thiago silva (R. Martin/L'Equipe)

Ligue des champions : la fragilité de Thiago Silva, mythe ou réalité ?

Ultra-dominant en Ligue 1, le Paris Saint-Germain attend avec impatience le duel face au Real Madrid, en huitièmes de finale de la Ligue des champions, pour imposer son statut. Son capitaine Thiago Silva aussi. Critiqué, moqué depuis la Coupe du monde 2014 et le désastre du Camp Nou, le défenseur brésilien a du mal à se défaire de sa réputation. Au-delà des clichés, est-elle justifiée ?

«J'ai toujours respecté les footballeurs brésiliens. Citez-moi un joueur brésilien qui ne brille pas dans les grands matches. Ils sont nés pour les grandes occasions.» On ne sait pas si Thiago Silva a lu la biographie de Sir Alex Ferguson, mais si c'est le cas, la théorie de l'ancien manager de Manchester United a dû lui faire chaud au cœur. Car l'opinion publique, en France comme au Brésil, n'a pas exactement la même vision quand il est question du capitaine parisien. À l'heure d'aborder un double rendez-vous capital face au Real Madrid, les clichés plus ou moins justifiés autour du défenseur brésilien ont ressurgi sans surprise. ''O Monstro'' et sa supposée fragilité mentale, la rengaine date désormais de plusieurs saisons.

À la recherche du dernier carré

Mais d'où vient donc cette réputation ? Il y a quelques chiffres, déjà, dont le plus cruel de tous pour celui qui a longtemps été présenté comme le meilleur défenseur du monde : à trente-trois ans, Thiago Silva est toujours à la recherche de sa première apparition en demi-finales d'une très grande compétition, Ligue des champions, Coupe du monde et Copa America confondues. Il y a aussi, pour nourrir ses détracteurs, ces six matches (sur vingt-six) de phase finale de C1 non disputés (ou non terminés) en raison de diverses pépins physiques ces neuf dernières saisons.

Lire aussi : la fiche de Thiago Silva

Il y a l'impression visuelle, aussi, laissée à Barcelone l'an passé. Trois semaines après le récital collectif (et personnel de son suppléant Presnel Kimpembe) au Parc des Princes (4-0), le capitaine a incarné le naufrage parisien au Camp Nou (1-6), incapable de faire remonter son bloc, invitant même ses partenaires à rester bas, contrairement aux consignes de son coach. Il n'en fallait pas plus pour jeter aux oubliettes son impressionnante solidité face à ces mêmes Blaugranas en 2013 (quarts de finale, 2-2, 1-1), sa prestation héroïque à Stamford Bridge en 2015 (huitièmes de finale, 2-2 a.p.) ou le fait qu'il ait été le seul Parisien à répondre présent contre Manchester City en 2016 (quarts de finale, 2-2, 0-1).

«Franchement, les critiques à son égard sont dures, plaide son compatriote de l'OGC Nice, Dante. Il a été le coupable désigné, parce qu'on attend toujours que les grands joueurs fassent des choses merveilleuses dans ce genre de rendez-vous. Mais ce n'était pas sa faute, les réactions ont été disproportionnées.» Ceci dit, l'effritement du statut de Thiago Silva dans l'imaginaire collectif ne date pas du 8 mars 2016. Ce qui a tout changé, évidemment, c'est la Coupe du monde 2014 à domicile. Alors que certains esprits simplistes ont tendance à oublier qu'il n'était pas sur le terrain lors du légendaire 7-1 concédé par le Brésil face à l'Allemagne, le point de rupture a été atteint plus tôt, en huitièmes de finale.

Dante : «Il n'a pas abandonné le navire !»

Ce jour-là, le peuple brésilien a vu son capitaine, en larmes, rester à l'écart de ses partenaires lors de la séance de tirs au but face au Chili (1-1, 3-2 t.à.b). Et assumer publiquement sa volonté d'être désigné dernier tireur de la Seleçao. «Nous, joueurs, on avait vécu ça normalement, affirme Dante, un des vingt-trois membres de la Seleçao. Il n'a pas abandonné le navire ! C'est quelqu'un de disponible, mais aussi de réservé, donc il a estimé que c'était la meilleure façon de se concentrer. Il ne cache jamais ses émotions, il est comme ça, c'est même une force. Il est à coeur ouvert, tout le temps.»

(S. Boue/L'Equipe)

Peu importe, le Brésil en profite pour en faire, une fois la compétition achevée, le coupable idéal. Un capitaine illégitime, un leader de pacotille. Vraiment ? Pourtant, quelques semaines plus tôt, le légendaire Carlos Alberto Parreira, champion du monde à la tête de la Seleçao en 1994, présentait ainsi Thiago Silva dans France Football : «C'est le capitaine parfait, un joueur merveilleux, un être humain magnifique. Un capitaine s'impose par son charisme, la confiance qu'il dégage. L'Argentine a son monstre avec Messi, nous avons le nôtre avec Thiago Silva.»

