(A.Martin/L'Equipe)

«Ils auraient pu jouer trois jours, ils n'auraient pas marqué» : retour sur l'épopée de Gueugnon, vainqueur de la Coupe de la Ligue face au PSG en 2000

Il y a vingt ans, au terme d'une formidable épopée, les Gueugnonnais remportaient la Coupe de la Ligue au nez et à la barbe du PSG. Un exploit gravé dans l'histoire du foot français. Flashback.

Ils ont forgé leur destin. Les forgerons bourguignons sont restés dans les mémoires, et n'en sortiront jamais. Parce que leur nom est sur une Coupe qui ne sortira plus après 2020. Mais surtout parce qu'ils demeurent l'exemple à suivre pour les petits poucets. Pourtant, Gueugnon n'était pas à proprement parler un petit poucet. (Bon) pensionnaire de Ligue 2 lors de la saison 1999-2000, qu'ils finiront en cinquième position, et tombeur de Marseille en Coupe de France, Gueugnon n'avait toutefois rien du favori. Et son entrée en matière en Coupe de la Ligue l'a prouvé. Contre Niort, équipe légèrement plus modeste de l'antichambre de l'élite française, c'était poussif. Sous le froid des Deux-Sèvres, 8 janvier oblige, les Bourguignons s'en remettaient à leur buteur maison cette saison-là, Stéphane Roda, pour forcer la décision peu avant l'heure de jeu (1-0). S'en suivaient deux autres matches, à domicile cette fois. Contre Toulouse, alors en Ligue 2, et Strasbourg, bon élève de Ligue 1. Une première victoire 1-0, avec un but de l'inévitable Roda. Puis une autre plus surprenante, 2-0, facilitée par une exclusion strasbourgeoise.

Une séance de tirs au but d'anthologie

L'étonnante équipe de Gueugnon filait alors en demi-finales, et en Saône-et-Loire, on commençait doucement à y croire. D'autant plus que le tirage au sort faisait preuve de clémence. Le hasard réservait un club de National aux Gueugnonnais, le Red Star. En somme, le vrai petit poucet de l'édition, qui n'a jamais abdiqué et a posé beaucoup de problèmes à Gueugnon. Déjà, les Franciliens ouvraient le score, avant d'être repris par Flauto. Et Gueugnon faisait preuve d'une grande force de caractère en fin de match quand le Red Star doublait la mise à sept minutes du terme. Amara Traoré, déjà buteur dans les derniers instants contre Strasbourg, égalisait et délivrait les siens. Ou plutôt leur offrait le droit de rêver.

Vous en connaissez beaucoup des séances de tirs au but où tous les joueurs tentent leur chance, y compris le gardien ? Non, il y en a très peu. Donc forcément, quand ça arrive, c'est un grand moment. Enfin, un grand moment pour Gueugnon et Richard Trivino, son gardien. Parce que pour celui du Red Star, qui échouait, c'était synonyme de la fin d'une aventure inespérée qui aurait pu apporter beaucoup (2-2, 9 t.ab. à 8). De son côté, Trivino, dernier tireur, n'avait aucun doute sur l'issue de la séance : «La série était interminable. C’était un peu comme le match, les montagnes russes. Mais je ne me rappelle d’avoir ressenti de la pression. Quand j’ai arrêté le penalty de Jean-Marc Branger, le ballon était allé très loin. J’ai traversé presque la moitié du terrain donc j’ai eu le temps de bien me concentrer et je me rappelle que sur tout le retour je me tapais sur la poitrine et je me disais : ''C’est toi qui vas finir''. C'était peut-être de l’insouciance, mais je regardais tout du long le côté droit, en me disant que Jean-Marc penserait : ''Il regarde un côté il me prend pour un bleu, il va tirer de l’autre côté.'' J'ai tiré à droite et c’est ce qui s’est passé. Mais pour moi avant de tirer c’était fini. »

Allergie, gueulante, et coup de grâce

Et puis il y eu cette finale face au Paris Saint-Germain. Un moment magique qui ressemblait à du bonus pour les Gueugnonnais, qui avaient la banane avant même de jouer. Objectif, éviter de prendre une rouste et donner le meilleur de soi-même. Le tout devant beaucoup de spectateurs. 77 000 au total garnissaient le Stade de France, avec du jaune et bleu ici et là. On est loin des 7 000 spectateurs au mieux du stade Jean-Laville à domicile. Jouer dans ce stade, un rêve de gosse pour les joueurs avec de la bouteille, mais aussi pour Sylvain Distin, 21 ans à l'époque. Un rêve auquel il n'a failli pas participer. «Comme plusieurs la semaine avant la finale, il s'était décoloré les cheveux. Mais il avait fait une réaction allergique au produit. Alors nous on en rigolait, mais le coach il ne rigolait pas (rires). Mais il a pu jouer sans souci. Je pense que même avec un œil en moins il aurait joué. Des matches comme ça, ça ne se loupe pas», confie le gardien de l'épopée.

L'histoire avait beau être un conte de fées, ça n'a pas empêché Alex Dupont, l'entraîneur d'alors, de pousser une gueulante à la mi-temps. Richard Trivino encore : «Avant ce match on avait une confiance insolente, on se disait indirectement : "Bon, maintenant qu’on est là, autant la gagner". Alex nous avait dit qu’on ne se rappelle que des vainqueurs sur la Coupe, pas des finalistes. Et à la mi-temps, il savait qu’il y avait un coup à jouer, il nous a dit d’aller au bout des choses. De pas jouer avec le frein à main. Au final, on n'était pas surpris par la qualité de notre match. Même si on a fait un super match, on a joué comme toute la saison.» Et en effet, ce soir-là, Gueugnon a laissé le frein à main dans la voiture. À tel point, que ce sont bien les Bourguignons qui ouvraient le score, avec un peu de réussite il faut l'avouer. Une frappe lointaine d'Esceth N'Zi heurtait le poteau avant de revenir sur Trapasso, seul face au but (1-0, 65e).

Richard Trivino (à droite) et sa doublure, Philippe Schuth, avec le trophée. (Martin/L'Equipe)

Si on retiendra le but victorieux de Flauto en contre pour sceller la victoire (2-0, 90e), le héros de cette finale est sans doute le gardien. Quelques minutes après avoir ouvert le score, les Gueugnonnais subissaient une lourde offensive. Par deux fois Laurent Robert tirait à bout portant. À chaque fois détourné magistralement par Richard Trivino. Et un troisième réflexe à couper le souffle devant Laurent Leroy. Souvenirs du portier bourguignon : «Pour moi cette double parade à bout portant, c’est le résumé du match. On le joue dix fois, on le perd neuf fois. Mais ce match-là, ils auraient pu jouer trois jours qu'ils n'auraient pas marqué. Le triple arrêt, ç'a sonné le glas. À partir de là, je pense qu’ils se sont dit : "C’est fini, on n’y arrivera pas." Il y a des jours comme ça où il ne peut rien t’arriver. Et tant mieux pour nous.»

Pensionnaire de Ligue 2, Gueugnon s'offrait la Coupe de la Ligue et une (éphémère) participation en Coupe de l'UEFA. Mais le meilleur souvenir de Richard Trivino, c'était deux jours après : «Pour moi qui suis le petit Gueugnonnais licencié depuis tout jeune, le retour le mardi dans le stade plein où on a présenté la Coupe de la Ligue, c'était incroyable.» Vingt ans après, et quelques semaines suivant le décès d'Uderzo, on se rappelle qu'un village d'irréductibles footeux peut faire de grandes choses.

Émile Gillet