(L'Equipe)

Le dernier tacle à retardement de Julien Cazarre : Fêtard junior

Comme chaque semaine, Julien Cazarre glisse son tacle à retardement dans France Football. Il revient cette fois sur Neymar, et son goût pour la fête.

Je prenais tranquillement l’apéro de 15 heures avec mon père à une terrasse quand je l’entends me sortir froidement entre deux vodka Martini : «Ouais, les journaleux de foot, qu’est-ce qu’ils nous emmerdent avec Neymar ! S’il a envie de picoler, ben c’est son affaire... C’est un génie et les génies ont toujours été des fêtards alcoolos ou des alcoolos dépressifs. C’est comme ça, regarde Houellebecq, Dali, Renaud... Eh ouais, mon pote !» Passons sur le fait que mon père m’appelle «mon pote» vu qu’on en est déjà au sixième apéro et que la notion de famille semble un concept totalement nébuleux à cette période de la journée pour nous pencher sur cette réflexion profonde : un génie est-il forcément un dépravé ?

Passons sur les exemples de mon géniteur vu qu’avec tout le respect que j’ai pour eux, Michel, Salvador et Renaud n’étaient pas obligés de cavaler quatre-vingt-dix minutes après une baballe. En même temps, mon père et le sport, c’est comme la soupe et la fourchette, on a longtemps essayé, ça n’a jamais marché. Pour comparer avec notre "Ney" parisien, il est plus adapté de prendre des exemples dans le foot, et c’est là qu’on commence à s’arracher les cheveux (c’est toujours mieux que de les teindre en rose... encore que). Prenons le plus célèbre des footballeurs alcooliques, George Best. S’il y en a un qui savait faire la teuf, c’est bien lui, et ça ne l’a pas empêché de tout gagner avec les Red Devils et d’empocher un Ballon d’Or qui, malgré tout, valait toujours moins qu’un ballon de rouge. "Two beers or not two beers", lui ne se posait pas la question. Le seul petit problème, c’est que si notre cher George affrontait le Liverpool de Jürgen Klopp qui court à 200 à l’heure sans même s’arrêter à la mi-temps pour ne pas perdre le rythme, il serait en coma éthylique dans la surface d’Alisson en transpirant ses six grammes.

Essayons de nous pencher sur des cas plus récents et proches de nous. Ezequiel Lavezzi et Marco Verratti, en voilà deux qui ne donnaient pas leur part de tequila au chien et, force est de constater que leur amour de la bibine et de la fiesta a eu un effet assez remarqué sur leurs performances dans la capitale. Pour l’Argentin, c’était moins grave vu qu’il a vite porté le fanion de mascotte du club et que sa bonhomie masquait ses souffles au cœur de fin de première mi-temps. Pour Marco, c’est différent. Il est le fer de lance du projet qatari et son penchant pour la nouba l’envoie souvent à l’infirmerie ou lui fait cracher ses poumons dès la 60e minute. Alors, vous me direz : «Ben, il raconte vraiment que des conneries ton daron alors...» Ce à quoi je répondrais : «Oui, en grande majorité, surtout à partir de 17 heures, mais pour le coup, là c’est pas si sûr..

En fait, le problème est que Neymar n’est pas Verratti ni Lavezzi. C’est un Ronaldinho, c’est-à-dire un génie, et brésilien qui plus est. Attention, Sadio Mané est formidable, Salah est super, Mbappé est impressionnant... Mais lui, c’est un génie, avec tous les défauts que ça comprend, avec toutes les critiques que ça provoque. Il a autant raison d’être ce qu’il est que nous de lui en vouloir. Dans aucun sport on n’a le droit d’être ça, un Neymar ou un Ronaldinho. Alors oui, ça peut causer des désillusions, ça peut mener l’équipe à sa perte, mais c’est comme ça, t’avais qu’à prendre des soldats. Le vrai problème, c’est quand les médiocres se prennent pour le génie alors qu’eux devraient aller se coucher parce qu’il y a match dans deux jours.

Julien Cazarre

"Two beers or not two beers", George Best, lui, ne se posait pas la question et ça ne l'a pas empêché d'être Ballon d'Or.