deaux (lucas) (S.Thomas/L'Equipe)

Lucas Deaux après les annonces d'Edouard Philippe : «C'est bien que la saison soit arrêtée jusqu'à septembre»

Devant son poste de télévision pour suivre le plan de déconfinement du gouvernement, avec l'impossibilité pour le football professionnel de reprendre avant septembre, Lucas Deaux évoque la suite. Et notamment la lourde décision que va devoir prendre la LFP pour le classement de la saison 2019-20.

«Quelle a été votre première réaction après les annonces du Premier Ministre ?
Je trouve qu'il y a des choses positives et négatives, avec beaucoup d'interrogations, surtout par rapport à l'ouverture des commerces. J'ai du mal à croire que tu vaincras l'épidémie en rouvrant des supermarchés avec une cinquantaine de boutiques dedans. Cela va forcément rassembler un grand nombre de personnes en même temps...
 
Il a été aussi dit que les centres commerciaux de plus de 40 000 m2 pourraient rester fermés sur décision d'un Préfet...
C'est au bon vouloir de chacun... Donc je trouve qu'il se dédouane un peu. C'est comme quand il dit que, pour l'école, il y aura des places en crèche, mais c'est aux gestionnaires de décider... Il devrait y avoir des prioritaires. Je pense aux gens pour qui c'est nécessaire de bosser pour leur survie ou s'ils n'ont pas d'autres choix. Mais c'est positif dans le sens où ça va être la réouverture vers une vie normale, et ça va faire du bien, surtout, à certains corps de métier pour ne pas qu'ils mettent la clé sous la porte.

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«Je veux bien qu'il y ait des enjeux mais...»

Et concernant le foot et l'impossibilité de reprendre avant septembre ?
Cela ne reprendra pas en août, mais la théorie de reprendre en septembre est encore là j'ai l'impression. Si ça reprend en septembre, ça ferait cinq mois sans foot. Je pense que ça n'arrive à personne dans une carrière, à part les mecs qui se font les croisés. Et encore, ils sont constamment en réathlétisation alors que là c'est à toi et ta conscience de t'entretenir ou pas. Après je pense que la majeure partie des joueurs voire tous les joueurs professionnels s'entretiennent, forcément. Mais quand tu vois l'échéance reculer au fur et à mesure, tu as des moments où tu peux être découragé. (Ironique) Mais bon, on ne va pas faire les majorettes.
 
Cette petite phrase de Pierre Ménès, désignant les joueurs ne souhaitant pas reprendre comme des "majorettes", vous a touché ?
Touché non, mais je trouve que c'est malvenu.
 
Il l'a lui-même dit et a regretté ses propos.
Oui. J'ai compris ce qu'il a voulu dire mais je pense que ses mots n'étaient pas appropriés à sa pensée. Chaque cas est différent. Des personnes sont beaucoup plus dans la difficulté au quotidien. Qu'il y ait épidémie ou pas, c'est pareil dans la vie de tous les jours. Ce n'est pas une question de niveau de vie, de salaires. Un milliardaire ou un smicard, tous les deux vont s'inquiéter pour leur santé, je pense que c'est normal. Mais pour revenir à la Ligue 1, je trouve que c'est bien que la saison soit arrêtée jusqu'à septembre. Cela me semble compromis pour finir la saison. En tout cas, tu sais que tu ne reprends pas l'entraînement en mai. J'ai vu beaucoup de joueurs réagir par rapport à ça, et je trouve ça normal de t'inquiéter pour ta santé. Tu ne vas pas passer non plus d'un confinement total à t'entraîner normalement pour reprendre une saison. A un moment donné, il faut être réaliste. Je veux bien qu'il y ait des enjeux mais il faut être conscient de la chose.

