20.02.2020, BayArena, Leverkusen, GER, UEFA EL, Bayer 04 Leverkusen vs FC Porto, Sechzehntelfinale, im Bild Kai Havertz (Leverkusen) jubelt nach seinem Tor zum 2:0 // during the UEFA Europa League, round of last 32 match between Bayer 04 Leverkusen and FC Porto at the BayArena in Leverkusen, Germany on 2020/02/20. EXPA Pictures © 2020, PhotoCredit: EXPA/ Eibner-Pressefoto/ Eibner-Pressefoto *****ATTENTION - OUT of GER***** *** Local Caption *** (Thomas Thienel/Eibner/EXPA/PRE/PRESSE SPORTS)

Kai Havertz, la onzième symphonie

Transféré à Chelsea contre 80 millions d'euros, Kai Havertz éblouit l'Europe et apparaît comme un parfait exemple de réussite pour la formation allemande. Dans le même temps, il ressort des mots de ses formateurs et coéquipiers une personnalité différente et intrigante. FF a marché sur les traces de l'ancien petit prince de Leverkusen.

La BayArena est à guichets fermés. 30 210 spectateurs sont venus assister à la rencontre entre Leverkusen, 3e de Bundesliga, et le Bayern Munich, en tête du Championnat et dirigé par Louis van Gaal. En cet après-midi d'avril 2010, le match est serré. Arturo Vidal répond à Arjen Robben pour offrir un nul aux locaux. Un bon résultat, même si une autre partie se joue dans les tribunes. Elle doit déterminer l'avenir d'un môme de dix ans. Prénom : Kai. Nom : Havertz. Venu d'Aix-La-Chapelle, sa ville de naissance et sa région de premiers ballons, le petit gaucher joue les timides dans les travées du stade. «On a regardé le match ensemble, et il était très concentré, se souvient Slawomir Czarniecki, entraîneur de jeunes du Bayer 04 en charge des premiers contacts avec le joueur et la famille. Il n'y avait pas ce côté euphorique d'être au stade, mais plutôt ce regard analytique, sur ce que fait l'équipe...»

Le club avait repéré le garçon un peu plus tôt, lors d'un match de jeunes où il avait inscrit les quatre buts de son équipe, battue 8-4 par le Bayer. Forcément, Leverkusen veut l'enrôler. «Il était déjà dans une très bonne académie, narre Czarniecki. Au printemps 2010, lui et sa famille ont passé la journée chez nous. On lui a présenté le Bayer Leverkusen, notre méthode de travail, le club. Ils vivaient à plus de 80 kilomètres de Leverkusen. Le jour où Kai est venu, j'ai dit à Michael Reschke, le directeur sportif, et à Rudi Voller : “J'ai un déjeuner avec Kai et sa famille, ça serait bien de venir les voir”. Au restaurant, ils ont été surpris de voir Reschke et puis surtout Voller ! Ç'a été important, car c'est toujours bien de voir que deux membres importants viennent sur leur temps

«J'ai dit à Rudi Voller, ça serait bien de venir voir Kai» (Slawomir Czarniecki, formateur au Bayer Leverkusen)

Cap à l'Ouest

Le temps, Kai Havertz et ses parents l'ont pris avant de se décider. Le papa, commissaire de police parfois en charge de la sécurité pour les matches de Cologne, et la maman, qui travaille dans le droit, tentent d'analyser la situation pour offrir au deuxième de la famille la trajectoire idoine - Kai Havertz a un grand frère et une petite soeur, ainsi qu'un grand-père ancien joueur de foot. Il fait d'abord ses gammes à Mariadorf, où vit la famille. «Kai avait 4 ans quand il a rejoint l'équipe, rembobine Dirk Morfeld, son entraîneur de l'époque. On disait qu'on allait prendre aucun enfant de moins de 5 ans, mais on m'a dit : “Regarde-le !” On l'a fait jouer et il était vraiment incroyable.» Peu développé physiquement - son coach le surnomme "Le Nain" -, Havertz compense avec son toucher de balle et sa détermination. «Il s'est toujours battu comme un lion avec des facilités avec le ballon, poursuit Morfeld. Il était au-dessus. On était tellement habitués à gagner avec Kai que l'équipe ne célébrait même plus. Je les ai repris, et pour rigoler, on s'est entraîné à célébrer au poteau de corner à l'entraînement.» Trop fort pour son petit club, Havertz file ensuite à l'Alemannia Aachen (1). Il a neuf ans et évolue déjà avec les U12.

