lim (peter) (A.Mounic/L'Equipe)

La crise de pouvoir actuelle à Valence à travers six personnalités

Le licenciement de Marcelino est le révélateur d'une lutte de pouvoir qui concerne six personnalités majeures à Valence. Présentations en forme de piqûres de rappel.

Peter Lim : le propriétaire

Un self-made-man tout en contrôle. Doté d'une fortune de près de deux milliards et demi de dollars selon Forbes, Lim fait fortune (et polémique) grâce à l'extraction et le commerce d'huile de palme. Pendant longtemps, le Singapourien cherche pendant plusieurs années à acheter un club de football. A partir de 2008, on lui prête des vues sur Middlesbrough, les Glasgow Rangers et le Milan AC. C'est finalement Valence l'heureux élu. En 2014, Lim rachète 70% du club pour 94 millions et éponge l'immense dette du club. Un règne très vite critiqué, notamment pour sa volatilité : sept entraîneurs se sont succédés en cinq ans - et pas toujours des références du jeu. En 2015, il place sur le banc le débutant Gary Neville, dont il est un proche (il possède d'ailleurs des parts dans le club de Salford, aux côtés de la "class of 92" des Neville, Beckham, Giggs, Butt et Scholes). Il le vire quatre mois plus tard. On dit l'homme affable, charmeur, il se déplace sans garde du corps malgré son statut. Le 11 septembre dernier, il donne l'ordre de renvoyer l'entraîneur, Marcelino, remplacé dans la foulée par un Albert Celades, inexpérimenté à ce niveau.

Marcelino : l'(ex-)entraîneur

«Au cours de la saison dernière, j'ai reçu des messages, directs et indirects, sur le fait que nous ne devions pas miser sur la Coupe du Roi. Je suis absolument sûr que toute cette histoire est partie de notre victoire contre Barcelone. Le détonateur de mon limogeage fut la finale gagnée. Je ne peux toujours pas y croire.» Durant les deux saisons - plus quelques matches, donc - qu'il passe sur le banc de Valence, Marcelino Garcia Toral fait de l'équipe un bloc solide, efficace en contre et capable de résultats de référence face aux gros. Jusqu'à cette victoire en Coupe du Roi, en mai dernier, qui stoppe l'hégémonie blaugrana (quatre titres de suite). Il qualifie aussi deux fois le club en Ligue des champions, la deuxième fois après un début de saison pourtant catastrophique. Fusible tout trouvé après un début de Championnat décevant, le départ de l'ancien coach de Villarreal est dû, selon la communication officielle du club, au fait de ne pas suffisamment faire jouer les jeunes promesses du club. En réalité, l'entraîneur se montrait régulièrement critique envers la politique de vente du club, et subit de fait un retour au premier plan d'un Lim assez discret depuis deux ans.

Mateu Alemany : le directeur général

Dans la moiteur de l'été 2019, alors que les supporters valencians profitent de cette fin de saison inespérée, Peter Lim et le DG Mateu Alemany se livrent une guerre de palais. Le premier cherche à lancer des mouvements. Le second bloque, et active ses propres pistes. Le premier, par l'intermédiaire de Murthy, ralentit la signature des contrats. Le second menace de démissionner. Une première secousse annonciatrice du tremblement de terre intervenu moins de deux mois après. Ancien président de Majorque, Alemany s'est offert une réputation de rigueur et de large connaissance du monde du football. Lorsqu'il rejoint Valence en 2017, ses choix d'entraîneurs et d'effectif remettent dans le bon sens une équipe quelque peu bancale. En dépit du rôle officiel, son poste s'apparente plutôt à celui d'un directeur sportif. Son duo avec Marcelino s'est avéré si complémentaire que les deux hommes se considèrent aujourd'hui «amis». Ce dernier avait d'ailleurs gardé sa place sur le banc, lors de la crise de résultats de fin 2018, grâce à l'appui indéfectible d'Alemany. Un appui insuffisant, cette fois. Aujourd'hui, son départ à moyen terme semble inévitable, tant son rôle semble rogné par la reprise en main de Peter Lim sur le club.

