Krzysztof Piatek celebrates during the Serie A match between Milan and Empoli on February 22th, 2019. Photo: LaPresse / Icon Sport (L'Equipe)

Krzysztof Piatek (AC Milan), un destin polonais

Véritable star à Milan et en Italie, Krzysztof Piatek possède une aura particulièrement puissante en Pologne, entre la symbolique de son parcours et son impact sur l'économie et le football du pays.

Il n'y avait pas d'autre issue possible. Krzysztof Piatek avait décidé qu'il s'inviterait à la table des grands. Qu'il n'aurait pas à demander quelque permission que ce soit. Que le feu qui l'habitait depuis son jeune âge le propulserait sur les cimes de la Serie A, à l'AC Milan, où certains l'érigent déjà en nouveau Inzaghi. Mais ce n'est sûrement pas en Italie que le serial-buteur rayonne le plus, mais bien en Pologne, où l'enthousiasme entourant son nom - prononcé «Piontek» - dépasse l'entendement. Un pays béat d'admiration devant la détermination et l'ascension éclair de l'enfant prodige. A Lubin, dans l'ouest du pays, le président du club Mateusz Drozdz sourit : «Un jour, il m'avait dit qu'il avait un plan. Qu'il voulait partir à Cracovie, puis ensuite en Italie et jouer dans un des meilleurs clubs d'Europe. Je m'étais dit qu'il était trop ambitieux. Mais il l'a fait, et c'est assez incroyable.»

Niemcza l'abandonnée, boite de nuit et papa mentor

Le pays de l'est de l'Europe s'est amouraché à l'unisson de sa nouvelle gloire nationale. En Pologne, où attirer l'œil des grosses écuries européennes n'est pas chose aisée, Piatek est considéré comme un symbole du football local. Et pour cause, l'attaquant du Milan est né dans la petite bourgade de Niemcza, en Basse-Silésie, depuis laquelle il a gravi les échelons à la sueur de son front. C'est entre les murs décrépis de cette ville de 3000 âmes, au pied des montagnes de Góry Sowie, qu'il a touché ses premiers ballons. Mais la région ne laisse pas beaucoup de place aux rêves de gosse. Si elle a été prospère pendant l'ère communiste grâce à ses cures thermales, elle est devenue un no man's land de l'emploi et du service public, où les jeunes tombent dans l'alcool et dans la drogue. Et le football ne sauve pas grand monde. Du moins à l'époque, aujourd'hui les gros clubs polonais surveillant davantage la région après les éclosions de Piatek, Jaroslaw Jach (Crystal Palace) et Piotr Zielinski (Naples). «C'est très difficile de sortir d'un ville comme Niemcza. L'environnement n'offre pas beaucoup d'opportunités», abonde Andrzej Bolisega, un des premiers entraîneurs de Piatek. Des propos confirmés par l'attaquant, fataliste dans une interview pour Sportowe Fakty : «Je ne sais pas ce qui me serait arrivé si je n'avais pas fui Niemcza.»

«Je ne sais pas ce qui me serait arrivé si je n'avais pas fui Niemcza» (Krzysztof Piatek dans une interview pour Sportowe Fakty)

Piatek n'a pas eu le choix : pour se faire un nom, il se savait contraint à des sacrifices. A commencer par des aller-retour entre sa ville natale et Dzier?oniów, des trajets quotidiens d'une heure et demi pour l'école et le centre d'entraînement. Une journée qui débutait à six heures du matin et se terminait tard dans la soirée. «Quand il était adolescent, il avait parfois la tête à autre chose. Il n'avait pas toujours la motivation pour s'entraîner, il préférait passer du temps avec des amis, aller en boite de nuit», explique Kacper Sosnowski, journaliste pour Sport, le principal média sportif en Pologne. Ce à quoi son père, ancien footballeur à Dzierzoniow, s'est empressé de remédier, remettant le fiston sur le droit chemin. «Son père a toujours été son meilleur mentor, avoue Andrzej Bolisega. Il a toujours vu son fils comme un super footballeur, l'a toujours supporté et s'est dévoué pour lui.» Piatek a longtemps eu besoin d'être boosté, que ce soit par sa famille ou Paulina Procyk, qu'il a rencontrée à Lubin où il évoluait entre 2013 et 2016. Terminé les sorties en boite de nuit et les longues heures passées devant FIFA, sa compagne l'a rapidement incité à passer le permis, à apprendre l'anglais et soigner sa nutrition pour poursuivre ses rêves de grands clubs européens.