Havertz enfant. Crédit photo : archives personnelles Dirk Morfeld. (D.R)

«C'est un gars très normal, vraiment pas une personnalité qui vous agace, détaille Atakan Akkaynak, ancien coéquipier du centre de formation et ami du joueur. Il a toujours été un gars très facile, avec de bonnes relations avec tout le monde car il est détendu et bosseur. Et même quand il a commencé à devenir important chez les professionnels, il n'a pas changé.» U12, U14, U16... Une trajectoire assez banale, durant laquelle Kai développe un «incroyable jeu sous pression» et «une prise de décision efficace dans n'importe quelle situation», dixit Czarniecki. Mais aussi un caractère de vainqueur. «Quand il est arrivé dans notre équipe où j'étais capitaine, tout le monde parlait de sa qualité, rembobine Akkaynak. Au point que j'avais peur de perdre mon statut de capitaine et que je travaillais encore plus dur. Après quelques mois, nous avons tous les deux réalisé que cela nous rendait meilleurs et que cette rivalité était peut-être la raison pour laquelle nous sommes devenus de si proches amis

«Un environnement familial exceptionnel»

À Aix-La-Chapelle, Kai Havertz rejoint une école réputée. Mais pas encore assez pour son talent. Le jeune Allemand n'y restera qu'une saison avant de rejoindre Leverkusen. Le déjeuner avec Rudi Voller change peut-être la donne mais, surtout, la famille Havertz accompagne le rejeton. «Il a vraiment un environnement familial exceptionnel, éclaire Czarniecki. La famille Havertz n'est vraiment pas du genre à penser au profit ni à croire qu'ils ont le nouveau Messi entre les mains.» «J'ai toujours été élevé pour garder les pieds sur terre, explique Havertz lui-même dans un entretien à la Bundesliga. J'ai appris de mes parents que l'arrogance et la prétention n'étaient pas des qualités souhaitables. Pourquoi un footballeur devrait-il être différent des autres ? Nous sommes des gars normaux, comme la plupart des gens.» Loin d'être un clown dans le vestiaire, se contentant d'être un camarade sympa et discret, Havertz grandit chez les jeunes de Leverkusen.

«Pourquoi un footballeur devrait-il être différent des autres ?» (Kai Havertz à la Bundesliga)

Certes, mais nulle excuse pour boycotter les salles de classe. «Il n'était pas bon à l'école (rires), s'amuse son pote Atakan, aujourd'hui prêté par le club néerlandais de Willem II en Turquie. Mais il travaillait dur et il a fini par obtenir son diplôme d'études secondaires.» Après un match de Ligue des champions de novembre 2016 au CSKA Moscou, Leverkusen rentre en avion tard dans la nuit. «Le lendemain à l'aube, il attendait à l'arrêt de bus pour pouvoir aller en cours, rigole aujourd'hui Slawomir Czarniecki. Et ses tests étaient excellents.» À la fin de la saison 2016-17, et alors qu'il a déjà 24 matches de Bundesliga au compteur à 18 ans, Kai Havertz est diplômé de sport au lycée Landrat-Lucas-Gymnasium de Leverkusen.

Kai Havertz sous le maillot de la Nationalmannschaft. (TimGroothuis/PRESSE SPORTS)

Double projet à Leverkusen

Sélectionné dans toutes les catégories de jeunes en Allemagne, Havertz s'affirme enfin comme un milieu qui dépasse ses fonctions. «C'est un joueur de grande qualité devant le but, poursuit son ancien formateur. Il a beaucoup marqué pour nous en jeunes, en étant toujours dans les meilleurs buteurs de Leverkusen à la fin de la saison. Il se projette, il apporte du danger(2) Sans oublier l'extra-sportif, les études apparaissant toujours en filigrane du développement. «Le sport et l'allemand étaient mes matières principales, la géographie ma troisième et les mathématiques ma quatrième, rappelle Havertz à la Bundesliga. J'étais un désastre en maths, mais je n'avais pas d'autre choix, car si tu te spécialisais en sport, tu devais faire des maths. Ma chance était que je pouvais faire des mathématiques orales. Cela masquait le fait que j'étais complètement inutile ! (rires)»

«Il n'était pas bon à l'école (rires), mais il travaillait dur» (Atakan Akkaynak)

Havertz, le pianiste

Forcément, cela libère du temps pour le jeu... et les hobbies. La musique, surtout. «Je pense qu'il est important d'avoir quelque chose de plus calme qui permet de déconnecter, concède Kai Havertz à la Bundesliga. J'ai décidé d'apprendre à jouer d'un instrument. J'ai toujours aimé les compositions pour piano, le choix a été simple. Et j'ai tellement aimé les premières heures que j'ai continué. Mon objectif est de maîtriser la musique classique et moderne.» Les groupies en plus, comme le chantait Michel Berger, ou encore la popularité et l'attention médiatique, Havertz veut surtout s'appuyer sur la stabilité, force de son jeune parcours à l'avenir doré. «À chaque fois qu'il performe moins, on voit quand même la différence, poursuit Czarniecki, dithyrambique. On voit ses qualités dans le contrôle du ballon, dans la prise de décisions... Et il a le potentiel pour être dans le top 3 en Europe. Mais c'est un long chemin.» Pour l'instant, il l'a mené jusqu'aux nominations pour le trophée Kopa France Football, qui sacre le meilleur joueur U21 du monde, et à la sélection nationale. Sept capes, un but face à l'Argentine, et des promesses pour la décennie à venir. «J'ai dit à sa maman : “Tu te souviens de notre premier rendez-vous ?”, conclut Czarniecki. Aujourd'hui, Kai est ici, avec les grands.» Rudi Voller, légende parmi les légendes, se souvient peut-être aussi de cette première tablée.

Antoine Bourlon

(1) : Aachen est le nom original, en Allemand, de la ville d'Aix-La-Chapelle.
(2) : En 97 matches de Bundesliga, Havertz a délivré 20 passes décisives et inscrit 26 buts, dont 17 lors de l'exercice 2017-2018.