ikone (jonathan) (P.Lahalle/L'Equipe)

Grand Format : De Bondy à l'équipe de France, notre récit de l'ascension de Jonathan Ikoné

De Bondy à Clairefontaine, avec les témoignages de ses camarades de route et des entraîneurs qu'il a connus, France Football vous raconte l'histoire et l'ascension de Jonathan Ikoné. Avec patience, mais surtout avec du talent plein les pieds.

Ce sont des instants qui marquent un parcours, forgent le destin. Jonathan Ikoné n'est pas un garçon si différent de ses copains quand ils foulent les gazons de Bondy, sa ville natale. Un don du ciel en plus, peut-être, mais surtout la sensation, pour qui le voit jouer, que, footballistiquement, le gamin est, cette fois, différent. «Wilfrid lui disait d'aller fixer le défenseur, de ne pas avoir peur. Un jour, il ne le fait pas, il sort... Comme puni. Il a retenu cette phrase, il en parle régulièrement, et c'est une de ses grosses qualités.» Wilfrid, c'est Wilfrid Mbappé, le père de Kylian, la star du PSG, également natif de la ville du 93. À l'époque associés, Kylian et Jonathan, constamment surclassés, sont entraînés par le paternel. Athmane Airouche, président de l'AS Bondy, a vu le petit Ikoné grandir. Il trace aujourd'hui les contours d'un enfant «plein de vie, qui avait son côté réservé, mais qui aimait rigoler et chambrer les copains». Tonio Riccardi, éducateur à l'ASB, travaillait avec Wilfrid Mbappé. Il se souvient aussi d'un jeune Ikoné «très, très rigolo», «un gourmand qui aimait bien manger». Mais, surtout, sur le terrain, c'était quelque chose : «Il y avait Kylian ailier gauche et Jonathan ailier droit. Ça leur permettait de rentrer sur leur pied fort et d'aller allumer. C'était vraiment exceptionnel.» Au-delà de Mbappé, Riccardi comprend très vite qu'Ikoné peut aussi voir très haut dès ses premières années : «C'était phénoménal, avec une finesse technique. Il était un peu plus développé athlétiquement, plus puissant, hargneux, agressif dans le bon sens du terme. Il ne lâchait rien. Même quand ça ne marchait pas sur une journée, il avait de la détermination, de la volonté de combattre. Il avait déjà cette mentalité.»

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«Beaucoup ont dû mal dormir à cause de lui»

Dès son enfance, le petit Ikoné, "Djorko" pour les intimes, va donc déjà très vite. Trop vite pour son AS Bondy qui ne peut le retenir face aux sirènes du PSG. Là-bas, il y fait ses gammes, y lie des amitiés, goûte aux réussites et affronte les échecs. «Il était marrant, il faisait rire, rappelle Samuel Essende, son pote du centre de formation. On était dans la même classe en cinquième. C'est quelqu'un de très bon en maths. J'étais à côté de lui, il trouvait beaucoup de solutions. On a passé des très bons moments. Il aimait beaucoup le foot. L'école, je pense que ce n'était pas une priorité.» Bon matheux, mais surtout (très) bon footeux. L'étalage de ses dribbles au Camp des Loges lui valent un statut de pépite indéniable, succédant à la génération dorée de Kingsley Coman. Le dribble, d'ailleurs, pur et soyeux, reste sa plus grosse qualité. Personne n'a oublié. «Comment lui prendre le ballon ? Bonne question... C'est compliqué, rigole Yohan Demoncy, ancien rouge et bleu aujourd'hui en Ligue 2, à Orléans. En un contre un, sa qualité d'élimination est incroyable.» «Parfois, on devait faire des prises à deux, des prises à trois, et même à trois il arrivait à s'en sortir», abonde Félix Eboa Eboa, partenaire à la formation parisienne qui porte aujourd'hui le maillot de l'En Avant Guingamp. «Des fois, il faisait des choses dont lui seul avait le secret, prolonge Yakou Meïté, autre ancien Titi, parti à Reading, en Angleterre. Il était vraiment, vraiment rapide dans ses gestes, ses changements de direction.» Le tout est finalement résumé par Samuel Essende : «Il a fait la misère à beaucoup de défenseurs. Beaucoup ont dû mal dormir à cause de lui.»

