(L'Equipe)

Martin Braithwaite au FC Barcelone : pour Julien Faubert, «On ne te prend pas au Barça pour laver les vestiaires»

S'il annonce pour la première fois sa retraite de joueur, Julien Faubert (36 ans) raconte les moments inoubliables de sa carrière tout en se projetant sur sa reconversion. Ancien du Real Madrid, il porte aussi son regard sur l'arrivée surprenante de Martin Braithwaite au Barça. À l'instar de la sienne au Real Madrid en 2009.

«On vous avait laissé sur une expérience en Finlande, puis en Indonésie. Vous êtes maintenant entraîneur-adjoint de la réserve de Fréjus-Saint-Raphaël. Votre carrière de joueur est terminée ?
On peut dire ça. La retraite, c'est un grand mot. Je suis dans une reconversion d'entraîneur. Je passe mes diplômes. On m'a donné l'opportunité de venir en tant que joueur. Le président a fait tous les efforts possibles. Il m'a présenté un projet super intéressant avec des ambitions. Au départ, j'étais venu en tant que joueur, avec une reconversion prévue dans mon contrat. Un remaniement a fait que je suis passé dans le staff de l'équipe première, puis dans l'équipe réserve et avec les jeunes. Il y a un gros projet de monter le club au minimum en National voire en Ligue 2, avec un projet de stade qui arrive d'ici un an et demi ou deux ans. Donc, oui, les terrains, en tant que joueur, on oublie, ça y est.

A-t-il été compliqué de dire stop ?
Pas forcément. Il y a toujours cette envie de vouloir jouer encore un petit peu, mais je pense qu'il était temps. Parfois, quand on a l'équipe en charge, on a envie de leur montrer sur le terrain ! Ça ne sert à rien de faire les années de plus... J'avais largement les capacités pour jouer ici, mais on m'a proposé quelque chose de beaucoup plus alléchant pour une deuxième vie. Il y avait un choix à faire. C'est autre chose, c'est une autre approche du football qui m'excite et qui m'intéresse énormément.

«J'ai deux clubs de coeur : Bordeaux et West Ham»

Si vous deviez nous raconter les trois meilleurs souvenirs de votre carrière, ce seraient lesquels ?
Mes débuts à Bordeaux. Mes années en Angleterre. Et bien sûr mon but en sélection.

Que gardez-vous de vos premières années bordelaises ?
Ça a été extraordinaire. C'est là où j'ai appris le football professionnel. J'ai été très bien encadré, très bien guidé, dans une atmosphère saine, ce qui est très rare dans le football. Avec un club qui, à l'époque, parce que ça a changé depuis, était très famille, avec un président extraordinaire. J'ai eu des entraîneurs et des éducateurs extraordinaires. Ils m'ont permis de jouer au meilleur niveau possible, de disputer la Ligue des champions, de toucher la sélection. J'ai deux clubs de cœur : Bordeaux et West Ham.

«À West Ham, j'ai appris à devenir un homme»

En quoi West Ham vous a autant marqué ?
Cela a été la découverte de l'étranger. J'ai appris une mentalité de gagneur : se battre sur un terrain, faire les efforts, l'esprit de groupe qui est très fort en Angleterre. J'ai joué avec des amis, pas avec des coéquipiers, ça a d'ailleurs été également le cas à Bordeaux. C'est le meilleur Championnat du monde. J'ai aussi vécu une relation avec les fans anglais qui perdure encore aujourd'hui. Quand j'ai eu le décès de maman ou des choses comme ça, j'ai reçu un soutien extraordinaire. J'ai vécu un peu tout : une descente, une montée, des matches contre des gros clubs. J'ai appris à devenir un homme.

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Il y a enfin ce but avec l'équipe de France, en amical en Bosnie, pour votre seule sélection chez les Bleus (NDLR : 2-1. Numéro 10 dans le dos, il entrait à 21 minutes de la fin à la place de Franck Ribéry et marque le but vainqueur à la 91e minute).
J'avais été très bien entouré par (David) Trezeguet, (Thierry) Henry, (Sylvain) Wiltord, (Claude) Makelele...

