(l-r) Ajax goalkeeper Andre Onana, Victor Osimhen of Lille OSC during the UEFA Champions League group H match between Ajax Amsterdam and Lille OSC at the Johan Cruijff Arena on September 17, 2019 in Amsterdam, The Netherlands (Maurice van Steen/ANP SPORT/PR/PRESSE SPORTS)

Le face-à-face, par les gardiens et les buteurs nouvelle génération

En interrogeant quatre spécialistes de l'exercice, FF a tenté de comprendre ce qui se jouait lors d'un duel entre un gardien et un attaquant. Et comment derniers remparts et buteurs tentaient de se préparer au mieux pour ne pas trembler lors de ces instants fatidiques.

Mestalla est chauffé à blanc. On joue la 24e minute d'un match capital pour la survie du LOSC dans la plus prestigieuse des compétitions. Mis sur orbite à la suite d'un bon pressing de Benjamin André, Victor Osimhen s'en va défier Jasper Cillessen, le portier valencian. L'enjeu ? Une ouverture du score précoce qui placerait les siens en posture idéale à l'entame du money time de la phase de groupes. En face, le gardien néerlandais sort à hauteur de son point de pénalty et déploie son corps du mieux possible pour empêcher l'avant-centre des Dogues de faire trembler ses filets. La suite, c'est le numéro 9 qui la raconte le mieux. «J'ai vu qu'il faisait comme tous ces gardiens qui essayent d'agrandir leur corps au maximum pour prendre le plus de place possible, indique l'international nigérian. J'ai donc tout de suite pensé à lui glisser le ballon entre ses jambes. Ça me paraissait être la meilleure option, à ce moment-là.» Instinct ou travail ? Après s'être timidement confié sur un sentiment général, celui d'avoir grandi avec le sens du but, celui qui devrait affoler les compteurs lors du prochain mercato opte pour un 50/50. «À partir du moment où marquer des buts est mon travail, j'essaye de mettre en place le week-end ce que je travaille toute la semaine et ce depuis petit. Donc je dirais les deux car plus tu travailles dur à l'entraînement, plus tu sauras faire preuve d'instinct lors des matches.»

Confiance et visualisation

Même son de cloche chez l'un des derniers remparts du Championnat à avoir fait les frais du sang froid de Super Victor cette saison. Pour le Brestois Gautier Larsonneur, «l'instinct du gardien ou de l'attaquant compte, mais tout le reste vient à force d'affronter les différentes situations lors des petits jeux d'entraînement ou en match».

«Vous ne devez pas avoir peur de tenter ce que vous feriez à l'entraînement ou sur Playstation»

Il n'y aurait donc pas de secret ? Alexander Isak, qui en était à quatorze réalisations avec la Real Sociedad avant que le Covid-19 ne contraigne les décideurs à appuyer sur le bouton pause, n'est pas si catégorique. «La clé, c'est la confiance, lance d'emblée le longiligne suédois. Vous ne devez pas avoir peur de tenter ce que vous feriez à l'entraînement ou sur Playstation.» Problème, si la confiance est souvent à l'origine des meilleures performances, celle-ci dépend grandement des... performances elles-même. Comment enclencher alors un cercle vertueux ? Comment retrouver des repères lorsque le fameux but après lequel vous courez semble vous fuir ? Tous deux adeptes de la visualisation - capacité mentale à se représenter une situation, une émotion ou une sensation - Osimhen et Isak s'accordent également sur un autre point : la vidéo peut vous permettre de prendre un ascendant sur les gardiens que vous vous apprêtez à défier.

Alexander Isak célébrant l'une de ses quatorze réalisations de la saison (Real Sociedad)

Échanges, briefings vidéo et intuition

«Avant les rencontres, je discute beaucoup avec Mike (Maignan), les autres gardiens et leur entraîneur, confie le Super Eagle. Parfois ce sont d'ailleurs eux qui viennent me voir pour me parler de tel ou tel point faible d'un gardien adverse. Les buts ne sont pas qu'une affaire de talent mais dépendent au contraire d'un processus global dont ce travail en amont fait partie.» Au centre d'entraînement de Zubieta, le numéro 19 de la Real Sociedad reçoit également chaque semaine des briefings complets sur celui qu'il projette de transformer en victime une fois le week-end arrivé. Malheureusement pour nos deux avant-centres, les goals ne sont pas en reste dans le domaine. Si Larsonneur confie s'être un peu détaché de l'outil vidéo à mesure que les attaquants rencontrés se sont mis à savoir à peu près tout faire, Unai Simón, le gardien de l'Athletic Bilbao, avoue ne pas pouvoir s'en passer.

«Impossible de deviner parfaitement l'intention de l'attaquant, l'intuition joue un rôle important» 

«Les montages (vidéo) sont un élément fondamental de l'entraînement, vous analysez votre futur rival et vous pouvez vous faire une idée de ce à quoi vous attendre, annonce l'international Espoirs espagnol. D'où ma première réponse au sujet de l'intuition...» Lorsque nous l'avons interrogé sur ce qui faisait la différence au très haut niveau pour ouvrir la discussion, les premiers mots du Basque n'ont pas mis longtemps à recouper ceux de son confrère finistérien : «Il est impossible de deviner parfaitement l'intention de l'attaquant, donc je dirais que l'intuition et les réflexes sont les deux choses les plus importantes. Et ce qu'il y a de bien c'est que les deux peuvent être stimulés.»

