Mar 8, 2015; Kansas City, KS, USA; Sporting KC midfielder Benny Feilhaber (10) moves the ball against New York Red Bulls defender Damien Perrinelle (55) in the second half at Sporting Park. The match ended in a 1-1 draw. Mandatory Credit: John Rieger-USA TODAY Sports (L'Equipe)

Jouer en Major League Soccer, vraiment le rêve américain ?

La saison 2017 de MLS débute ce week-end, avec dix joueurs et un entraîneur (Patrick Vieira) français engagés. Le Championnat nord-américain, avec son lot de spécificités sportives et culturelles, représente-t-il vraiment un eldorado ?

«Viens ici, c'est génial, tu vas revivre, voir autre chose, kiffer !» Voici, en substance, le discours qu'a tenu cet hiver Damien Perrinelle à son ancien partenaire à Clermont, Romain Alessandrini. Décisive ou pas, l'invitation du défenseur des New York Red Bulls a en tout cas été suivie par l'ancien Marseillais, qui s'est engagé en faveur du Los Angeles Galaxy. Une nouvelle orientation pour sa carrière, mais pas seulement, tant les contrastes entre la France et les États-Unis dépassent le simple cadre du football.

«C'est un autre monde, à tous les niveaux», confirme le pionnier français en Major League Soccer, Sébastien le Toux (D.C. United). L'attaquant de trente-deux ans entame ce week-end sa onzième saison outre-Atlantique, la neuvième en MLS. «Bien sûr que je conseillerais à tout le monde de venir ici. Pour des joueurs qui évoluent à un bon niveau et qui veulent découvrir autre chose, changer d'univers, c'est l'idéal.» «C'est une expérience de fou, complète Jean-Baptiste Pierazzi, passé par les San Jose Earthquakes durant deux saisons (2014-2015) et aujourd'hui au Paris FC (National). Au niveau des infrastructures, des stades, des conditions de déplacements, on a l'impression de jouer dans une équipe de Ligue des champions !»

En clair, la MLS, c'est l'Amérique. «L'hymne national et le feu d'artifice avant les matches, la ferveur dans les stades... Ça, c'est vraiment incroyable», lâche Frédéric Brillant, ancien défenseur d'Ostende, en Belgique, arrivé au New York City FC de Patrick Vieira, Andrea Pirlo ou David Villa il y a un an. «C'est extraordinaire, je suis vraiment ravi d'avoir fait ce choix. Bon, je n'ai pas tout compris au départ au niveau des règles. Il y en a tellement... Il faut le dire, parfois, il y a des choses étranges (rires).»

En tête des curiosités, on retrouve ce qui fait le sel et la principale différence entre la MLS et 99% des autres championnats : ici, les joueurs ne décident de rien, ou de pas grand chose. «Ils n'ont jamais la main», tranche Damien Perrinelle, qui a dû attendre mi-janvier pour que sa prolongation avec les Red Bulls soit officialisée. Inutile de chercher à négocier au mieux son salaire, il est globalement fixé par le CV et le potentiel marketing du joueur. Et à moins de posséder une clause dans son contrat, tout le monde est transférable du jour au lendemain.

Sébastien Le Toux, Frédéric Brillant, Jean-Baptiste Pierazzi et Vincent Nogueira s'éclatent ou se sont éclatés en MLS.

«Un matin, tu arrives à l'entraînement et il manque un mec...»

«Un matin, tu arrives à l'entraînement, il manque un mec et on te dit : "Ah ba il a été transféré à Chicago !" Tu te dis que ce n'est pas possible, mais pour eux c'est normal, c'est dans leur mentalité, leur culture», explique Pierazzi. «Je l'ai aussi vécu l'an passé avec Patrick Mullins, reprend Brillant. Il a fait ses affaires dans le vestiaire, m'a expliqué qu'il partait à DC United. Je l'ai félicité, parce qu'il avait peu de temps de jeu chez nous, mais lui m'a répondu que ce n'était pas forcément ce qu'il recherchait... Il n'avait pas eu le choix !»

Le business avant l'humain

«Quand tu touches des millions comme en NBA, tu la fermes, mais là ça ne pète pas les scores pour la majorité, donc ce n'est pas évident d'être soumis à la volonté des dirigeants, concède un Perrinelle conscient de sa chance d'être basé à New York. Demain, tu me donnes trois millions de dollars par saison, je n'en ai rien à foutre d'aller à Kansas City ou Salt Lake City ! Mais à 250 000 dollars, bon... Faut y aller là-bas !» Depuis ses débuts dans la Ligue en 2009, Sébastien Le Toux a été personnellement impliqué dans plusieurs "trades" de ce type, mais aucun n'avait été aussi dur à vivre qu'au mois d'août dernier, lorsque Philadelphie l'a envoyé à Denver. À 2 500 kilomètres de sa famille restée en Pennsylvanie, et après six saisons de bons et loyaux services.

