Toni Kroos of Real Madrid celebrates the goal during the Santander League (La Liga) match played at Santiago Bernabeu Stadium, Madrid, Spain, between Real Madrid and Real Sociedad, Feb 10th 2018. Photo: Oscar J. Barroso / AFP7 Cordon Press *** Local Caption *** (Oscar J. Barroso/AFP7/CORDON/P/PRESSE SPORTS)

Ligue des champions : Toni Kroos (Real Madrid) raconté par ceux qui ont essayé de lui prendre le ballon

Parmi les passeurs les plus efficaces d'Europe, Toni Kroos est un maître dans l'art de l'orientation du jeu et de la conservation du ballon. Pour FF, ceux qui ont tenté de perturber la mécanique du milieu allemand du Real Madrid racontent la difficulté technique, physique et psychologique de cette tâche.

Il paraît que les chiffres ne mentent pas. Si, dans certains cas, ils peuvent tout de même travestir une partie de la vérité, dans celui de Toni Kroos, ils sont plutôt fidèles à la réalité du terrain. Cela fait cinq ans, maintenant, que le milieu de terrain allemand n'a pas bouclé une saison sous la barre des 90% de passes réussies. Depuis le début de l'exercice 2017-2018, Championnat et Ligue des champions confondus, il faut patienter 241 minutes en moyenne pour voir le numéro 8 merengue dépossédé du ballon par un adversaire. Soit près de trois matches entiers !

Bref, se retrouver au marquage du joueur le plus classe de sa génération peut vite ressembler à un calvaire. «Ça m'a toujours fatigué, confirme Stéphane Mbia dans un sourire. Quand tu te prépares à l'affronter, tu sais que tu vas galérer, parce qu'il est très, très fort techniquement et que sa gestuelle est impressionnante. Pendant le match, à force d'aller au pressing sur lui sans succès, il y a des moments où tu te dis : "Putain, c'est chiant..." C'est psychologique, d'autant que toutes les actions passent par lui. Tu es tenté de rester à ton poste et attendre, mais si tu lâches l'affaire, si tu craques, c'est fatal

Passes courtes, passes longues, petits crochets, jeu en triangle : à vrai dire, ce qui est si compliqué à appréhender pour un adversaire dans le jeu de Toni Kroos, c'est sa... simplicité. «Ce style épuré et efficace le rend très particulier», reprend Mbia, qui a croisé l'Allemand avec l'OM, le FC Séville et la sélection camerounaise. «Ce n'est pas un joueur d'impact, de rupture, de longues courses ou de vitesse, ni quelqu'un de très tonique, détaillait Omar Da Fonseca en décembre 2014 dans France Football. En revanche, c'est lui qui donne le tempo, oriente et gère la zone de construction, assure le lien entre défenseurs et attaquants. Tu lui donnes la balle et il sait toujours ce qu'il faut en faire et quelle surface de pied utiliser

«Même si tu es dans le bon tempo, il a toujours un temps d'avance».

«On ne va jamais le voir faire un passement de jambes, une accélération, un crochet derrière la jambe d'appui et un centre en bout de course. Par contre, tout ce qu'il va faire, ce sera bien fait, confirme Mehdi Lacen, milieu de terrain de Malaga, également passé par Getafe. Je ne le vois pas forcément exceller dans un secteur précis, mais c'est du 9 sur 10 dans tous les domaines ! Il joue simple, juste, alors que Modric ou Kovacic vont plus conduire le ballon. Donc c'est plus difficile d'aller lui prendre dans les pieds.» D'autant que le joueur de vingt-huit ans a un autre atout de poids : «Sa vision du jeu ! Quand tu sors au pressing sur lui, il a déjà vu s'il faut remettre le ballon en une touche, s'il a une solution sur le côté... Il sait jouer court, long, entre les lignes... Presser un joueur comme ça, c'est très compliqué ! Si tu as un dixième de seconde de retard, c'est mort, et même si tu es dans le bon tempo, il a toujours un temps d'avance...»

Mbia : «Il peut t'éliminer juste avec sa prise de balle»

À tel point qu'à l'automne 2016, avant d'affronter l'Allemagne, le sélectionneur de la République tchèque Karel Jarolim résumait la «lecture de jeu sensationnelle» de Toni Kroos en ces termes : «On a l'impression qu'il joue avec un GPS dans le cerveau.» Et pas le modèle d'entrée de gamme, hein, plutôt la version dernier cri avec analyse du trafic en temps réel. «Il a l'intuition du bon déplacement, il domine toujours le ballon et il ne montre jamais aucun signe de nervosité», décrivait il y a quelques années son ancien coach au Bayer Leverkusen puis au Bayern Munich, un certain Jupp Heynckes.

«Le plus impressionnant chez lui, c'est peut-être sa capacité à t'éliminer juste avec sa prise de balle, note Stéphane Mbia. Son premier contrôle peut suffire à le mettre en situation idéale. Il a un niveau intellectuel très élevé et un sens tactique très développé. Son corps est toujours bien orienté, ça lui permet d'avoir du temps pour réfléchir et diriger le jeu comme il le souhaite. Ensuite, il peut déclencher une action en une fraction de seconde.» Mehdi Lacen confirme : «Il est toujours positionné de façon à pouvoir jouer vers l'avant en une touche. Il couvre parfaitement son ballon, il est malin... Et puis il est toujours posé, il met de l'ordre dans le jeu du Real. Ça peut partir dans tous les sens autour, lui ne perd jamais le fil du match. Toujours sérieux

La «baston» comme unique solution ?

Comment faire, alors, pour stopper un tel régulateur ? Ou au moins limiter son influence ? L'équipe d'Espagne a donné quelques indices le mois dernier à l'occasion d'un match amical face à l'Allemagne (1-1). Pressée de tous les côtés, dominée, parfois noyée dans l'intensité, la Nationalmannschaft n'a jamais vraiment pu dicter son rythme. Son maître à jouer non plus. «Il n'aime pas la baston, il faut jouer physique avec lui, approuve Mbia. Si tu lui mets un taquet, ça ne lui plaît pas, il se plaint à l'arbitre, lève les bras... Il n'aime pas le contact, et son jeu lui permet de l'éviter. À Séville, les consignes d'Unai Emery étaient claires : s'il était dans ma zone, je devais absolument le maintenir dos au jeu pour qu'il soit un maximum en difficulté

«Quand tu arrives à mettre de l'impact physique, tu peux le gêner, même s'il n'a pas peur du duel. Tu peux arriver à gratter un ballon comme ça, mais bon, ça ne l'empêchera pas d'y retourner dès l'action suivante, nuance Mehdi Lacen. Il faut le surveiller, rester proche de lui, l'empêcher de réfléchir. Sauf qu'en un crochet, il peut sortir du pressing ! Il est tellement complet...» En stats, ça donne 23 dribbles réussis sur 30 tentés cette saison, soit 76,7% de réussite. Aucun de ses partenaires offensifs n'affiche un ratio aussi élevé. Quand il est question de Toni Kroos, non, les chiffres ne mentent pas.

Cédric Chapuis