Krzysztof Piatek s'est rapidement imposé à la pointe de l'attaque milanaise (L'Equipe)

La comparaison avec Lewandowski

A l'entrée de l'académie de Lubin, une des meilleures du pays, trône en bonne place le maillot du Milan signé par Piatek. Le président Mateusz Drozdz l'évoque avec fierté : «Il est très reconnaissant envers le club. Son tee-shirt est un symbole particulier car il montre à tous nos jeunes qu'ils sont capables de faire la même chose que lui.» Pourtant, tout n'a pas été rose à Lubin. Le natif de Niemcza n'y était pas tout le temps titulaire et devait prendre sur lui, canaliser sa nervosité sur le terrain comme en dehors. Heureusement, l'attaquant était bien entouré et bien éduqué. Et ses valeurs de travail lui ont permis de mettre de côté sa frustration. «Il est très confiant, mais pas dans le mauvais sens du terme. Il a toujours su ce qu'il devait faire pour devenir un meilleur joueur», se souvient Mateusz Drozdz. Kacper Sosnowski abonde : «Comme Lewandowski, Piatek étudie beaucoup les méthodes d'entraînement et pose pas mal de questions aux entraîneurs». Et une fois à Cracovie, le jeune attaquant explosait au plus haut niveau polonais, marquant 32 buts en 65 matches. C'est Jacek Zielinski, l'entraîneur du club, qui le repérait quelques mois plus tôt lors d'une confrontation entre Cravovie et Lubin. «Il me rappelait comment était Lewandowski au même âge», rembobine l'intéressé, qui fera de Piatek un titulaire indiscutable dans son onze. La comparaison revient inlassablement. Au-delà de ses qualités footballistiques, Piatek est lui aussi un leader dans l'âme, en atteste le brassard de capitaine qui lui est confié lors de sa deuxième saison à Cracovie.

«Piatek est le Polonais pour lequel il y a le plus d'engouement en Italie» (Andrzej Bolisega, son entraîneur au Lechia Dzierzoniow)

Ces derniers mois, le football polonais a vécu au rythme de cette unique question : Piatek peut-il jouer en sélection avec Lewandowski ? Le joueur du Milan a honoré sa première sélection en septembre dernier face à l'Irlande aux côtés de Milik, puis a marqué son premier but contre le Portugal alors qu'il jouait en pointe avec le buteur du Bayern Munich. Mais depuis, Piatek est resté sur le banc, ce qui interroge dans son pays natal. Jacek Zielinski, qui a également entraîné «Lewy» à Poznan, apporte quelques éléments de réponse : «Piatek peut jouer avec Lewandowski dans le onze de départ. Le premier peut évoluer comme buteur et le second un peu en retrait, en tant que numéro 10. Ils sont tous les deux en excellente forme et sont de grands professionnels donc il n'y a pas de problème !» C'est en tout cas ce que souhaite l'opinion public. En Italie, et encore davantage en Pologne, Piatek jouit d'une très grande popularité. «C'est le Polonais pour lequel il y a le plus d'engouement en Italie, assène Andrzej Bolisega. C'est impressionnant comme il gère cette célébrité car ce n'est pas facile d'être reconnu à ce point aussi vite.»

Un impact fou sur l'économie

En Pologne, la hype Piatek a de quoi faire tourner la tête. Elle est surtout inédite dans l'histoire du football polonais, plus importante encore que celle qui avait entouré Lewandowski il y a quelques années. «Il y a une folie Piatek», affirme Kacper Sosnowski, qui a écrit un article sur les retombées économiques depuis sa signature au Milan. Lors du match contre Cagliari le 10 février, la société de paris sportifs polonaise STS a enregistré son record historique de mise pour un match. Tout comme la chaîne Eleven Sports, qui détient les droits de diffusion de la Serie A. Selon le quotidien polonais Sport, elle a réalisé son record d'audience historique pour le premier match de Piatek avec les Rossoneri contre Naples. Idem, enfin, pour les équipementiers : Puma, sponsor de l'AC Milan, a constaté l'augmentation de commandes en provenance de Pologne ces dernières semaines.

La chaîne Eleven Sports a réalisé son record d'audience historique pour le premier match de Piatek avec Milan.

Depuis la Lombardie, l'intéressé vit sa notoriété nouvelle avec beaucoup de recul. Il garde un lien permanent avec la Pologne et ses anciens clubs. Pas question d'oublier ce qui l'a mené au plus haut niveau, et surtout pas son père. «J'ai quitté ma maison en gardant mon humilité, avouait le buteur dans son interview pour Sportowe Fakty. A 70 ans, mon père travaille toujours, il continue à courir, jouer au tennis, nager. J'ai un caractère comme le sien. J'aime travailler dur, me fatiguer à la tâche.» L'emballement qui l'entoure le dépasse peut-être. Mais sa réussite reste symbolique en Pologne, où se faire remarquer est bien plus compliqué que dans d'autres Championnats. Andrzej Bolisega sourit fièrement à l'évocation de son ancien poulain : «Il a montré aux jeunes de Dzierzoniow que travailler dur pouvait vous mener dans les meilleures équipes du monde.» Et devenir prophète en son pays. «Quand Sky Sports est venu faire un reportage ici, ils m'ont demandé comment on comptait montrer dans la ville que Krzysztof a commencé sa carrière ici. Je leur ai dit que nous avions nommé un jour de la semaine à son nom (Piatek veut dire vendredi en polonais, NDLR)», plaisante Bolisega. Décidemment, tout est bon pour glorifier la nouvelle étoile polonaise.

Antonin Deslandes