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Lorik Cana : «Pape Diouf, le sage de cette grande famille»

Il est arrivé à l'OM en 2005, quelques semaines après la prise de fonction de Pape Diouf, et a quitté la Provence quelques jours après le départ de son ancien président, en 2009. C'est dire si Lorik Cana a tissé une relation fraternelle avec Pape Diouf. Il raconte.

«C'est une nouvelle assez triste pour tout le monde, encore plus pour ceux qui l'ont connu pendant des années. On avait gardé un peu contact avec Pape. Je l'avais de temps en temps par message ou par téléphone. La dernière fois que je l'ai eu, c'était il y a quelques mois. Il voulait savoir quels étaient mes projets pour le futur. On l'avait eu en interview pour un film-documentaire. On s'était retrouvés à Marseille. Je savais qu'il passait plus de temps au Sénégal en hiver. Comme cela faisait plusieurs mois que je ne l'avais pas eu, c'est une nouvelle qui est arrivée un peu de nul part.

«Pape, à l'intérieur, c'était un volcan»

On se remémore toutes ces années. On a fait un chemin en commun à l'OM. Il est arrivé en 2004, mais il est devenu président en 2005. Moi, je suis arrivé en 2005. On a presque commencé ensemble. Il a tout de suite mis sa patte en tant que président. J'ai fait partie de cette première vague de joueurs qui sont arrivés en même temps, avec Mamadou Niang, Franck Ribéry, Wilson Oruma, Mickaël Pagis, Sabri Lamouchi... Une génération qui a un petit peu marqué les supporters marseillais. Ils s'y retrouvaient vraiment dans l'état d'esprit de ce qu'ils voyaient. Ce qui a donné de très grands résultats.

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«Il essayait de gérer les aspects sportifs, économiques, mais aussi émotionnels qui, à Marseille, sont très importants»

Pape a été l'un de mes premiers interlocuteurs. Quand j'ai décidé de quitter Paris en 2005, c'était seulement pour aller à Marseille. À ce moment-là, Christian Larièpe m'avait présenté à Pape Diouf. Je lui ai dit : "Dis à Pape que s'ils me veulent, je suis prêt à venir, j'ai envie de venir à Marseille." Derrière, à l'image de Pape, sans jamais paniquer, sans jamais vraiment se précipiter et faire en sorte que ses émotions prennent le dessus, et Dieu sait que, à l'intérieur, Pape, c'était un volcan, il a toujours géré ces choses-là avec la tête froide et une expérience d'une personne très sage, qui arrivait souvent à atteindre son but. Il était comme le sage de cette grande famille, qui essayait de gérer les aspects sportifs, économiques, mais aussi émotionnels qui, à Marseille, sont très importants. Ça m'a permis de pouvoir réaliser mon souhait d'aller à Marseille. J'avais parlé une fois avec Pape avant le transfert. Je lui avais tout simplement dit que je ferai mon maximum pour venir. Il savait très bien que j'étais un peu le profil, le caractère qui allait avoir un grand impact sur Marseille. Il n'a jamais eu peur du fait que je vienne de Paris. Il était quasiment sûr que c'était une chose bonne pour le club, d'abord, et pour ma carrière. Ça s'est concrétisé.

Lorik Cana a tissé une relation forte avec son président. (LAHALLE/L'Equipe)

«Il n'a jamais essayé de profiter d'une situation»

Dur en négociation ? Il était habitué depuis de nombreuses années à négocier dans le monde du football. Quand j'ai dû négocier mon premier contrat, il m'a dit : "Voilà le contrat, voilà ce qu'on peut te donner." J'ai tout de suite accepté parce que le plus important pour moi était d'aller à l'OM. Mais quand on a renégocié ce contrat, il venait et il te disait dans les yeux : "Ça, c'est ce qu'on peut faire, ça c'est l'importance que tu as dans le club, etc...", il avait une facilité à trouver une entente. Il n'a jamais essayé de profiter d'une situation. Et il n'y avait aucune raison de douter de Pape. Il a été extrêmement bon de savoir s'entourer de gens qui permettaient de compléter les choses que lui ne savait pas dans le club. Il n'allait jamais dans des arguments dans lesquels il savait qu'il n'avait pas assez d'informations.

