Jean-Gérard Benoit Czajka (agent de Victor Osimhen) : «On a mis des bêtises dans sa tête»

Jean-Gérard Benoit Czajka, agent historique de Victor Osimhen, nous explique les coulisses de sa mise à l'écart lors du transfert de l'attaquant du LOSC vers Naples. Croustillant.

«Depuis combien d'années travaillez-vous avec Victor Osimhen ?
Officiellement, j'ai signé mon premier mandat avec lui et son père, je crois qu'il avait 16 ans, c'était bien avant la Coupe du Monde 2015 au Chili où il avait flambé. Dans les faits, je travaillais avec lui depuis l'âge de 14 ans avec mes partenaires.
 
Comment l'avez-vous connu ?
C'est grâce à mes associés au Nigeria. C'est surtout Shira Yussuf (NDLR : l'un d'eux) qui l'a découvert à l'âge de 14 ans, il m'en parlé très vite. Là-dessus, on a fait jouer nos contacts auprès d'Emmanuel Ammunike alors sélectionneur des U17 du pays. On lui a dit : "Va voir ce petit jeune, c'est un phénomène". À force d'insister, il s'est déplacé, il l'a vu et lui a donné sa chance.
 
Comment s'est passé son arrivée en Europe ?
Avant la Coupe du monde 2015, on l'avait proposé un peu partout en Europe mais en vain... Et puis après la Coupe du monde 2015, tout le monde m'a appelé parce qu'il pouvait être sorti d'Afrique à un prix très abordable mais quand il a tout explosé au Chili, cela a forcément flambé. Finalement, je l'ai fait signer à sa majorité à Wolfsburg, Charleroi puis à Lille, et enfin à 99 % à Naples...
 
Que s'est-il passé pour que vous ne soyez pas à ses côtés jusqu'au dernier moment ?
Bonne question... Avec mon partenaire (NDLR : Didier Fresnay), alors que tout allait se réaliser, nous avons été subitement écartés pour être remplacés par un nouvel agent (NDLR: William D'Avila)... Le 13 juillet au matin, Victor me demande de l'accompagner à Naples pour tout finaliser. Je lui dis : "Ok", mais mon vol pour Naples était finalement complet et je ne peux m'y rendre. Heureusement d'ailleurs, car Lille lui avait affrété un vol privé pour se rendre en Sardaigne, à Olbia, où étaient présents les 2 présidents. Il ne pouvait pas signer sans moi.
 
Comment avez-vous réagi ?
Mes avocats ont fait un mail dirigé à Victor, à Naples et au LOSC. Et le 14 juillet, je reçois à mon tour un email “arrêtant brutalement et sans motif” mon mandat de représentation avec Victor Osimhen qui était en vigueur jusqu'en Janvier 2021. Alors que les deux clubs étaient tombés d'accord sur les modalités du transfert des semaines avant, et que tous les détails du contrat de Victor étaient connus, le joueur a passé sa visite médicale à Rome dans la semaine. Ce qui ne fait aucun doute que son contrat a été signé avec Naples...

«Victor ne voulait pas aller en Italie»

Justement une des raisons invoquées dans la presse sur votre mise à l'écart serait des bonus négociés à titre personnel. Qu'avez-vous à répondre à cela ?
Ce sont des bêtises qu'on a mis dans la tête du joueur. On a des écrits de Naples, il y a une commission garantie que nous avons reçu par mail de M. Giuntoli (NDLR : le Directeur Sportif du Napoli) de 5M€ pour le travail effectué, ce qui constitue environ 8% du total contrat brut négocié. On est loin des bonus personnels négociés comme l'a déclaré Victor dans la presse ! Évidemment je suis conscient que cela puisse paraître important pour le commun des mortels, mais il s'agit d'un travail de beaucoup d'années, de sacrifices personnels qui ont aboutis aujourd'hui à faire de Victor Osimhen le joueur qu'il est devenu, et qui a la valeur qu'il a sur le marché ! Et lorsque tout va se réaliser, nous sommes écartés pour mettre un nouvel agent !
 
Pouvez-nous racontez les coulisses des négociations avec le club de Serie A ?
On est en contact avec eux depuis le mois de mars. Avec le Covid, on a finalement réussi à se voir fin mai, début juin à Monaco avec Giuntoli et puis on s'est déplacé avec le joueur au début du mois de juillet à Naples. Pour être clair, si on se rend en Italie c'est que les deux clubs, eux, sont d'accord depuis belle lurette et ils nous l'ont dit. Je pense que Lille n'a pas trop apprécié que Victor se déplace et revienne sans avoir signé son contrat. Le club avait un petit peu le couteau sous la gorge avec le passage à la DNCG.
 
