thiago silva (F.Faugere/L'Equipe)

La situation des joueurs en fin de contrat, «un bazar absolu»

Le football n'est pas épargné par le coronavirus. Quand certains ne peuvent simplement plus jouer, d'autres, en fin de contrat, mettent leur avenir entre parenthèses. Une attente forcée qui plonge les concernés dans le flou.

Evidemment, le COVID-19 n'est pas un événement isolé. Mais est-ce que cent ans plus tôt, quand la grippe espagnole faisait des ravages, le football avait la même dimension ? Certainement pas. Le sport roi est devenu une économie à lui tout seul. Un business au-delà du jeu. Et si avec cette trêve imposée, les terrains sont fermés, le business aussi est à l'arrêt. En particulier pour les joueurs en fin de contrat ou en prêt. Dans les faits, un contrat se termine le dernier jour de la saison, le 30 juin 2020. Or à l'heure actuelle, impossible de savoir si quand les Championnats reprendront, s'ils reprennent. Et par conséquent, quand ils finiront.

Une chose est sûre, s'ils reprennent, il paraît impossible de les voir se terminer avant le 30 juin. Stéphane Canard, premier agent licencié en France et président du Syndicat des agents sportifs français, se montre plutôt pessimiste : «Peut-être qu'il y a des gens qui vont mettre en place des systèmes de fonctionnement sur le court ou moyen terme. Mais qui vous dit que ce qui sera décidé ne sera pas balayé comme ça l'a été dernièrement ? Je n'ai aucune information sur ce qu'il va se décider. Mais mon sentiment, c'est que je ne vois pas comment ce Championnat peut redémarrer. Grosso modo, il faudrait, même en réduisant, un mois de préparation jusqu'à mi-juin, puis le Championnat jusqu'à mi-juillet, les congés, sans parler des Coupes d'Europe, et une nouvelle préparation pour la prochaine saison. Ça va impacter le Championnat suivant. Préparons bien le prochain, et faisons en sorte qu'il se déroule dans les meilleures conditions.»

Face à cette situation extraordinaire, les clubs naviguent à vue. Un joueur en fin de contrat évoluant en Italie nous confie : «On n'a aucune nouvelle pour l'instant. Ce qu'il se dit, c'est que si le Championnat s'allonge en juillet, août, les contrats seront prolongés d'un ou deux mois. Et ce serait pareil pour les prêts.» Oui mais voilà, si l'UEFA avait dans un premier temps annoncé vouloir finir les Championnats et Coupes d'europe fin juin, ça semble aujourd'hui irréalisable. Et cette situation, ni l'UEFA ni la FIFA n'y étaient préparées. Du coup, il y a un flottement. Pour autant, dans ses statuts, la FIFA se réservait la possibilité d'adapter ses textes. En témoigne son article 27 : «Le Comité Exécutif de la FIFA rend une décision définitive sur tous les cas non prévus par le présent réglement ou en cas de force majeure.»

L'UEFA ferme la porte à une saison blanche

Cas de force majeure il y a. Et une décision définitive devra être prise. Mais quand, comment et laquelle, aucune idée. La Pro League belge semblait avoir ouvert la brèche d'une saison blanche cette semaine en proposant l'arrêt de la saison - idée soumise au vote de son Assemblée Générale le 15 avril -, mais l'UEFA a tout de suite fermé la porte, indiquant que les Championnats choisissant la saison blanche n'auront aucun représentant en Coupe d'Europe. Une prise de position dure, mais claire. L'UEFA ne semble pas avoir d'autre idée en tête que de poursuivre la saison pour l'instant. Semble, car rien d'officiel pour l'instant. «On est dans le flou total, il n'y a aucune lisibilité. Qui vous dit qu'on n'est pas à l'orée de cette pandémie ? On n'en sait rien, soulève Stéphane Canard. Quand je lis qu'on s'interroge sur la date de reprise des Championnats, je trouve que c'est trop tôt, on n'en est pas là. Il n'y a plus de notion de court ou moyen terme.»

Pourtant, il faut essayer d'anticiper. «Il y a plusieurs problématiques pour les joueurs en fin de contrat. Ils devraient jouer encore dans les clubs où ils sont, et ça soulève des problèmes d'assurance, des pertes de licence, de blessures..., s'inquiète l'agent. Ils sont totalement dans le flou. Je ne sais même pas si légalement on peut déplacer les dates de la saison. Le droit du travail ne le permet peut-être pas ou ne l'autorise pas dans l'état actuel des choses. Il va falloir prendre des ordonnances, des arrêtés, avoir des autorisations particulières dans la Charte du football. Ces autorisations doivent être votées puis acceptées par l'ensemble des décisionnaires, c'est compliqué. Ça va être un bazar absolu. Il faut manœuvrer en coulisses et ne pas étaler ça sur la place publique.»

«Là, tout est en attente»

S'il y a bien un microcosme touché dans le football, c'est celui du mercato. L'anticipation ne suffit plus. Il faut s'adapter, dixit Philippe Gaillot, directeur général adjoint en charge du sportif au FC Metz : «On travaille sur les prolongations de joueurs qu'on souhaite prolonger et sur le recrutement. On essaye de s'adapter. C'est sûr que c'est différent des saisons actuelles, mais dans mon rôle on se projette dès février/mars sur la saison suivante. On est dans un travail de continuité. Si les choses ne doivent pas se passer comme ça on s'adaptera, mais si elles se passent comme ça, il faut qu'on soit prêts à enchaîner pour la saison suivante. Notre rôle c'est de faire en sorte d'être prêt le plus tôt possible.»

Pour ce joueur évoluant en Italie, la situation est délicate : «Ce n'est que mon opinion, mais tout est flou. La reprise ou non du Championnat peut influer sur des primes ou des prolongations incluses dans les contrats. À titre personnel, je ne sais pas encore si je vais prolonger. J'ai une option dans mon contrat mais j'ai aussi d'autres contacts. Après, en fonction de la fin de saison, des matches joués ou non, des performances et du classement, ça influence sûrement les choix. Du coup là tout est en attente.» Une attente qui pourrait rapidement toucher d'autres contrats, ceux des sponsors. «Les sponsors sont des entreprises qui sont impactées, donc elles ne pourront plus payer, souffle Canard. L'économie du football va en pâtir. Il faut naviguer à vue, éviter l'esbroufe et les effets d'annonce.» Et pourtant, paradoxalement, le monde du foot est pendu aux lèvres des grandes instances pour savoir quoi faire. Un bazar absolu on vous dit.

Emile Gillet