthijs n’était pas celui qui parlait le plus, mais c’était celui qui faisait le plus, prolonge Wim Jonk. Il me rappelle un peu Jaap Stam. Il fait passer beaucoup de choses par le langage corporel.» De Ligt n’est pas une grande gueule, mais un stakhanoviste discret. Souvent décrit comme un garçon très intelligent, parfois timide, il tire sa légitimité du travail abattu et de l’engagement. «Dès le plus jeune âge, il travaillait sur chaque détail, poursuit Jonk. Il a toujours été un joueur très professionnel, très travailleur, voulant constamment s’améliorer. C’est un exemple pour les jeunes hollandais.» Une exemplarité qui ne l’empêche pas de faire, encore, quelques erreurs de jeunesse. «Il y a peu de défauts dans son jeu, mais il a aussi une énorme confiance en lui qui peut le pousser à l’erreur», analyse Simon Piotr. Ce fût le cas, notamment, lors de sa toute première sélection avec les Pays-Bas contre la Bulgarie, en mars 2017. De Ligt a été fautif sur les deux buts encaissés par les siens (2-0) : «Pour moi, c’était une motivation supplémentaire, racontait-il, toujours à l’Independant. Je voulais montrer à tout le monde ce dont j’étais capable.» Matthijs De Ligt avait 17 ans. Il en a aujourd’hui 20 et, quand il fait une erreur, comme en demi-finale de la Ligue des Nations contre l’Angleterre (il concède un penalty), il la répare immédiatement. D’un coup de tête, évidemment.

«Il y a peu de défauts dans son jeu, mais il a aussi une énorme confiance en lui qui peut le pousser à l'erreur»

Alexandre Aflalo