Jorge Mendes : l'agent

On ne sait pas si, comme Cristiano Ronaldo, Peter Lim a offert une île grecque à Jorge Mendes pour son mariage, à l'été 2015. Mais à la différence de CR7, le milliardaire a eu l'honneur d'être le témoin de la cérémonie. Si Mendes, plus célèbre et un des plus puissants agents au monde, ne nécessite pas dêtre présenté, sa proximité avec Lim sous-tend une grande partie de l'ère Lim à Valence. C'est Mendes qui, selon plusieurs échos concordants, facilite le rachat du club de la côte est espagnole en 2014. Avant d'y placer son premier client historique, l'ancien gardien de but Nuno Espirito Santo, comme entraîneur. Mangala, Guedes, Cancelo, Gabriel Paulista... avec Wolverhampton, Benfica ou Monaco, Valence est un des clubs par lesquels transitent en masse les clients de son agence Gestifute. L'été passé, Mendes cherche à placer Mouctar Diakhaby dans le club anglais - afin de permettre un retour à Valence de son client Nicolas Otamendi. Mouvement bloqué par le secteur sportif du club. Le bouleversement actuel qui concerne l'équipe sportive pourrait faire de Jorge Mendes le grand gagnant de l'été, et lui faire recouvrer, en tant que conseiller direct de Peter Lim, un pouvoir un peu estompé depuis 2017.


Le représentant de Celades est Carlos Bucero, associé de Jorge Mendes.

Anil Murthy : le président

Pendant seize ans, il occupe plusieurs postes diplomatiques au sein du ministère des affaires étrangères de la cité-état (il vit notamment à Paris au tournant des années 2010). Alors quand il débarque à Valence, dans les bagages de Peter Lim, Anil Murthy n'a pas de quoi être impressionné par le monde du football. Au départ directeur exécutif, il succède dès 2017 à Lay-Hoon Chan, démise de ses fonctions pour des résultats sportifs décevants, malgré une situation financière redevenue stable. Il est encore débutant dans le foot ? Peu importe : «un club de football n'est pas si différent d'une entreprise normale. Les deux nécessitent un management fort.» La force, c'est ce qui caractérise Anil Murthy dans sa relation aux supporters : il serre la vis face aux contestations des ultras traditionnels et met en place, ces derniers mois, la «Grada de Animacion», zone réservée aux jeunes et que l'on soupçonne inféodée au club. La rigueur du président de 46 ans s'avère moins proverbiale ces derniers jours : alors qu'il a, après le match contre Chelsea, soutenu en zone mixte le choix du renvoi de Marcelino, la presse espagnole a fait écho d'un acte de contrition inattendu, la veille, en plus petit comité : «Je demande pardon, au nom de Peter Lim». Une communication en forme de rétropédalage afin d'apaiser la colère des joueurs.

Dani Parejo : le capitaine

Pour ses méthodes et ses résultats, Marcelino était populaire auprès des joueurs. Le licenciement a donc provoqué des réactions enflammées sur les réseaux sociaux. «Je sais que vous réussirez partout où vous irez et qu'on vous y laissera travailler» : le message d'adieu du capitaine Dani Parejo à l'homme qui lui a permis d'atteindre son meilleur niveau est sans équivoque. À son initiative, le groupe a boycotté la conférence de presse avant le match de Ligue des champions à Chelsea. La réaction la plus vive est venue du défenseur central Ezequiel Garay, que son agent Jorge Mendes n'a visiblement pas empêché de sortir la sulfateuse contre Murthy et Lim : «Ceux qui ont pris cette décision n'ont pas seulement démoli un coach, ils ont aussi démoli une équipe et des supporters. Je le dis haut et fort : c'est injuste !» Assurant à plusieurs reprises à la presse leur soutien envers Albert Celades, les joueurs ont prouvé de la plus belle des manières en terrassant Chelsea dans son antre (1-0). Une victoire qui doit beaucoup à Marcelino, son successeur n'ayant pas eu le temps d'imposer le moindre changement technico-tactique.

Erwann Simon