Vous avez mené toutes les discussions avec Naples ?
Oui, et pour tout vous dire, Victor ne voulait pas aller en Italie. Depuis le départ, il est bloqué sur l'idée d'évoluer en Serie A. Il m'avait dit que les problèmes de racisme lui faisaient peur et qu'il ne le sentait pas. Il m'a même déclaré au mois de mars-avril : "Je ne souhaite pas aller jouer en Italie même si c'est pour la Juventus à 10M€ nets par an”.

Comment avez-vous réussi à le convaincre ?
J'ai dit à Victor, qu'avant de se faire des idées aussi arrêtées, qu'il fallait qu'il se déplace pour se rendre compte par lui-même, rencontrer les gens, parler avec les joueurs qui sont confrontés au racisme etc... Chose que nous avons finalement faite les 1,2 et 3 juillet où nous avons rencontré le coach, le directeur sportif, ainsi que le président De Laurentiis qui est un homme avec des valeurs et du vécu, et qui semble avoir convaincu le joueur. Victor a aussi beaucoup échangé avec Kalidou Koulibaly et cela a été déterminant dans son choix pour Naples.

Et puis, on imagine qu'il y a également l'aspect financier...
Oui, il faut dire aussi, quand un grand club comme Naples vous propose le poste de titulaire, avec un contrat d'environ 30M€ nets d'impôts (sur 6 ans), cela aide à prendre une décision positive à 21 ans !

Alors que vous nous expliquez que pour vous tout est acté, le transfert du joueur n'est lui pas encore officiel. Comment analysez-vous ce fait ?
Ce que je comprends, c'est qu'on essaye de justifier “le travail” du “nouvel agent”, en ayant repris la négociation depuis le début. Je suis pressé de découvrir le contrat final signé par Victor, et de le comparer avec ce que nous avions évoqué avec Naples par écrit. D'autant que le 13 juillet au matin, Luis Campos et Gérard Lopez m'ont contacté par téléphone, en me recommandant fortement de négocier avec ce nouvel agent, sinon selon eux, “je risquais de tout perdre...” Pour moi, il a signé le 14, le 15 ou 16. On n'achète pas un joueur 60 M€ en lui faisant passer sa visite médicale sans avoir déjà signé son contrat.

Il m'avait dit que les problèmes de racisme lui faisaient peur et qu'il ne le sentait pas. Il m'a même déclaré au mois de mars-avril : "Je ne souhaite pas aller jouer en Italie, même si c'est pour la Juventus à 10M€ nets par an”

Victor Osimhen tout sourire avant de signer chez les Partenopei... (FAURE JULIEN/L'Equipe)

Vous connaissez bien Victor Osimhen, selon vous, saisit-il réellement tout ce qui se passe autour de lui ?
Il y a beaucoup de pression. Il a certainement perdu un peu pied. Il y a ce William D'Avila qui doit lui faire la cour depuis un moment. On lui a peut-être expliqué qu'on pouvait lui avoir un meilleur contrat. Je le vois le 9 juillet à Paris pour faire un point, le 13, il me dit de prendre l'avion pour le rejoindre alors que le nouvel agent est là... Ce n'est pas possible parce que c'est nous qui avons fait tout le travail. Et, on ne va pas deux fois à Naples, plus exactement en Sardaigne, sans signer.
 
Quelle est votre position par rapport à une possible conciliation ?
Nous avons toujours travaillé honnêtement avec Victor, chose que ne peut pas dire bon nombre d'agents, nous sommes dans notre bon droit. Et s'il faut aller devant les tribunaux pour garder la face, nous y irons... J'ajouterai qu'à mon avis, on ne passe pas devant un organisme aussi sérieux que la DNCG sans apporter des preuves que l'opération de vente “phare” de l'été va être officialisée. On est tranquilles. Mes avocats ont tous les documents sur le travail effectué. Je vais donc faire valoir mes droits au tribunal. Après, il est très probable qu'on puisse me proposer un arrangement, chose que je n'accepterai pas.
 
Vous connaissez Victor depuis l'âge de 14 ans, d'un point de vue d'humain, ressentez-vous de l'amertume après tant d'années à être auprès de lui ?
Ce n'est pas la première fois que cela arrive dans le football, et ce ne sera pas la dernière fois par contre. J'ai la chance d'être une personne structurée et d'avoir un peu de moyens, donc j'irai jusqu'au bout, ne serait-ce que pour tous ces agents victimes de situations similaires mais qui ne peuvent pas se défendre et qui perdent le fruit de tout leur travail durant des années...»

Nabil Djellit