«J'aimais ce club, je pensais avoir une relation de confiance avec tout le monde, mais ils ont décidé de m'envoyer aux Colorado Rapids pour avoir assez d'argent et recruter Alejandro Bedoya (ex-Nantes). C'est le point négatif de la MLS, c'est un peu chiant parce qu'en allant dans un club où tu n'as pas forcément envie de jouer, c'est compliqué de s'impliquer. Mais c'est leur mode de fonctionnement, il faut juste le comprendre. Je suis Français, un peu âgé, je ne fais pas de vagues, donc je ne représentais pas forcément un bon business...»

Business, le mot est lâché. Un gros mot ? Pas aux États-Unis... «Si tu n'apportes rien à ce niveau et qu'il y a l'équivalent sur le marché local, leur choix est vite fait... Durant ma deuxième saison à San Jose, je me suis retrouvé dans une impasse parce que le club voulait favoriser l'ascension d'une jeune Américain, raconte Pierazzi. Que je sois bon ou pas, c'était la même chose, et le coach me l'avait clairement dit !» Bilan : seulement trois matches disputés en 2015, après 24 apparitions en 2014 pour l'ancien capitaine de l'AC Ajaccio.

La MLS, ça vaut (presque) la L1

Une galère qui ne suffit pas à altérer ses (excellents) souvenirs californiens : «Les États-Unis, c'était mon rêve et je l'ai réalisé. La vie là-bas est quand même assez exceptionnelle, et puis le Championnat est très compétitif. Je pensais que le niveau serait moins élevé, mais si ça ne vaut pas des équipes comme Paris, Monaco, etc, ça vaut tranquillement du milieu de tableau de Ligue 1.» Halte aux clichés sur le kick-and-rush et l'ambiance de pré-retraite, donc.

«Vu d'Europe, il y a toujours un regard un peu défiant, mais pour avoir assisté à des rencontres de Ligue 2 et de Ligue 1 cet hiver, franchement, on n'est effectivement pas loin d'un niveau moyen de L1», confirme Damien Perrinelle. De l'aveu de Sébastien Le Toux, la progression sportive de la MLS est indiscutable : «Il y a quelques années, je pensais qu'une équipe américaine pouvait rivaliser sur un match avec une équipe française. Aujourd'hui, je suis convaincu qu'elle pourrait le faire sur la durée. Que les gens viennent voir de leurs propres yeux ! Vu la façon dont elle se développe, la MLS peut devenir une des meilleures ligues mondiales d'ici dix ans.»

Alessandrini, parti pour rester ?

Rejoindre la Major League Soccer deviendrait-il donc un pari d'avenir plutôt qu'un plan de secours passé la trentaine ? Et pourquoi pas ? «Pour un aller simple, ce n'est que du bonheur», assure le Strasbourgeois Vincent Nogueira, parti à Philadelphie en 2014 à tout juste vingt-six ans, et revenu en France l'été dernier pour des raisons familiales... et par peur d'être oublié. «Aujourd'hui, les États-Unis me manquent beaucoup, notamment la relation que j'avais avec les supporters, mais je me suis dit que si je signais un contrat de plus, on allait vraiment m'oublier et j'allais être "condamné" à terminer là-bas.»

Pour le Parisien Damien Perrinelle, ni la question familiale («j'ai plus de visites à New York qu'à Clermont !») ni celle de l'oubli («les conditions que j'ai sur un an ici, je n'aurais pas pu les avoir en Europe») ne se sont posées. «Et puis j'ai la chance d'évoluer dans le meilleur club de MLS...» Son ami Romain Alessandrini ne risque cette fois pas d'être en phase avec cette dernière affirmation, lui qui a rejoint le mastodonte Galaxy, ses stars (Ashley Cole, Giovani Dos Santos...) et son palmarès record (5 titres).

À vingt-sept ans, le milieu offensif gaucher peut-il s'inscrire dans la durée en Californie ? «Ça dépend vraiment de ce qu'il recherche, conclut Nogueira. Il a un statut de joueur désigné (hors salary cap, ndlr), donc financièrement il s'y retrouve, et puis niveau qualité de vie, à Los Angeles... S'il s'y plait, franchement, pourquoi rentrer ?»

Cédric Chapuis