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-Les classements en fonction des différents scénarios

Peu de joueurs prenaient la parole sur cette possible reprise.
Quand tu es joueur, tu subis ce qu'il se passe. Un syndicat (UNFP) est là pour tenter de faire respecter nos voix. Un sondage a été envoyé à tous les joueurs. On a répondu et il a été criant de vérité : une majorité absolue ne voulait pas reprendre tout de suite. Tout le monde a compris que c'était une question de santé. C'est primordial. Tu penses sincèrement qu'un mec comme le petit gamin de Montpellier (NDLR : Junior Sambia), qui a été sous assistance respiratoire, pense à reprendre le foot ? Sa famille et lui ne pensaient qu'à un truc : qu'il s'en sorte. Tu imagines ? Je me mets à la place d'un club comme Montpellier : tu as eu un mec de ton équipe sous assistance respiratoire courant avril et dans ta tête tu reprends en mai. Dans quelles conditions ? Honnêtement, si les clubs s'y retrouvaient économiquement, ils ne feraient pas des pieds et des mains pour reprendre, c'est obligatoire. Mais il ne faut pas que le business prenne le dessus sur la santé. C'est une question d'être logique. Cela peut toucher tout le monde, de tout âge, de tout milieu social, de n'importe quel continent. Ne pas reprendre en mai est une décision complètement juste. Moi, ça me fait chier dans le sens où physiquement, c'est chaud.
 
Imaginons que la LFP décide de l'arrêt définitif : quelle décision serait la meilleure pour le classement final ?
Je n'ai pas envie de prendre parti. Quand tu dis un truc, tu vois ton cas personnel. Il n'y a pas de meilleure solution. Il y a forcément des clubs qui seront lésés et d'autres avantagés. Je ne sais pas ce qu'il va se décider, mais il n'y a pas de mieux... Le seul truc que je n'espère pas, c'est qu'ils arrêtent le classement à la fin de la 19e journée. Premièrement, on était avant-derniers, ça voudrait dire qu'on descend. Et deuxièmement, je trouve que ce n'est pas représentatif du classement réel. Plus tu as de journées, plus c'est représentatif de la valeur des équipes. Sur la phase retour, on est quand même cinquièmes. Ce serait rageant d'avoir fait tous ces efforts. Il y aura forcément des conséquences quand tu t'arrêtes aussi longtemps...

«Ne pas reprendre en mai est une décision complètement juste.»

«C'est un bordel monstre»

Comment imaginez-vous cette prise de décision au sein de la LFP ? Cela s'annonce tendu...
C'est aussi pour ça qu'ils sont élus ! Un mec qui se présente pour être président de la République se doute bien qu'il n'aura pas les mêmes responsabilités qu'un gérant de station service ou un directeur d'école. Il faut donc être en capacité d'assumer ces responsabilités. Ce n'est pas facile... Il y a les intérêts de toutes les équipes, économiquement, sportivement. Un club comme Rennes, ça peut être l'occasion pour lui de disputer un tour préliminaire de Ligue des champions. Après, tu as l'attribution des coupes européennes. Est-ce que tu mets le cinquième et le sixième qualifiés en Ligue Europa ? Je crois que Reims peut être qualifié (NDLR : C'est le cas si on arrête le classement après 28 journées). Moi, venant de Reims, ce serait énorme (Il sourit.). C'est encore flou ! J'espère qu'il y aura rapidement une réunion pour préciser. Il y a beaucoup de questions. Si tu colles les saisons, tu fais comment pour le mercato ? Les fins de contrats, tu peux avoir une dérogation, mais un club en Ligue 2 qui monte en Ligue 1 doit forcément recruter ! Les mecs vont faire comment ? C'est un bordel monstre.
 
Pour finir : et maintenant ?
Bah... Je ne sais pas. C'est ce que nous a dit le coach : vous avez intérêt à vous entretenir et à faire bien les choses parce que tu peux aller vers de grandes désillusions. Quand tu as des ambitions, il faut que tu fasses tout pour qu'elles se réalisent. Mais c'est l'inconnu pour tout le monde... Tu as plus d'informations, mais, en même temps, tu as le cul entre deux chaises. Il y a les annonces du gouvernement, mais j'ai hâte de savoir ce que la LFP va décider et savoir à quelle sauce on va être mangé. Et en fonction de ça, tu pourras t'adapter à ton travail. Mais, quoi qu'il arrive, quand tu reprendras, tu ne seras pas à ton niveau physique. Mais il ne faut pas que tu reprennes en faisait 140 kg parce que là, ça va être compliqué.»

Timothé Crépin