Vous arriviez après un "drame" puisque l'équipe de France s'était inclinée un mois plus tôt en finale de la Coupe du monde face à l'Italie...
Un petit peu... J'arrivais sur un drame. J'arrivais juste après le monstre qu'est Zizou. Mon but découlait de la semaine que j'ai passée à Clairefontaine, avec les échanges que j'ai pu avoir avec les anciens. Quand on a une certaine éducation, et surtout un respect de la carrière de ces anciens, ils te mettent tout de suite dans le bain, ils te prennent un peu sous leur aile. J'étais en chambre avec Thierry Henry, le joueur que j'ai vu en Coupe du monde étant tout gosse. Et pourtant, c'était fluide, ça passait bien. Un souvenir extraordinaire, une sensation extraordinaire du premier but. Ça a été peu de minutes mais quelque chose d'extraordinaire. La sensation d'avoir marqué pour son pays et de l'avoir fait gagner. Plein de sentiments mélangés. Mais, à la fin, quel honneur et quel bonheur.

Tout à l'heure, vous disiez que les Girondins de Bordeaux avaient changé. Ça vous touche ?
Ça me touche beaucoup. Quand tu parles de l'ancien Bordeaux, tu gardes des contacts avec tous les gens là-bas, des gens présents depuis des années, qui m'ont vu grandir, qui ont vu mes enfants grandir. Même quand j'y suis retourné après mon escapade à l'étranger, j'ai revu les mêmes visages. Ce changement me touche énormément, mais je pense qu'il est venu avec le départ de mon "père spirituel" qui était Jean-Louis Triaud. Tout est parti avec lui. J'ai appelé Bordeaux dernièrement pour avoir des places pour le match face à l'OM : je me suis rendu compte qu'il ne restait plus qu'une personne que je connaissais au club et que tout le monde était parti ou avait été licencié. C'étaient des gens aimants, qui ont toujours été là pour moi. C'est très rare dans le football. Ce qui faisait aussi la force de Bordeaux, c'était ce côté familial. Ça a perdu de son rayonnement en Ligue 1. Ils sont en pleine reconstruction, je peux le comprendre mais, pour moi, ce n'est pas le Bordeaux que j'ai connu.

«Ce qui faisait aussi la force de Bordeaux, c'était ce côté familial. Ce n'est pas le Bordeaux que j'ai connu»

Dans vos meilleurs souvenirs, vous n'avez pas cité votre passage au Real Madrid. Cela n'a pas été si fort ?
Tu m'as dit trois souvenirs. Le quatrième, c'est le Real. Comme j'ai déjà dit, les railleries me passent au-dessus. Peu de Français peuvent dire qu'ils ont touché le Real un jour. Ça a été mon cas, même si ça a été furtif et que je n'ai pas eu beaucoup de temps de jeu. J'ai appris et progressé énormément. La preuve, la saison d'après, en Angleterre, je joue avec un niveau assez élevé. Le Real, pour tout footballeur, c'est le Graal. Real, Barça, ce sont les deux plus gros clubs au monde pour moi.

«Prouver que je peux être aussi performant en tant qu'entraîneur qu'en tant que joueur»

Du coup, Julien Faubert entraîneur de Bordeaux, c'est pour quand ?
(Il sourit.) J'ai encore des diplômes à passer et mes preuves à faire. On part sur un nouveau cycle, où je reste un amateur. J'apprends aux côtés de mon meilleur ami, Khemissi Khelil. Il m'apporte énormément. Je l'ai connu il y a seize ans, il m'a suivi pendant toute ma carrière. Je suis novice, je suis un rookie. J'espère prouver ensuite que je peux être aussi performant en tant qu'entraîneur qu'en tant que joueur.

Pendant votre carrière, étiez-vous vraiment attentif au coaching de vos entraîneurs ?
J'ai toujours été attentif sur l'aspect tactique, sur les détails. Quand on joue la Ligue des champions, qu'on va en équipe de France ou qu'on touche le Real Madrid, on voit qu'il y a des détails qui font la différence. Des choses qu'on ne voit pas forcément en tant que spectateur ou en tant que joueur. J'ai ouvert mes yeux à ce moment-là. J'étais sensible à tout ça. J'ai appris de tout le monde, de chaque Championnat. Également de plusieurs adjoints : j'ai eu l'adjoint de (José) Mourinho (NDLR : à l'époque de Chelsea) à West Ham (Steve Clark) qui, tactiquement, était l'un des plus pointus. J'ai énormément appris défensivement, sur mon positionnement, l'orientation du corps. Et au Real, j'ai vraiment appris des joueurs. De Sergio Ramos, de Raùl, de Guti... Et quand tu joues Manchester United avec Cristiano Ronaldo, Nani ou Chelsea avec (Didier) Drogba, tu es obligé d'être tout le temps en alerte, tactiquement présent et intelligent. Au fur et à mesure, tu étoffes ta palette. Ce sont des choses que j'ai gardées et que je vais essayer de transmettre. Tout en apprenant d'autres coaches à droite, à gauche.