Ikoné, cet ancien défenseur central

Ami d'enfance, Wilfried Kanga se souvient d'une anecdote précise sur les arabesques made in Djorko. «C'était abusé, s'amuse l'attaquant d'Angers. En U13, il jouait ailier, mais le coach le mettait capitaine et même défenseur central. Je ne sais pas pourquoi ! Il prenait la balle, il dribblait tout le terrain, il marquait. C'était grave. Comme il avait le brassard, ça atténuait sa frustration.»
À l'époque, le coach qui le place en charnière centrale se nomme Jérôme Klein. Jonathan Ikoné, U13, vient à peine de débarquer qu'il entre en préformation et s'entraîne directement la semaine avec les U14. Il y côtoiera Mattéo Guendouzi le week-end, surclassé des U12 et qui découvre l'équipe de France en même temps que lui. «C'est marrant de les retrouver en équipe de France, j'avais beaucoup de chance», reconnaît Jérôme Klein. Mais alors pourquoi placer son joueur en défense ? «Parce qu'il y avait beaucoup de garçons offensifs, justifie-t-il. Je les faisais tourner. Jonathan était capable d'être très bon à plusieurs postes. Mais même quand il était amené à jouer là, il ne rechignait pas pour le bien de l'équipe.» Capable de gagner un match à lui tout seul, Ikoné est la promesse de l'équipe. Klein se souvient : «Lors d'un tournoi à Bobigny, on jouait face à Rennes, il a traversé tout le terrain, il a éliminé toute l'équipe et il a fini par un petit piqué devant le gardien.»

Autrefois associé au PSG, le duo Ikoné-Guendouzi se retrouve aujourd'hui ensemble en équipe de France A. (F.Faugere/L'Equipe)

Charisme, Messi et action de classe

À l'époque, l'influence du jeune Ikoné ne se limite pourtant pas à une technique déjà très au point. Si, aujourd'hui, de part une taille plutôt petite par rapport à la moyenne (1,75 m), on ne lui reconnaît peut-être pas des qualités de meneur, ni d'un joueur qui peut prendre en permanence le dessus sur les duels physiques, ses débuts furent d'un autre acabit. Jérôme Klein, encore : «Il avait déjà beaucoup de personnalité et de charisme dès le plus jeune âge, rembobine-t-il. Il était capable d'être derrière ses partenaires, de les encourager. C'était un vrai leader d'équipe. Et il n'était pas du tout en difficulté sur l'aspect athlétique. À 13 ans, il faisait partie des plus grands. Il était déjà assez dessiné musculairement. Et explosif ! Une explosivité que très peu de joueurs avaient. Ça lui permettait de créer de grosses différences. Il avait déjà cette vitesse et cette tonicité-là.»
Pas étonnant, du coup, que ceux qu'il adule se nomment Ronaldinho, Franck Ribéry, Angel Di Maria ou Lionel Messi. Et comme les années se suivent mais que le talent ne se perd pas, Ikoné fait la misère à ses adversaires. Le Titi de Bondy est le joueur majeur, souvent, l'attraction du terrain, toujours. D'une tournée à l'académie Aspire au Qatar - «Tout le monde était choqué» (Kanga) - au titre de meilleur joueur d'un prestigieux tournoi où des équipes de jeunes du Real Madrid ou de Manchester United sont présentes. «Ça, c'était quelque chose, note d'ailleurs Cédric Cattenoy, ancien de la préformation au PSG. Il met le but décisif en demi-finale contre Manchester. Ce n'était pas le petit tournoi de quartier.»

Sans surprise, Ikoné apparaît dans les radars de la Fédération Française de football. U16, U17, U18, U19, U20, Espoirs, le garçon a tout connu. «C'était le meilleur joueur de notre génération, tranche Moussa Haddad, ancien camarade de chambre avec notamment Jeff Reine-Adélaïde. Ses prises de balle, sa vitesse d'exécution. C'était terrible. Il allait vraiment vite. Avec ses changements d'appuis, il était imprévisible.» Avec le maillot bleu, son Graal reste pour le moment ce titre de champion d'Europe U17 en 2015. Face à l'Italie, Ikoné marque les esprits. Et si on a compris que la technique et la vitesse étaient presque innées, petit à petit, il parvient à peaufiner une panoplie toujours plus large. «Il a su développer ça en ajoutant les passes au bon moment, l'efficacité, la vision du jeu. Il a mis tout ça à profit», constate Samuel Essende, suivi par Yohan Demoncy : «Il était sur le terrain vraiment pour prendre du plaisir, et il donnait du plaisir aux spectateurs. Il pouvait faire facilement lever le public. Il ne commençait pas tout le temps titulaire parce que le coach aimait bien le garder en joker. Il manquait peut-être encore un peu de constance dans un match à cette époque.»

«C'était le meilleur joueur de notre génération»

S'il a su s'intégrer à Montpellier, notamment avec Isaac Mbenza (à droite sur la photo), Junior Sambia ou Nordi Mukiele, Jonathan Ikoné n'a pas réussi à s'affirmer réellement sur le terrain. (R.Martin/L'Equipe)

Vingt ans alors, et c'est la fin de la partie dans le sud de la France. Ikoné est un potentiel, pas assez pour le PSG. Le destin semble écrit : c'est l'heure de partir. Lille flaire le bon coup, et investit cinq millions d'euros. «Quand on voit ce qu'il est devenu aujourd'hui, ce doit être un très gros regret pour le PSG, souffle Essende. Mais pour lui, je ne pense pas. Son destin a été qu'il aille à Lille.» «À Montpellier, c'était plus défensif, à Lille, il est plus offensif, ça lui convient mieux, estime de son côté Kanga. Il est avec plus de jeunes. La saison dernière, ils avaient un gros trio (Ikoné, Pépé, Bamba), ça parlait beaucoup d'eux. Ils ont fini deuxièmes. Ils ont battu le PSG. Dans les gros matches, il (Ikoné) était là, on le voyait beaucoup plus dans le jeu. On le sentait. Il pesait.» «Au début, il a côtoyé des grands joueurs au PSG, analyse Eboa Eboa. Son prêt à Montpellier lui a permis de pouvoir avancer au haut niveau. Pour lui, c'était très important de passer ces étapes parce qu'il n'avait jamais réellement connu le niveau pro. À Lille, il devait faire ses preuves.»