«Pendant quatre ans, on a eu un chemin riche ensemble, mais surtout riche de relations et de valeurs humaines»

Dans une carrière de footballeur, on rencontre des centaines de coéquipiers, on passe par plusieurs clubs, avec plusieurs dirigeants et présidents. C'est très rare d'être vraiment lié à quelqu'un. On a souvent des rapports très professionnels, des rapports d'amitié, mais Pape, que ce soit pour moi et d'autres joueurs je pense, nous a vraiment marqué en étant quelqu'un qui a réussi à tendre des liens qui vont au-delà de l'aspect professionnel, qui sont vraiment des liens forts d'amitié, surtout pour les joueurs qui l'ont côtoyé pendant plusieurs années. On avait gardé un extraordinaire souvenir et une amitié avec Pape. Il avait créé un lien avec ma famille, avec mes parents, mon papa, ma soeur... Pendant quatre ans, on a eu un chemin riche ensemble, mais surtout riche de relations et de valeurs humaines. On était tous très attachés à lui. Les gens du club et les joueurs ont tous été marqués par Pape.

«Il savait taper du poing sur la table»

En quatre ans, on se fréquentait souvent. Pape était un président présent, même s'il ne venait pas tous les jours à l'entraînement. Il communiquait énormément. Il n'avait pas besoin d'être toujours présent pour passer les messages qu'il avait à passer. Il savait taper du poing sur la table. Il nous a réuni plusieurs fois dans le vestiaire quand les choses allaient bien, pour ne pas qu'on se laisse distraire, mais aussi moins bien. Il avait un grand impact. Quand il parlait, il avait l'attention de tout le monde. Il arrivait à faire en sorte que tout le monde soit conscient de l'importance de revêtir le maillot de l'OM et de représenter les Marseillais. On est des professionnels, on joue pour notre club, on est des gagnants, et ce qui a été sa grande force, ça a été de faire comprendre qu'on avait une responsabilité en plus : celle de jouer à Marseille. Il a été très bon pour le faire. Je me souviens de moments où il y avait la pression du résultat, mais aussi des tensions avec des supporters, des choses qui sortaient dans les médias avant la présidence de Pape. Il a toujours été un tampon, un fusible, qui permettait au club, aux joueurs, aux gens de l'administration, de pouvoir s'exprimer de la meilleure manière pour que le club aille de l'avant et grandisse. Ça nous a énormément aidé.

Son mode de communication était très particulier. En interne, il avait le bâton et la carotte. De temps en temps très dur, avec toujours un français plus que correct, assez riche, mais sans jamais perdre les joueurs, plus pour leur faire prendre conscience qu'il faut être bien préparé dans la vie. Son français était une manière de dire : "Moi, dans mon métier, je me suis préparé au maximum et j'essaie de mettre tous mes outils à disposition." Comme pour dire qu'il savait se défendre. Mais, derrière, il savait aussi mettre un coup de pression. Un mode de fonctionnement qui a très bien marché.

L'épisode des minots en 2006, je me souviens de ces interdictions de déplacements. C'était vécu assez durement par les supporters de l'OM qui attendaient avec impatience d'aller supporter leur club à Paris. Pape avait l'unanimité au niveau du club, des supporters, mais pas au niveau des joueurs. La plupart voulait jouer, on était dans la course à la Ligue des champions. On ne voulait pas perdre nos chances et on voulait aller récupérer la victoire à Paris. À partir du moment où on s'est assis et que Pape nous a montré ses arguments, il était très dur dans ses positions, et il a tout de suite su trouver les mots pour convaincre le groupe. Comme beaucoup de fois, il a eu raison, et le groupe en est sorti encore plus costaud.

«On a tous perdu un très grand homme»

Il a été quelqu'un qui a été un lien entre le continent africain et la France. Un vrai Marseillais convaincu de coeur. Une personne très préparée, qui a eu beaucoup de succès dans la plupart des choses qu'il a réalisées. Mais surtout un homme qui donnait une très grande valeur aux relations humaines. Je me souviens de tous ces moments d'avant et d'après-match où ils s'embrassaient avec mon papa, que ce soit après des victoires ou des défaites, ils rigolaient souvent entre eux. On est tous très tristes de sa perte. La chose qui est aussi dure, c'est de ne pas pouvoir l'accompagner, de le saluer. On espère d'abord que les choses reviennent à la normale et qu'on puisse, ensuite, que ce soient nous, les joueurs, le club ou tous les Marseillais de pouvoir le saluer et dire à sa famille qu'on a tous perdu un très grand homme.»
 
Timothé Crépin