«Peu de Français peuvent dire qu'ils ont touché le Real un jour. Ça a été mon cas.»

«Braithwaite ? S'ils t'ont suivi, c'est qu'ils connaissent tes qualités»

Justement... Martin Braithwaite a rejoint le Barça à la surprise générale. Faut pas nous en vouloir, mais ça nous a fait penser à vous...
(Il sourit.) Comme je dis, les gens peuvent dire et penser ce qu'ils veulent... On parle d'entités majeures du football, de clubs ultra-organisés, ultra-pointilleux sur le recrutement ou des choses comme ça. Même si on sort de nulle part, s'ils te prennent, ils te prennent pour quelque chose, pas pour faire les bons samaritains, pour étoffer un groupe parce qu'ils ont largement les moyens de le faire différemment. S'ils te prennent, c'est qu'ils t'ont suivi, qu'ils connaissent tes qualités. Oui, les gens peuvent rire, mais beaucoup n'ont jamais touché de ballon et en rigolent. Beaucoup ont touché le ballon et en rigolent aussi soit par jalousie, soit par dédain... Je n'ai aucun souci avec ça. Je préfère en rire des critiques. Sur mon CV, il y a marqué Real Madrid, tout simplement.

Dans vos souvenirs, quelle avait été la plus grosse difficulté pour vous au Real ?
Je me suis adapté assez vite parce que j'avais eu la chance d'avoir Lassana et Mahamadou Diarra à mes côtés. Ils m'ont tout de suite mis dans le bain. J'ai eu de superbes relations avec Marcelo et Salgado. La difficulté a été la vitesse de jeu. J'ai appris à voir la solution avant de recevoir. Le jeu va tellement vite dans les petits espaces, tellement vite au sol. J'ai aussi haussé mon niveau technique, car il faut voir très vite et réussir très vite l'exécution de la passe, l'exécution du contrôle. J'ai énormément progressé là-dessus.

Son plus gros défi, c'est ça, c'est de savoir passer du 19e du Championnat au deuxième, et donc de s'adapter à cette nouvelle donne ?
Ça peut être ça. S'ils ont pu nous prendre, c'est qu'on n'était pas empruntés techniquement avec le ballon. Le Barça, encore un peu plus que le Real, est réputé pour sa capacité à conserver la balle... Pour lui, s'il joue, ça va être de s'adapter à la philosophie barcelonaise. Il y a une préparation énorme au Barça. Il devra s'adapter, surtout dans ses déplacements, pour pouvoir répondre présent et être disponible tout le temps dans un jeu en triangle par exemple.

Quels conseils auriez-vous envie de lui donner ?
Comme j'ai pu faire dans le passé : je me suis focalisé sur les choses positives. Paradoxalement, ces choses positives sont venues d'un autre pays (que le mien). De mon pays, ça a été des railleries la plupart du temps. Et de mon pays d'adoption, l'Angleterre, j'ai été soutenu, encensé parce qu'ils ont vu ce que je pouvais donner sur un terrain. J'ai eu beaucoup de messages positifs, et je ne me suis focalisé que là-dessus, en ne prêtant pas attention à ce qu'il se passait de négatif. C'est la meilleure des choses à faire. Comme j'ai dit : on ne te prend pas pour laver les vestiaires.

«La difficulté a été la vitesse de jeu. J'ai appris à voir la solution avant de recevoir. Le jeu va tellement vite dans les petits espaces, tellement vite au sol.»

«L'impatience peut être un ennemi»

Il lui faudra aussi être patient s'il ne joue pas beaucoup...
On est objectif, même si on a toujours envie de participer : là, on rentre dans un club où la concurrence est méga serrée. À part les grandes stars, il n'y a pas de titulaires indiscutables. On arrive dans un club où les blessures sont à bannir, les méformes également parce que derrière toi, il y en a deux, trois ou quatre. L'impatience peut être un ennemi, puisqu'on est dans un club où des gars de ta qualité, voire au-dessus, il y en a à tous les potes. Et tous les postes sont doublés ou triplés. Il faut être intelligent.

On vous en parle encore du Real ?
On m'en parle tout le temps, mais maintenant on m'en parle d'un point de vue positif. Ça me fait plaisir de raconter ce que j'ai pu vivre. On me pose énormément de questions de savoir comme c'est là-bas. Le vestiaire du Real lors d'un entraînement, lors d'un match, des questions sur des joueurs qui jouent encore, leur professionnalisme... On me félicite. Le Real reste le Real !»

Timothé Crépin