Un pied droit pour monter dans sa voiture

Pas de quoi effrayer le PSG de l'intégrer dans le groupe des pros, puis de lui faire signer un premier contrat professionnel de trois ans en juin 2016. Mais comme beaucoup avant ou après lui, difficile de se faire une place. À dix-huit ans, Ikoné part en prêt à Montpellier. Il y restera un an et demi. Avec deux buts et deux passes décisives seulement en Championnat. Le jeune Jonathan peine véritablement à convaincre Jean-Louis Gasset, puis Michel Der Zakarian, ses entraîneurs. «On a tout de suite vu qu'il avait énormément de qualité, avec une facilité pour éliminer et dribbler qui était impressionnante, se souvient Souleymane Camara, attaquant du MHSC. Il fallait juste qu'il travaille physiquement. Son expérience n'a pas été extraordinaire mais ç'a pu lui faire prendre conscience de ses qualités et qu'il devait travailler. Parfois, dès qu'on signe pro, on n'est pas toujours conscients de certaines exigences que le métier demande. Lui, il a compris.» D'abord timide pour sa première aventure loin de son Île-de-France natale, Ikoné est parvenu sans problème à faire l'unanimité. «Un garçon adorable, et surtout respectueux, complimente encore Camara. Une fois qu'il prend confiance, il commence à se libérer. Il aime bien rigoler. À l'entraînement, il ne tirait jamais du pied droit. Je le chambrais tout le temps. Il n'avait pas de pied droit ! On lui disait que ça lui servait seulement pour monter dans sa voiture.»

«Quand on voit ce qu'il est devenu aujourd'hui, ce doit être un très gros regret pour le PSG»

«Il n'a pas la grosse tête, il reste lui-même»

Au cœur de ce parcours patient, marqué par une brutale ascension, il a parfois pu laisser transparaître une certaine nervosité sur et hors des terrains. Mais personne ne lui en a vraiment tenu rigueur, lui qui a traversé les vestiaires et les terrains en conservant toujours une belle cote. «Il est super respectueux, apprécie Kanga. Ça n'a jamais été quelqu'un qui parle mal aux gens. Il est vraiment gentil. C'est une crème. C'est ça sa première qualité qui me vient à l'esprit.» Eboa Eboa, fier de son copain, le décrit lui comme une «bonne personne», à l'instar de ses anciens formateurs Jérôme Klein et Cédric Cattenoy. Didier Deschamps appréciera, tout comme cet autre trait de personnalité, que tous ont relevé. «Il n'a pas la grosse tête, il reste lui-même, embraye Yakou Meïté. C'est un bon gars, il est marrant, il aime bien chambrer, rigoler. Ça se passait toujours comme ça au PSG avec les joueurs qu'il y avait.» Meïté, partenaire de certaines parties de danse, notamment sur des morceaux de rap français qu'affectionne Ikoné. «En danse, non, il n'est pas bon», sourit-il. «C'est un moqueur, constate encore Eboa Eboa. Je me souviens d'un match où j'avais joué contre lui à Montpellier. Il m'avait fait une feinte et m'avait éliminé. J'ai dû revenir, et juste après le ballon était sorti en corner et il m'avait un peu chambré.» Une bonne humeur, une stabilité et un sérieux qu'il doit aussi à l'un de ses frères, Minor Ikoné, référent pour Jonathan. «Il est là pour le recadrer quand il fait quelques petites bêtises et quand il sort de la route pour le remettre sur le droit chemin, confirme Kanga. Il est là avec lui depuis tout petit. Il est derrière lui.»
Et comme beaucoup avant lui, ce premier séjour en équipe de France doit désormais être le début d'un nouveau chapitre. Celui de la régularité au meilleur des niveaux, et des prestations toujours plus abouties. «Aujourd'hui, il mérite ce qui lui arrive, félicite Kanga. Il a le niveau. Je sais que s'il continue comme ça, il va partir très, très loin. Il est humble. Il a la tête sur les épaules. Il est déterminé.» Voilà comment l'enfant de Bondy s'apprête à enfiler le maillot de l'équipe de France, le vrai, floqué d'une deuxième étoile. Une ville qui sacre un deuxième gamin du coin, après Kylian Mbappé et peut-être bientôt William Saliba. «Dès qu'il peut passer, il le fait, confirme Athmane Airouche. Maintenant, les petits savent qu'il n'y a pas que Kylian.»

Antoine Bourlon et Timothé Crépin