En vérité, hormis la déception légitime de certaines anciennes gloires auriverde au sortir du Mondial, il est compliqué de trouver trace d'une critique émanant d'un grand joueur ou d'un grand entraîneur envers le natif de Rio. À l'inverse, les louanges sont légion. En vrac, Marcello Lippi («c'est une défense à lui seul»), Zlatan Ibrahimovic («un assemblage de Thuram, Cannavaro, Piqué et Puyol»), Matthias Sammer («Avoir un tel monstre comme partenaire apporte beaucoup de sécurité») ou Paolo Maldini («C'est le seul défenseur au monde qui peut changer l'issue d'un match») y sont allés de leur ôde à Thiago Silva.

Les éloges de Lippi, Ibrahimovic, Sammer, Maldini...

«Je l'ai côtoyé durant trois saisons, et je n'ai rien de négatif à dire, ni sur le joueur, ni sur l'homme, nous confirme Flavio Roma, partenaire du ''Monstre'' entre 2009 et 2012 à l'AC Milan. Je peux vous dire que c'est quelqu'un de très fort. Sur le terrain, bien sûr, mais aussi dans le vestiaire. Il était encore jeune, mais c'était déjà un leader, il faisait sentir sa présence. Et peu importe si on jouait un petit club italien ou la Juve, l'Inter, un match de Ligue des champions : on pouvait compter sur lui.»

À Milan, les voisins de vestiaire de Thiago Silva se nommaient Alessandro Nesta, Paolo Maldini, Andrea Pirlo, Clarence Seedorf... S'y imposer et y faire l'unanimité ne paraît a priori pas à la portée d'un homme mentalement friable. À son arrivée à Paris à l'été 2012, son leadership a en revanche dû évoluer par la force des choses, au sein d'un effectif beaucoup moins mature. Sans filtre, le numéro 2 du PSG n'hésite jamais à dire ce qu'il pense à chaud à ses coéquipiers moins aguerris. Quitte à les froisser, voire même à attiser une certaine jalousie, cultivée par le pouvoir renforcé des Brésiliens au sein du vestiaire, ou par sa proximité avec le président Nasser Al-Khelaïfi.

Lire aussi : Thiago Motta : «On peut gagner sans être amis»

La sortie d'Adrien Rabiot à son sujet, le week-end dernier, dans le Magazine L'Equipe, n'est d'ailleurs pas forcément anodine : «Thiago Silva s'énerve parfois. Quand ça ne s'est pas passé comme il aurait fallu, il peut vite monter dans les tours. (...) Certains joueurs ont besoin d'ondes positives, et pas forcément qu'on leur gueule dessus.» «C'est un gars qui ne parle pas tout le temps, mais toujours au bon moment et avec des mots justes, contredit Dante. C'est un très bon leader. Il sait comment et à qui parler pour ne pas déstabiliser l'équipe. Selon moi, il transmet une grosse sérénité à son équipe.» Comme un professeur de lycée avec quelques élèves pas toujours à l'écoute, qui ont tendance à se contenter du minimum, Thiago Silva se heurte parfois à un mur.

(P. Lahalle/L'Equipe)

«Sur le terrain, c'est un peu plus compliqué parce qu'il me parle beaucoup, lâchait il y a un an Layvin Kurzawa au micro de Canal +. Lorsque je joue avec Kimpembe, je me sens un peu plus libre. Je n'ai plus dix-huit ans, je sais ce que je dois faire.» «Les mecs qui parlent dans le vestiaire, qui sont parfois durs, peuvent être critiqués par certains coéquipiers, explique Flavio Roma. Mais je ne l'ai jamais entendu dire quelque chose de méchant, ou émettre une critique gratuite.» «Il replace les joueurs, les remotive, c'est sa façon d'être et je le trouve très juste dans tout ce qu'il fait, ajoute Dante. Un gars avec une telle expérience, s'il ne parlait pas, en tant que partenaire ça m'énerverait ! Parce que ça voudrait dire qu'il n'apporterait pas tout ce qu'il pourrait, il ne partagerait pas son vécu.»

À Paris comme au Brésil, on l'a compris, Thiago Silva ne fait plus l'unanimité depuis un certain temps. La fera-t-il à nouveau un jour ? L'heure tourne pour un joueur qui fêtera ses trente-quatre ans à l'automne prochain. Mais celui qui n'a pas franchement digéré les critiques post-2014 («D'une certaine manière, ils ont essayé de me faire abandonner le football», déclarait-il dimanche dans les colonnes de Folha de Sao Paulo) a l'occasion, avec ce duel face au Real puis la Coupe du monde en Russie, de (re)mettre tout le monde d'accord. Une ultime occasion, sans doute.

«Cette réputation lui a fait du mal. Ça ferait du mal à tout le monde d'ailleurs. Parce qu'à l'approche des gros matches, il ne montre jamais de nervosité, assure Dante. Il est tranquille. Sa réponse, il l'apporte sur le terrain. Malgré l'image faussée que les gens cultivent, il a gardé sa sérénité, sa façon d'être. C'est frustrant de ne pas avoir une vraie reconnaissance quand tu es bon, et d'être le fautif désigné lorsque ton équipe échoue collectivement. Mais je ne m'inquiète pas pour le bonhomme, il va répondre présent...» Dans le cas contraire, il pourra toujours se consoler en lisant l'autobiographie de Sir Alex Ferguson.

Cédric Chapuis