Course à l'armement

En répétant les séances de tirs au but façon hockey sur glace ? Pas vraiment. «Ça se travaille plus lors des jeux réduits ou des un contre un, des deux contre deux, indique Larsonneur, auteur d'une solide première saison dans l'élite. On ne fait pas de spécifique un contre un à proprement dit, ce ne serait pas la meilleure façon de bosser. Tu travailles ça de manière indirecte. C'est là que tu éprouves tes techniques.» Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Au fur et à mesure de sa formation, Simón s'est par exemple vu imposer des séances au cours desquelles il n'ouvrait les yeux que quelques secondes avant que le ballon ne quitte les pieds de son entraîneur attitré. Plus généralement, celui qui garde la cage des U21 espagnols a également appris à se faire encore plus grand qu'il ne l'est réellement. La fameuse technique empruntée à l'école allemande après que Manuel Neuer - rapidement imité par Marc André ter Stegen et bien d'autres - a ébloui l'Europe en donnant l'impression de singer les gardiens de handball.

À l'image de Larsonneur, les gardiens modernes déploient leur corps du mieux possible (F.Faugere/L'Equipe)

Celle-là même que Cillessen a opposé à Osimhen sans succès, en novembre dernier. Car les attaquants se sont adaptés à cette nouvelle donne : «petit pont» ou ballon piqué, tout est bon pour inverser le rapport de force. Pour les deux camps, l'objectif est d'élargir sa palette pour devenir le moins lisible possible et pouvoir parer à toute éventualité au moment où il s'agit de ne pas trembler. Tantôt en empruntant chez les collègues, tantôt en puisant de l'inspiration chez d'anciennes gloires. Isak avoue par exemple avoir beaucoup observé l'icône suédoise Zlatan Ibrahimovic en grandissant, mais également Thierry Henry ou Didier Drogba concernant la finition pure et dure.

Stoïcisme

Hasard du casting, l'Ivoirien est également l'idole absolue d'Osimhen. Mais si ses yeux brillent au moment d'évoquer les frappes de l'ancien attaquant des Blues et de l'OM, le Lillois confie en outre s'abreuver des "highlights" de ses contemporains (Robert Lewandowski, notamment), «parce que vous pouvez toujours récolter des petites choses par ci par là pour gagner en efficacité». Plus globalement, les deux buteurs se rejoignent sur un nouveau point : le "killer instinct", ça s'entretient.

«Vous devez être agressif offensivement, en vouloir toujours plus, avoir envie de marquer encore et encore»

Et pour garder son sang froid dans les moments clés, le Scandinave s'adonne à... la philosophie. Depuis un moment déjà, Isak s'est mis à étudier le stoïcisme et si cela peut de prime abord paraître incongru, il n'y a finalement pas grand chose d'étonnant à cela. Car quiconque a déjà étudié Zénon de Kition ou Marc Aurèle le sait, l'une des vertus recherchées par le stoïcien n'est autre que l'impassibilité. Peut-être un brin plus pragmatique, Osimhen s'en remet lui au travail quotidien. «Tout ça est affaire d'état d'esprit, souligne celui qui a fait trembler les filets à dix-huit reprises toutes compétitions confondues cette saison. Vous devez être agressif offensivement, en vouloir toujours plus. Vous devez avoir envie de marquer encore et encore...» Pour autant, l'un comme l'autre se refusent à s'enfermer dans des objectifs chiffrés, les qualifiant de contreproductifs. Une manière comme une autre d'indiquer que le relâchement joue également un rôle déterminant chez ceux qui, grâce à un seul petit ballon, peuvent faire basculer le sort d'une rencontre.

Zone

Pas de décontraction qui vaille chez leurs ennemis intimes, au contraire. «Il y a deux sortes de face-à-face, résume Larsonneur. Celui durant lequel l'attaquant a le temps et celui durant lequel l'attaquant doit aller le plus vite possible. Dans le premier cas, vous devez tenter d'emmener votre adversaire vers quelque chose, de rentrer dans sa tête afin de lui mettre le doute. Dans la deuxième situation, la concentration joue un rôle clé car vous devez intervenir au bon moment, aller encore plus vite que lui.» Simón ne dit pas autre chose lorsqu'il confie une forme d'obsession pour les temps de réaction. Osimhen et Isak sont pour leur part persuadés qu'ils deviendront de plus en plus efficaces dans l'exercice à mesure qu'ils acquerront de l'expérience, «parce que frapper à l'entraînement n'a rien à voir avec le fait de tirer en match». Gardiens et buteurs avouent en tout cas courir après un seul et même but : «la zone», sorte d'état émotionnel dans lequel le sportif se sent intouchable. La seule à même de garantir aux uns et aux autres, à tous les coups ou presque, de réussir le bon geste.

Thymoté Pinon